À Lumbres (Pas-de-Calais), Eqiom prévoit de réduire de 20% les émissions de CO₂ et de diviser par deux les besoins en combustibles de sa cimenterie, grâce à un nouveau four prévu pour l’été 2026. Le gros œuvre vient de s’achever, laissant la place aux travaux d’équipements de l’installation.
À la sortie du village de Lumbres (Pas-de-Calais), 3577 habitants, une immense structure se dresse à l’horizon. Massive : 50000 mètres cubes de béton, 9000 tonnes d’acier. Le futur four de la cimenterie Eqiom prend forme. Baptisé K6, il remplacera les fours actuels (numéros 4 et 5), mis en service en 1958 et 1974, moyennant 300 millions d’euros d’investissement. Le gros œuvre est terminé, l’aménagement des équipements techniques bat son plein.
Franck Stassi Prévu pour démarrer à l’été 2026, le four K6 doit permettre à l’usine d’abaisser de 20% ses émissions de CO2 par tonne de ciment fabriquée. Les besoins en combustibles, eux, devraient être réduits de 30% par tonne de clinker, le composé de base du ciment, obtenu par cuisson à 1450 degrés d’un mélange de calcaire et d’argile, puis broyé. L’usine actuelle fabrique 600000 tonnes de clinker et 800000 tonnes de ciment par an ; la nouvelle installation doit permettre de fabriquer 1 million de tonnes de clinker et autant de ciment. De quoi devenir exportateur de clinker, et non plus importateur.
Implantée à Lumbres depuis 1884, la cimenterie a connu différents propriétaires successifs jusqu’au groupe irlandais CRH, dont Eqiom est une filiale, en 2015. Les premières études pour le réaménagement du site remontent à 2019. «Nous reconstruisons l’ensemble du process, de la carrière jusqu’au produit fini. Nous passons d’un process par voie humide à un process en voie sèche», décrit Luc Cousin, le directeur technique et projets d’Eqiom. C’est ce qui permet de réduire la consommation d’énergie, puisqu’il n’y a plus besoin d’évaporer de l’eau.
30 ouvrages construits en quinze mois
Cette transformation a nécessité la construction de 30 ouvrages au total, parmi lesquels un concasseur et un lieu de stockage de matières premières, une tour de préchauffage, un silo de 50000 tonnes dédié au clinker et une installation de stockage de combustibles solides de récupération. «La construction de tous ces éléments en même temps a constitué le plus gros challenge», illustre Vincent Fievet, le responsable travaux et responsable du projet K6 de Bouygues Bâtiment Industrie Nord-Est, l’une des entités de la filiale dédiée à l’industrie créée en 2024 par le groupe.
Franck Stassi Démarrés le 27 mai 2024, les travaux de gros œuvre se sont achevés le 25 septembre 2025, en mobilisant 423 compagnons, 20 chefs de chantier et 15 conducteurs de travaux. Sept grues à tour et, selon la phase du chantier, de trois à cinq grues mobiles ont été installées, après avoir creusé 500 pieux au démarrage des travaux. Parmi les installations les plus impressionnantes figure une tour de refroidissement, haute de 115 mètres. Six ouvrages ont été réalisés en coffrage glissant, avec un coulage ininterrompu six jours et demi sur sept.
Franck Stassi Pour accélérer la prise des ouvrages en coffrages glissants, ceux-ci ont été réalisés à base de ciment classique, tandis que d’autres parties du chantier l’ont été avec des ciments moins gourmands en clinker. Les prémurs des postes électriques et du hall de stockage de CSR ont été préfabriqués. Pour assurer le chantier, «les compagnons ont loué les Airbnb et les campings de la région», ajoute Vincent Fievet : le pic d’activité a été atteint entre septembre et décembre 2024, avant de redescendre à 150 personnes entre janvier et septembre 2025, puis un départ programmé des deux dernières personnes de Bouygues Construction avant la fin de l’année.
Des travailleurs chinois sur le chantier
Dans un contexte de tensions sur le marché des transformateurs électriques, l’équipement a été commandé deux ans et demi à l’avance. Les équipements mécaniques et électriques, ainsi que le four sont pour leur part en cours d’installation, sous la houlette d’un groupement mené par l’entreprise allemande IKN et la société chinoise CBMI, dont les ouvriers (électriciens, soudeurs, monteurs mécaniques, soudeurs, briqueteurs…) sont arrivés à Lumbres fin 2024.
En juin, la Fédération nationale des salariés de la construction CGT a organisé une manifestation devant le site pour dénoncer cette situation, dénonçant la situation de 250 travailleurs chinois, employés «douze heures par jour, six jours par semaine». «Nous avons consulté des constructeurs européens, qui ont répondu sous forme de consortiums. Les ouvriers sont sous contrats français, pour un an environ. L’entreprise doit apprendre les normes sociales françaises. L’intégration s’est bien passée, avec des incidents mineurs», évacue, chez Eqiom, Luc Cousin.
Le projet de stockage du CO2 en suspens
Prochaine étape pour le projet K6 : la formation des opérateurs de la cimenterie. «En passant de la voie humide à la voie sèche, la marche est haute», expose le directeur technique d’Eqiom. Depuis le mois de mars, 60 personnes se relaient dans une salle simulant la conduite des opérations avec le nouveau process, et passent deux semaines dans une cimenterie du groupe opérant en voie sèche, au Maroc. CBMI prendra le relais sur la formation lorsque le four sera démarré, et continuera à être présent durant trois mois.
Ensuite, en février 2026, Eqiom attend l’ensemble des permis pour son projet de capture, du stockage et de la valorisation du carbone, pensé comme une deuxième phase de la décarbonation du site de Lumbres. «Nous attendons des financements. La conjoncture économique et politique est difficile, tandis qu’il y a des incertitudes sur le prix du CO2», indique Luc Cousin. Le projet est estimé à 600 millions d’euros.


