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Devenir le chef de ses collègues ? C’est délicat !

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Lu il y a 8 minutes



Trouver sa juste place après une promotion qui conduit à encadrer ses anciens collègues ne s’improvise pas. Le mieux est d’être accompagné par son entreprise pour éviter de trop céder ou… de devenir toxique pour son équipe.

«Un séisme ! J’ai tout perdu en prenant du grade. Des amis, d’abord. Alors que nous dînions ensemble parfois avec nos familles respectives, on se dit tout juste bonjour et bonsoir, regrette Nayla*, ex-consultante dans une agence de communication, dont elle est devenue la directrice associée début 2025. Mais j’ai aussi été remise en question sur le plan professionnel. Mes anciens collègues mettent en doute mes compétences, expriment beaucoup de méfiance et contestent ma légitimité.» À cela, s’est ajouté un phénomène surprenant : la suspicion collective des salariés à l’égard de la direction collégiale de quatre personnes, quoi qu’elle entreprenne.

Si toutes les expériences de promotion à la tête d’anciens collègues ne s’avèrent pas aussi douloureuses que celle de Nayla, il reste que ces progressions hiérarchiques présentent des enjeux spécifiques. Surtout si, comme pour Nayla, l’arrivée dans l’entreprise est assez récente. Cela peut susciter des jalousies de la part des plus anciens, qui se considèrent parfois comme plus légitimes pour le poste. De même, en cas de prise de responsabilité d’une femme, dans un secteur professionnel très masculin. Léa*, nommée en 2022 manager de neuf personnes au sein d’une mutuelle, après avoir été cheffe de projet au sein de cette même équipe, a eu du mal à asseoir sa légitimité. «Ça s’est très bien passé avec tous, sauf avec un collègue qui avait convoité ce poste. Il a longtemps fait de la rétention d’informations sur ses dossiers, ou oublié de m’inviter à des réunions.» Trois ans plus tard, Léa considère que les choses se sont apaisées. Mais elle l’assure : «Certains se permettaient avec moi des remarques ou des refus parce que nous nous connaissions. Si c’était à refaire, je serais moins gentille !»

Ne pas surjouer l’autorité

Les entreprises reculent parfois devant l’obstacle. Pour éviter les tensions, certaines s’interdisent en effet de telles nominations managériales internes, relève Frank Salles, le cofondateur du cabinet de coaching NRGy. Il cite principalement le secteur de la grande distribution. «Les cultures d’entreprise influencent beaucoup la façon dont se déroulent ces changements de situation hiérarchique, abonde Bertrand Déroulède, manager d’offre et d’expertise management au sein de Cegos. Ils se révèlent plus simples dès l’instant où il existe une culture de proximité que quand les relations sont guindées, formelles.»

Réussir une telle progression de carrière reste possible. «À quoi je sers ? Quelle est ma valeur ajoutée ?», voilà les bonnes questions à se poser d’emblée, suggère Bertrand Déroulède, convaincu que les premiers pas vont marquer la suite du chemin. Il conseille de revenir à ce qu’il appelle les «fondamentaux du management». À commencer par ne pas surjouer l’autorité : «On ne demande pas à ses anciens collègues de passer au vouvoiement», illustre-t-il. Un néomanager témoigne que l’un de ses ex-collègues lui a demandé s’il devait passer au «vous»…

Trouver la bonne distance avec ceux qui ne sont pas, ou plus, des copains, et qu’il s’agit de traiter équitablement, en faisant fi des affinités personnelles, se révèle clé. Bertrand Déroulède invite à rencontrer au plus vite les membres de l’équipe, individuellement lorsque l’effectif le permet, et collectivement, en veillant à combiner les deux modes d’échange, insiste-t-il. « En usine, s’appuyer sur des team leaders se révèle aussi très précieux », conclut-il. Selon lui, ce qui fait devenir manager n’est pas la lettre de nomination, mais les actes posés par l’individu ainsi promu.

Apprendre à dire “non”

Ce que Nathalie* a parfois trouvé compliqué. Notamment quand il lui a fallu apprendre à dire non à certains collègues, ou à en recadrer d’autres, une fois devenue directrice administrative et financière d’un organisme paritaire de formation. Elle a même dû procéder à un licenciement. «Se séparer de quelqu’un que l’on connaît, c’est très compliqué.» Léa abonde. Elle considère que déployer du «courage managérial» s’impose, mais que ça n’est pas toujours simple. Même quand, comme pour elle, la chaîne hiérarchique a pris soin de présenter à l’équipe les raisons de son choix et lui apporte son soutien dans les moments difficiles.

Outre la posture, l’autre enjeu du positionnement tient à la prise de conscience du nouveau promu qu’il a changé de métier. Nombre d’organismes de formation déploient des programmes dédiés aux managers responsables du pilotage d’anciens collègues. «Le manager n’est pas le meilleur des équipiers, prévient Frank Salles. Il exerce une autre profession. Cela requiert d’autres compétences que les seules connaissances opérationnelles.» D’autant que les relations de la personne promue changent aussi avec les autres services dans lesquels, là encore, elle retrouve d’anciens collègues. En dépit des forts enjeux, les experts interrogés soulignent que, parfois, les transitions se font en douceur. «Certaines nominations sont perçues par les équipes comme une évidence, explique Frank Salles. Elles sont quelquefois vécues comme une reconnaissance du bon travail accompli par l’équipe.» Autrement dit, il arrive que les promotions individuelles saluent une performance collective. L’exception qui confirme la règle

L’accompagnement, un remède à la solitude du manager

«On n’est pas nommé manager, on se fait reconnaître comme tel. La nomination actée, rien n’est acquis, c’est juste le début de l’histoire», selon Maurice Thévenet, professeur à l’Essec. À ses yeux, pour le devenir vraiment, plus que suivre une formation, le manager doit être accompagné. Pourquoi pas par un coach, admet-il. Mais surtout par des pairs. Selon lui, ils doivent être « déconnectés » de l’équipe concernée. Mais autant que possible, ils appartiennent à la même entreprise, dont ils connaissent ainsi la culture. «Ce devrait être le rôle du manager du manager, son N+1. Il doit protéger ses chefs d’équipe ou de service, soutenir leur crédibilité. Mais bien souvent, il ne le fait pas, pas plus que les professionnels des ressources humaines», regrette l’expert. Résultat : les managers intermédiaires se retrouvent fréquemment seuls, observe-t-il, dans l’incapacité de partager leurs difficultés, tant avec leurs subordonnés qu’avec leurs responsables. Parfois au péril de leur santé mentale.



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