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«La France et l’Allemagne doivent jouer de leurs complémentarités», selon Doris Birkhofer (Siemens)

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Doris Birkhofer, la patronne de Siemens France, élue présidente de la chambre franco-allemande de commerce et d’industrie, confie ses convictions pour une compétitivité des deux côtés du Rhin.

L’Usine Nouvelle – Avec votre nouveau mandat à la chambre franco-allemande de commerce et d’industrie, quelle impulsion voulez-vous donner au couple franco-allemand ?

Doris Birkhofer – Déjà sur le plan politique, avec l’arrivée du chancelier Friedrich Merz, le couple a retrouvé une dynamique. Le Conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu fin août était très encourageant. Il s’est traduit par des projets concrets. Il faut rappeler qu’ensemble, la France et l’Allemagne représentent 40 % du PIB européen. La France est le deuxième partenaire commercial de l’Allemagne et l’Allemagne est le premier de la France. Il est donc évident que c’est ce couple qui doit faire en sorte que l’Europe soit ou redevienne une économie compétitive. Mais au-delà des discours, je souhaite que la chambre instaure des mécanismes pour mettre en relation les écosystèmes. La réalité, c’est que les grandes entreprises se connaissent, mais une PME qui produit des composants en alliages super-légers en Saxe ne connaît pas forcément l’entreprise d’Occitanie de l’aéronautique qui fabrique des sous-composants pour des satellites. Pourtant, elles pourraient faire du business ensemble, et l’objectif, c’est vraiment de le faciliter. Il ne faut pas se limiter aux coopérations emblématiques comme celles d’Airbus. Et il y a toutes les institutions en place pour le faire. C’est mon principal objectif. Il faut jouer sur le collectif et sur les complémentarités. S’inspirer les uns les autres et collaborer.

En Allemagne, le jeune alternant postule auprès d’une entreprise et c’est elle qui lui dit dans quelle école il doit aller. En France, c’est l’inverse.

—  Doris Birkhofer

En quoi les deux pays sont-ils complémentaires ?

La France dispose d’une énergie très largement décarbonée, c’est un véritable atout. Et d’un système qui sait bien gérer l’intermittence des énergies renouvelables. Elle abrite aussi des industries de pointe, comme celle de la défense, dont l’Allemagne peut profiter comme fournisseur et comme client. Outre-Rhin, le Mittelstand de PME est très développé et génère 50% de la valeur ajoutée, contre moins d’un quart pour ce qui concerne les PME françaises. L’Allemagne a aussi un autre point fort : sa formation duale, avec l’alternance. La France a fait beaucoup d’efforts, mais le fonctionnement de l’apprentissage est très différent. En Allemagne, le jeune postule auprès d’une entreprise et c’est elle qui lui indique dans quelle école il doit aller. En France, c’est l’inverse : il choisit une formation, qui ne correspond pas forcément aux besoins du marché du travail, et il doit ensuite trouver une entreprise. C’est notamment ce qui conduit à un taux de chômage des jeunes élevé dans notre pays. La chambre franco-allemande de commerce et d’industrie soutient d’ailleurs des programmes d’échanges internationaux d’apprentis. Notre ambition est de faciliter le «matchmaking» entre les entreprises françaises et allemandes. De catalyser leur collaboration au-delà de ce que les politiques peuvent mettre en œuvre.

Après un trou d’air, l’économie allemande devrait repartir en 2026. Quel rôle va jouer le grand plan d’investissement ?

Les 500 milliards d’euros du plan d’investissement de Friedrich Merz seront principalement consacrés aux infrastructures et l’Allemagne en a vraiment besoin. On pense toujours à la « Deutsche Qualität ». C’est vrai pour les produits, mais c’est moins le cas pour les infrastructures ferroviaires, les réseaux électriques ou de communication, qui sont bien moins modernisés qu’en France à cause de l’aversion allemande pour la dette. Ce plan peut bénéficier aux entreprises françaises, en particulier dans les grands projets, l’ingénierie, la construction et toute la chaîne de valeur associée.

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Doris Birkhofer.jpg Doris Birkhofer patronne de Siemens France

Constatez-vous que l’incertitude politique freine les investissements des entreprises françaises en ce moment ?

C’est évident. Il y a une tendance au «wait and see » parce qu’il faut des conditions claires pour exécuter les plans d’investissement, notamment pour les PME qui ont des enjeux de trésorerie. Et en ce qui concerne les entreprises étrangères, la France est en compétition avec d’autres pays. Les sièges sociaux analysent une carte mondiale pour décider où allouer leurs investissements et intègrent le contexte politique dans leur décision. Il faut recréer un cadre fiable.

Quelle place occupe Siemens en France ?

Nous sommes implantés en France depuis 175 ans et la société a accompagné toutes les révolutions industrielles. Une usine française sur deux est équipée de technologies Siemens. Nous avons un triple rôle : aider les entreprises traditionnelles à se réinventer, favoriser l’émergence des nouvelles industries et accélérer la modernisation des infrastructures. Le tout en intégrant les nouvelles technologies dans les process, comme l’IA, les jumeaux numériques… Par exemple, nous avons aidé Niedax, qui a produit les supports de chemin de câbles pour le Grand Paris, à moderniser son outil industriel, depuis le conseil jusqu’à l’introduction des dernières technologies. Du côté des nouvelles industries, nous assistons les futures usines. Dans le nord de la France, nous accompagnons Fertighy sur des engrais verts, et dans le sud, à Fos-sur-Mer, Gravithy sur la sidérurgie décarbonée. Partant d’une page blanche, ils peuvent utiliser les jumeaux numériques et les outils digitaux dès le début. Dans les infrastructures, nous gérons la résilience et l’efficacité énergétique des bâtiments privés et publics, sachant que le bâtiment représente 40 % de la consommation énergétique et que l’on peut gagner 30 % d’efficacité. Enfin, il y a l’optimisation des réseaux électriques et la gestion de la mobilité. Siemens intervient sur l’automatisation des métros et, dans le cadre du Grand Paris express, s’occupe de la gestion du contrôle d’accès, de la vidéosurveillance et de la sécurité incendie pour plusieurs lignes de métro. Cela a été essentiel dans la réussite des jeux Olympiques.

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Nous proposons aux PME des solutions “plug and play” d’IA appliquée, sur des sujets classiques d’amélioration continue : maintenance préventive, contrôle qualité…

—  Doris Birkhofer

Comment pouvez-vous intervenir auprès des PME ?

C’est compliqué pour elles, parce qu’elles doivent faire face à plusieurs grands changements en même temps : se moderniser, travailler sur leur décarbonation et adopter l’IA. J’ai été frappée par une étude Ipsos, parue l’an dernier, qui interrogeait les dirigeants sur leurs dix principaux enjeux. La satisfaction client et la compétitivité arrivaient en numéro un et deux et l’IA en avant-dernier. Cela veut dire que les entreprises n’ont pas encore intégré qu’elle peut être un booster de compétitivité. C’est notre rôle de leur montrer. Nous le faisons avec des cas d’usage et des solutions «plug and play» d’IA appliquée, sur des sujets sur lesquels elles font déjà de l’amélioration continue : maintenance préventive, contrôle qualité… Elles n’ont pas besoin de mobiliser 25 experts digitaux pour implanter ces solutions.

Quels sont les obstacles à lever pour la mise en place de solutions d’IA industrielle ?

La clé, ce sont les données. Aujourd’hui, 20% seulement des données industrielles sont disponibles et exploitables et il faut aller les chercher dans tous les coins de l’entreprise pour nourrir les LLM [grands modèles de langage, ndlr]. Chez Siemens, nous développons des LLM qui parlent le «langage industriel» – données 3D, dessins techniques, diagrammes complexes, séries chronologiques des usines –, en particulier pour de grandes filières comme l’automobile, l’aéronautique, la pharma…

Les entreprises sont-elles d’accord pour partager leurs données ?

C’est une question importante. Il faut d’abord que ces données restent confidentielles, puis que l’on puisse décider de ce qui est partageable ou pas. Nous sommes au début de l’histoire. Nous venons par exemple de lancer une alliance d’échange de données avec des constructeurs de machines, notamment Voith et Trumpf, pour développer des applications d’IA dans le secteur manufacturier.

La France est-elle à l’origine d’innovations chez Siemens ?

Il ne serait pas efficace que chaque pays réinvente ses propres produits. C’est pourquoi nous avons des centres d’excellence mondiaux, y compris en France. Par exemple, à Châtillon, dans les Hauts-de-Seine, pour les systèmes automatiques de métros, c’est du made in France pour le monde entier. Haguenau, dans le Bas-Rhin, est le centre de compétences pour la mécatronique, des équipements dédiés aux industries de process. La R&D est en France et notre usine est la «lead factory» pour deux autres, l’une au Canada et l’autre en Chine. Et cette usine française exporte à 90%.

Quels sont vos besoins et votre ambition en matière de compétences ?

Ma conviction c’est qu’une entreprise doit refléter la diversité d’une société. C’est important pour l’innovation, la créativité, la cohésion sociale et le bien-être au travail, tout simplement. Notre politique RH repose sur plusieurs piliers, mais en matière de la diversité, nous avons un focus sur les femmes, les jeunes et les seniors. Nous avons lancé un programme de bourse, avec l’association La Puissance du lien, doté de 175 000 euros afin d’aider financièrement des jeunes femmes, des entrepreneures et des femmes en reconversion à se développer dans les métiers scientifiques et techniques. Nous allons les accompagner pendant trois ans. Dans le management, nous n’avons pas trop de soucis, avec 40 % de femmes au comex. Mais nous avons plus de mal à recruter au niveau des techniciennes. J’ai fixé l’objectif de 50 % de filles en alternance sur les plus de 450 apprentis que nous accueillons en permanence. Nous en sommes à 40%, mais nous partions de 20%. Et tout le monde joue le jeu.

Avec la suspension de la réforme des retraites, est-il compliqué de gérer les personnes qui n’en sont pas loin ?

Nous faisons beaucoup de campagnes d’information sur la retraite, car souvent les gens ne savent pas comment s’y mettre et ne connaissent pas les options disponibles. Je suis convaincue qu’en fin de carrière, il faut savoir se remettre en question et s’intéresser aux sujets de transmission, aider les autres à se développer. Cela implique parfois de renoncer à la responsabilité d’un centre de profit ou à la gestion d’une équipe de 100 personnes pour passer sur un rôle de conseil en faisant monter une nouvelle génération. Certains managers ont du mal, mais j’ai des exemples où nous avons réussi à le faire et c’était extrêmement satisfaisant à la fois pour la personne et pour ceux qui ont bénéficié de son expertise. Nous essayons de transmettre cette philosophie dans l’entreprise.

Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle n°3748 – Novembre 2025

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