Dévoilé le 3 décembre, le plan REsourceEU de la Commission européen, prévoit de recourir à des achats communs de matières premières et à la constitution de stocks. Il prévoit de mobiliser 3 milliards d’euros de financements à cet effet
La menace de la Chine, en octobre, de mettre à l’arrêt des usines européennes en suspendant ses livraisons de terres rares a provoqué un vent de panique à Bruxelles. Élaboré en urgence, le plan REsourceEU dévoilé le 3 décembre constitue la réponse de la Commission européenne à la trop forte dépendance de l’industrie européenne aux métaux critiques produits en masse par la Chine.
Son objectif est d’accélérer la diversification des approvisionnements de ses entreprises. Une gageure alors que Pékin pèse pour près de 100% des terres rares raffinées et 97% du graphite et du magnésium consommés en Europe. «On a besoin des approvisionnements chinois. Mais on a aussi besoin de les faire diminuer», résume le commissaire européen à l’Industrie Stéphane Séjourné. Depuis la détente engagée avec Donald Trump, Pékin a suspendu pour un an ses contrôles à l’exportation pour les terres rares et certains produits pour les batteries. Mais le risque d’un nouveau accès de tensions demeure.
La BEI mise à contribution
Depuis mai 2024, l’Europe s’est déjà dotée d’un acte sur les matières premières critiques (Critical Raw Material Act) et ambitionne d’extraire 10% des métaux stratégiques dont a besoin l’Europe de son sous-sol et d’en produire 15% via le recyclage en 2030. Au total, 65% de la consommation annuelle de matières premières stratégiques de l’Europe ne devrait plus provenir à cette date d’un seul pays tiers, et ce, à toutes les étapes de production. Mais ces cibles ne sont pas contraignantes. «L’Europe ne s’est pas donné de ses ambitions. Elle a labellisé des projets stratégiques, accéléré des permis, mais ce qui manquait, c’était de mettre de l’argent sur la table. Or, si on veut faire décoller ces projets, il faut pouvoir prendre des risques», décrypte Albéric Mongrenier, le directeur du think tank EIES, à Bruxelles.
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Pour accélérer le rythme, la Commission européenne propose désormais de mobiliser 3 milliards d’euros, apportés par les programmes InvestEU et le fonds pour l’innovation. La Banque européenne d’investissement (BEI) devrait aussi être mobilisée, en financement et en garantie. Ces nouveaux moyens devraient permettre d’investir directement dans des projets de mines ou de raffinage de métaux européens. Une partie pourrait aussi servir à garantir des stocks auprès d’acteurs étrangers non chinois, dans le but de limiter la dépendance vis-à-vis de Pékin.
Acheter en commun et stocker des matières premières
En parallèle, la Commission prévoit de se doter, courant 2026, d’un centre européen pour les matières premières critiques. Bruxelles veut s’inspirer du Jogmec, l’agence japonaise des matières premières chargée de coordonner la politique d’approvisionnement des industriels de l’Archipel. «On aura des équipes capables de parler aux producteurs de matières premières et aux consommateurs», détaille Stéphane Séjourné. Pour être opérationnel, les États-membres et le Parlement européen doivent encore le valider.
Mais, c’est ce centre qui pourrait être à la manœuvre pour constituer des stocks, mais aussi pour aider les industriels à trouver des fournisseurs hors de Chine et organiser des achats groupés de certaines matières critiques. Comme pour le gaz au début de la guerre en Ukraine, la Commission compte sur l’agrégation de la demande au niveau européen pour renforcer le pouvoir de négociation de l’Europe. Des mesures ambitieuses qui, comme la constitution de stocks, ne fait pas l’unanimité chez les industriels.
Pour rester dans la course mondiale aux matières critiques, les Européens ne vont pas avoir vraiment d’autre choix que d’en faire plus. Les Américains sont déjà passés à l’offensive et multiplient les contrats pour sécuriser leurs approvisionnements hors Chine. Les deux premiers contrats signés par l’usine de Solvay à la Rochelle (Charente-Maritime) concernent ainsi des clients américains, alors que le pays s’est fixé une diversification totale des terres rares chinoises en janvier 2027 pour toute l’industrie de défense.
La Commission et les États-membres ne peuvent cependant pas être seuls à la manœuvre pour sécuriser les approvisionnements. «Une partie de la stratégie de stockage doit être supportée par les entreprises. On ne doit pas se retrouver comme en octobre, avec des stocks privés inférieurs à deux semaines qui ne permettent pas de faire face à une crise géopolitique», prévient Stéphane Séjourné. Dans les entreprises, le réflexe reste pour beaucoup d’acheter au moins cher, sans se soucier des risques pour leur résilience. Et pour sortir de terre, les projets de raffineries et de mines européennes ont besoin de trouver des clients. Or les industriels ne se mobilisent pas encore suffisamment, critique en France le délégué interministériel aux approvisionnements en métaux critiques Benjamin Gallezot. «Le problème ne vient pas des États mais des entreprises. On a besoin que les entreprises européennes utilisatrices se sourcent auprès des capacités que l’on a créées», juge-t-il dans une interview à l’Usine Nouvelle.
Pas de contrainte pour l’instant pour les entreprises
Pour l’instant, la Commission ne prévoit pas d’imposer aux entreprises des objectifs contraignants pour diversifier leurs sources d’approvisionnement. Mais les entreprises européennes seront tenues d’informer leur conseil d’administration de leurs avancées en la matière. Si les entreprises ne sont pas au rendez-vous, «on ne s’empêche pas de rendre obligatoire certaines mesures de diversification. Il faut, pour un enjeu de sécurité économique, que les entreprises européennes arrêtent d’acheter 100% chinois», menace Stéphane Séjourné.
Afin de rendre les projets européens plus compétitifs, des contrats pour différence (CfD) devraient aussi être déployés, début 2026, pour les projets européens de raffinage ou de production de matériaux critiques en Europe. Le mécanisme existe déjà pour l’électricité, un marché moins complexe que celui des métaux. Et il pourrait contribuer à donner plus de visibilité sur le prix d’achat des matières pour les industriels comme pour les miniers et les raffineurs, en fixant un prix plancher et un prix plafond.
L’Europe veut aussi garder pour elle ses propres ressources de matières premières et éviter que celles-ci ne quittent le continent. Des mesures de restrictions aux exportations ou des droits de douane prohibitifs devraient être mis en place pour limiter les exportations d’aimants permanents en fin de vie «afin d’éviter qu’ils reviennent recyclés de l’étranger». La Commission veut s’assurer que ces gisements profitent d’abord à ses propres industriels et contribuent à faire baisser les prix. Des mesures similaires devraient aussi s’appliquer aux déchets d’aluminium, alors que les industriels se plaignent de la concurrence forte sur cette ressource aussi appelée “scraps”. La Commission a par ailleurs prévu d’étendre, de façon préventive, son règlement permettant de maintenir ouvert le marché unique en cas de crise majeure sur les matières premières. Un dispositif exceptionnel actionné seulement pendant le covid. De quoi se préparer au pire.


