
Constitués d’une partie interne en fibres de carbone, les câbles avancés promettent performance et économies à l’heure d’une électrification en plein essor. Si la technologie est de plus en plus adoptée dans le monde, la France, elle, reste à la traine… malgré une filière reconnue à l’international.
A l’été 2025, les représentants d’Epsilon Composite sont reçus par les conseillers du président de la République. Le directeur général délégué de la PME girondine, Alexandre Lull, se rend à l’Elysée pour promouvoir des câbles électriques innovants et encore discrets en France : les câbles dits «avancés». L’entreprise familiale, qui fournit des pièces en fibres de carbone à différentes industries, compte parmi une poignée d’acteurs mondiaux à l’instar de l’américain CTC Global, du japonais Tokyo Rope, et dans une bien moindre mesure, d’Excel composites, à produire des joncs à base de fibres de carbone qui sont ensuite intégrés dans les câbles aériens haute et très haute tension fabriqués par Nexans, Prysmian, Extrana… A l’heure de l’électrification et de l’injection croissante d’énergies renouvelables dans le réseau, la technologie possède de sérieux atouts.
Impact environnemental réduit
Plus légère que l’acier utilisé comme renfort mécanique dans les lignes, la solution en carbone intègre davantage d’aluminium, permettant de doubler la capacité de transmission d’énergie, sans changer de pylônes. Et malgré un coût plus de deux fois supérieur à un modèle traditionnel en acier, il permet, selon Stéphane Morice, directeur des ventes lignes aériennes de Nexans, «une économie de 60% à 65% en Capex par rapport à la reconstruction d’une ligne ».
En outre, l’âme de carbone (la partie interne du câble) ne se dilate pas comme l’acier sous l’effet de la chaleur générée par les surcharges ponctuelles de tensions, conservant la distance de sécurité avec le sol. «Cela évite les risques de contact avec la végétation et les possibles incendies», explique encore le directeur des ventes. Plus compact, avec un design aérodynamique, il supporte aussi davantage les ouragans qui se multiplient sous l’effet du changement climatique.
A l’heure où les besoins annuels en câbles aériens sur la planète sont estimés à plus de 40 millions de kilomètres selon le Conseil international des grands réseaux électriques (CIGRE), la technologie en carbone est perçue comme une solution d’avenir. «Les clients commencent à étudier l’impact sur les nouvelles lignes d’une augmentation de température de 4°C et de vents de 200 km/h, en ayant, parallèlement, la volonté de réduire l’impact environnemental lié au besoin d’augmenter la capacité des lignes, avec moins de pylônes, moins de travaux», explique le directeur des ventes. En trois ans, Nexans a ainsi multiplié par trois sa production, passant de quelques centaines de kilomètres à près d’un millier.
L’Inde, un marché prometteur
Locomotive de ce marché en plein essor, l’Inde pose aujourd’hui 40000 kilomètres de ces câbles par an. Trois fois plus que ce que l’Europe a déjà déployé. Les perspectives y ont d’ailleurs attiré Epsilon Composite qui y inaugurera une usine en 2026. «Une usine en Inde est indispensable pour répondre aux exigences de contenu local, et certains de nos concurrents y sont déjà implantés», explique le dirigeant, qui prévoit dans un premier temps une capacité de production de quelques milliers de kilomètres… et espère, si le développement se poursuit, atteindre les 20000 kilomètres.
Les Etats-Unis sont aussi dans le viseur de l’entreprise. Le pays, où la demande d’électricité accompagne l’essor des datacenters, mise lui aussi sur les câbles avancés. Le département de l’Energie américain estime dans un rapport paru en 2023 qu’ils constituent l’une des trois technologies majeures de modération du réseau avec, à la clé, une augmentation de capacité de plus de 100 gigawatts. Prolonger l’usage des infrastructures électriques grâce à ces câbles générerait aussi, selon le responsable de la politique énergétique et de la sûreté nucléaire, une économie entre 20 et 50 milliards de dollars d’investissement.
En juin dernier, Google a annoncé une collaboration avec l’américain CTC Global, principal concurrent d’Epsilon Composite. Quelques mois auparavant, c’est le fondateur de Microsoft Bill Gates qui a investi dans TS Conductor, une start-up sino-américaine, via son fonds Breakthough Energy.
Un projet pilote en France
Outre ces grands marchés, les câbles avancés se retrouvent au Kazakhstan, au Vietnam, en Indonésie, en Australie…. 6000 kilomètres seront prochainement déployés au Cameroun. «Il y a un besoin structurel de renforcement des réseaux», indique Alexandre Lull qui regrette le retard pris par la France. Alors que les pays européens déroulent, eux aussi, des milliers de kilomètres de câbles avancés, l’Hexagone ne dispose que d’un pilote dont l’installation remonte à 2013.
Le gestionnaire du réseau de transport électrique (RTE) confirme la quasi-absence de ces câbles sur son réseau et indique : «aucune installation massive n’est prévue à court terme». «Nous privilégions pour l’instant des solutions éprouvées et standardisées», explique RTE. La nouvelle technologie pousse «à revoir les habitudes, à établir de nouveaux standards, à changer les pratiques d’installation», remarque Alexandre Lull, qui se désole qu’aucun projet de câbles avancés soit prévu sur les 23500 km de ligne à remplacer d’ici à 2040.
Un regret d’autant plus grand que la filière est bien présente en France. Outre Epsilon composite et Nexans, interviennent Toray, fabricant de fibre de carbone, Sicame, pour les accessoires qui servent à fixer les câbles sur les pylônes et des groupes comme Omexom (groupe Vinci) pour les travaux sur ligne. «Toutes ces entreprises réussissent dans le monde entier. On fait des projets partout à travers des partenariats, du Vietnam au Chili, en passant par l’Afrique, il ne manque plus que chez nous», observe le dirigeant dont l’entreprise a réalisé 34 millions d’euros en 2024 (dont 80% à l’export) et emploie 200 personnes.
«La filière, dont les effectifs sont estimés à 500 emplois pourrait doubler si la France se mettait elle aussi à adopter les câbles en carbone», conclut Alexandre Lull. Une réalité qui pourrait peut-être se concrétiser avec un coup de main de l’Etat.


