Le démonstrateur de drone de longue endurance de Daher vient d’effectuer son premier vol. Sur la base d’un appareil existant, il a été développé en un temps record, avec l’aide de Thales. Le groupe multiplie les initiatives en vue de doubler son chiffre d’affaires dans la défense d’ici trois à cinq ans.
Daher a remis sa copie avec un an d’avance. Son prototype de démonstrateur de drone EyePulse a en effet effectué avec son premier vol vendredi 28 novembre, sur son site de Tarbes (Hautes-Pyrénées), comme l’a dévoilé l’industriel quelques jours plus tard. Un engin de type MALE – pour “moyenne altitude, longue endurance” – destiné au monde militaire qui fait cruellement défaut en France et en Europe. «Nous avons des usines et des avions déjà certifiés, contrairement aux autres participants», se réjouit Didier Kayat, le directeur général du groupe. Un jalon qui souligne l’accélération de la société dans la défense, un virage stratégique très récent.
Car Daher n’est pas le seul dans cette course industrielle, impulsée cette année par la Direction générale de l’Armement (DGA) pour pallier à une faiblesse stratégique des armées européennes. Aujourd’hui, il n’existe pas de drone MALE souverain en Europe, un engin pourtant critique capable d’effectuer des missions de surveillance. Alors que le programme Eurodrone, piloté par Airbus, accuse un sérieux retard, seuls le Reaper de l’américain General Atomics et le Heron de l’israélien IAI sont disponibles. Du coup, en juin 2025, lors du salon aéronautique du Bourget, la DGA a signé avec cinq acteurs une convention visant à réaliser des vols de démonstration d’ici à fin 2026.
AirborneFilms «Auparavant, la DGA fixait des spécifications et attendait que les industriels parviennent à y répondre, rappelle Didier Kayat. Plutôt que de faire un produit sorti d’une planche à dessin, elle a opté pour une solution pragmatique et plus économique.» Ont ainsi été retenus Daher, mais également de plus jeunes acteurs, Fly-R et SE Aviation, ainsi que l’entreprise Turgis & Gaillard, laquelle a également fait voler son drone Aarok développé depuis plus de trois ans en septembre dernier. La DGA établira un cahier des charges en 2027, en vue d’assurer de premières livraisons à partir de 2028.
Un développement basé sur l’existant
Comment Daher a pu réaliser ce premier vol de l’EyePulse en moins de six mois ? Parce que l’avionneur a mis à profit son propre avion, le TBM, qu’il s’est ingénié à droniser. Le TBM est déjà équipé d’une solution qui permet de le faire atterrir automatiquement en cas d’urgence absolue, autrement dit lorsque le pilote n’est plus en capacité de le faire. Ce système est déjà opérationnel et certifié. «Quant au décollage et au pilotage automatique, ces briques technologiques existent déjà et ne représentent pas de difficulté particulière», relève Didier Kayat.
Seule véritable adaptation à mettre en œuvre : parvenir à piloter le TBM depuis le sol. Raison pour laquelle Daher s’est tourné vers Thales. Les équipes du groupe ont implémenté une brique technologique existante, dénommée ScaleFlyt, qui a été interfacée avec leur système de pilotage, de sorte que les deux équipements communiquent ensemble. En clair, Daher a mis au point un drone MALE en valorisant l’existant. De quoi accoucher d’un bébé de 5 tonnes, avec une capacité d’emport comprise entre 300 et 500 kg. Et affichant une autonomie de 12 à 24 heures en fonction de la charge utile transportée.
En cas de succès, Daher serait prêt à produire le futur drone en série. La future chaîne d’assemblage finale aux Etats-Unis, basée à Stuart (Floride) où se trouve le siège américain du groupe, va augmenter ses capacités de production dès 2027. «Elles ne serviront pas à y faire des drones, tient à préciser Didier Kayat. En revanche, comme 80% de nos ventes de TBM civils se font aux Etats-Unis, nous ferons des TBM pour les besoins civils aux Etats-Unis, ce qui libérera de la capacité pour fabriquer des drones en France à Tarbes.» Et le dirigeant d’ajouter que l’entreprise pourrait ainsi produire entre 10 et 40 exemplaires par an, quitte à acheter certaines pièces à ses sous-traitants.
Daher Loin de se cantonner à ce démonstrateur de drone MALE, Daher démultiplie les démarches pour investir plus largement que par le passé le secteur de la défense. Un tournant stratégique qui ne va pas de soi pour une entreprise familiale dotée d’un comité d’éthique. «La guerre en Ukraine a généré une réflexion de la part de nos actionnaires, qui ont accepté le virage vers la défense que nous leur avons proposé», indique Didier Kayat. Cette dynamique avait été officialisée en juin 2025, lors du salon aéronautique du Bourget. Objectif pour Daher : doubler le chiffre d’affaires de la défense d’ici trois à cinq ans. Il s’élève aujourd’hui à 300 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires total au niveau du groupe de 1,8 milliard d’euros.
Un doublement du chiffre d’affaires de la défense d’ici cinq ans
Daher avait jusqu’à présent joué la carte de la discrétion sur ses activités dans la défense. Pourtant, la société décline ses savoir-faire de longue date pour le compte des militaires. Le groupe assure par exemple des opérations de maintenance pour les Ecureuil de la gendarmerie et les DHC-6 Twin Otter de l’Armée de l’Air et de l’Espace, il fournit des pièces pour plusieurs programmes militaires (Airbus A400M, hélicoptère NH90…), et même des équipements complets, tels que des containers pour le transport de matériel sensible, et gère aussi la logistique d’engins militaires pour l’ONU et les pays de l’OTAN.
Mais Daher veut désormais passer à la vitesse supérieure : ses démarches commerciales sont aujourd’hui focalisées à 100% sur la défense. «Nous pourrions fournir des capacités de production à certains donneurs d’ordre de la défense », via notamment nos usines présentes en France et à l’étranger, confie Didier Kayat. Nous pourrions fabriquer des pièces pour de très nombreux équipements militaires.» Des discussions en ce sens ont été lancées avec les donneurs d’ordre. «Autre possibilité, en tant que logisticiens, nous sommes aussi en mesure d’assurer de nombreux services industriels, tel que le support à certaines activités dans les usines», poursuit le dirigeant. Malgré son grand âge, Daher a gardé toute sa souplesse.


