Marquée par les stigmates de l’extraction passée et par une catastrophe en 1998, la région autonome du sud de l’Espagne connaît une nouvelle ruée minière. Suscitant espoirs et inquiétudes.
L’envol d’un oiseau, depuis les bâches qui recouvrent de vastes piscines d’électrolyse, détonne dans le silence et la lourde lumière jaune. À 20 kilomètres à peine de Séville, la capitale de l’Andalousie, la chaleur de l’été pèse, mais l’ambiance n’est pas aux terrasses bondées. Ici, dans la commune de Gerena, jusqu’en 2023, l’entreprise Cobre Las Cruces (CLC, filiale du géant canadien First Quantum Minerals) a extrait l’un des minerais de cuivre les plus riches de la région, transformé sur place en cathodes métalliques.
Depuis, l’usine est à l’arrêt, seulement parcourue par des ouvriers de maintenance. Dans la gigantesque mine à ciel ouvert attenante, épuisée, les camions se bornent à des travaux de remblayage. Le site est pourtant au centre des attentions. Il héberge l’un des 47 projets sélectionnés par la Commission européenne, en mars, pour sécuriser et diversifier l’approvisionnement en matières premières stratégiques du continent.
Come SITTLER Le plan ? Construire une «raffinerie polymétallique d’un nouveau genre, raconte fièrement Joaquín Gotor Martínez, le directeur technologie et environnement de CLC. Nous n’allons plus produire un seul métal, mais quatre : cuivre, zinc, argent et plomb.» Ce qui implique plusieurs nouveaux bâtiments pour concentrer le minerai (c’est-à-dire le réduire en poudre et augmenter sa teneur en métaux) et raffiner les nouveaux venus. Un choix dicté par le futur minerai exploité, moins riche en métal rouge, mais plus divers… Pour l’extraire, CLC prévoit une mine souterraine sous la fosse actuelle, en sortie de laquelle un petit train automatique fera un looping pour décharger le minerai qu’il remonte ! Un projet à 850 millions d’euros, dont le démarrage est prévu en 2027… First Quantum cherche pour cela à céder CLC au bon investisseur, maintenant que le projet est ficelé et doté des autorisations nécessaires.
Come SITTLER Cette installation marquerait un nouveau chapitre dans la longue histoire d’extraction minière de ce petit coin de l’extrême sud de l’Europe. Pour le désigner, les spécialistes parlent de «ceinture pyriteuse ibérique» : une merveille géologique qui s’étend de Séville au Portugal, sur 250 kilomètres, et qui est exploitée depuis les Phéniciens et les Romains. Pour sortir des sentiers battus, les touristes peuvent, encore aujourd’hui, s’approcher de l’un des nombreux cratères laissés par d’anciennes mines d’or et d’argent. Les plus motivés prennent un train touristique grinçant et longent le Río Tinto, la «rivière rouge» en français. La couleur sang et les rivages orange vif de ce cours d’eau ultra-acide chargé en métaux toxiques lui donnent un air de cicatrice. Autour, des montagnes de déchets miniers et des locomotives abandonnées rappellent que c’est ici, à l’orée du XIXe siècle, que s’est créé le consortium du même nom, l’un des plus grands du monde, pour produire du soufre puis du cuivre.
Épuisement des gisements les plus riches
Chassé sous la dictature de Franco, le groupe Rio Tinto n’est plus en Espagne. La mine, si, exploitée par Atalaya Mining. Sa gigantesque usine, au bord d’une fosse de 2,5 kilomètres de longueur et 280 mètres de profondeur, baptisée Cerro Colorado pour la couleur rouge de ses roches, tourne à plein régime. Au bord du précipice, une rangée de tombereaux jaunes stationnés donne conscience de l’échelle des machines en opération de l’autre côté de la mine, qui ne se repèrent qu’au scintillement de leur pare-brise. En 2024, Atalaya Mining a excavé 15,2 millions de tonnes de minerais et près de 33 millions de roches stériles, pour fabriquer 252000 tonnes de concentré de cuivre, contenant 46000 tonnes de métal rouge. Pour continuer sur sa lancée, l’entreprise a lancé cette année un projet d’extension vers un gisement adjacent, San Dionisio, qui sera exploité à ciel ouvert et en souterrain.
Come SITTLER Partout, les miniers font face à l’épuisement des gisements les plus riches et les plus accessibles. Entre 2020 et 2024, la production de la région est passée de 136000 à 103000 tonnes de cuivre, chiffre l’International Copper Study Group. «Nous attaquons du minerai qui n’aurait pas été considéré comme tel il y a cinquante ans, avec des teneurs plus faibles», résume l’ingénieur en chef des mines de CLC, Iván Carrasco, à une cinquantaine de kilomètres de là.
Come SITTLER La stratégie consiste aussi à chercher plus loin dans les entrailles de la terre. «Il n’y a pas eu beaucoup de forages en dessous de 400 mètres et parfois on a des surprises. On dit dans le secteur que la grande mine est encore à découvrir», déclare en souriant Iván Carrasco, géologue de formation. Une confiance qui tranche avec le marasme des années 1990-2000, quand tous les sites de la région avaient fermé face à la déprime des cours du cuivre. Depuis 2009, cinq mines ont déjà ouvert. Et une fièvre d’exploration en laisse entrevoir d’autres, probablement souterraines, comme rêvent d’en créer des entreprises comme Denarius Metals, Tharsis Mining ou Pan Global.
Une termitière à taille humaine
Non loin de la frontière portugaise, Sandfire Matsa donne un aperçu de ce à quoi elles pourraient ressembler. Il y a quatre ans, l’entreprise australienne Sandfire a déboursé 1,6 milliard d’euros pour acquérir le groupe Matsa, qui possédait une énorme usine de concentration – concentrés de cuivre, de zinc et de plomb vendus séparément à un prix plus élevé aux raffineries avides de produits avec le moins d’impuretés possible – et trois mines souterraines. Descendre dans l’une d’elles, que l’on gagne en pick-up via une longue rampe d’accès en spirale, donne l’impression de pénétrer dans une termitière à taille humaine. Dans la pénombre, les véhicules indiquent leur présence via des balises lumineuses et des banderoles réfléchissantes. Mais contrairement aux apparences, «la mine est très connectée», souligne Aden Muñoz, le chef des opérations intérieures du site d’Aguas Teñidas. À plus de 500 mètres sous terre, une borne Wi-Fi transmet en direct les actions d’un engin de forage, recouvert par les trombes d’eau qu’il injecte dans le plafond pour cribler la roche de trous de 18 mètres où seront logés des explosifs. Pour limiter l’impact environnemental, 40% des résidus miniers sont transformés en ciment, qui sert à reboucher les galeries épuisées.
Come SITTLER L’exposé de Rob Scargill, coupe courte à la tondeuse, grande silhouette, fait penser à un briefing militaire dans son bureau, dont les murs sont couverts de cartes colorées de ses mines. «Le cuivre est un métal critique pour la transition énergétique, qui bénéficie aussi de la croissance de la classe moyenne mondiale souhaitant accéder à l’électricité, à la mobilité et à la réfrigération», résume le directeur général de Sandfire Matsa, dont l’un des objectifs est de quasiment doubler les réserves de minerai identifiées dans ses mines d’ici à cinq ans. En fixant l’objectif de produire 10% des besoins en métaux du continent à domicile, «le Critical raw materials act a mis un accent sur les mines en Europe que l’on n’avait plus connu depuis trente ou quarante ans», avance le Britannique d’origine, passé par des mines du monde entier. Et le cuivre est attractif : Sandfire Matsa affiche 43% de marge d’Ebitda en 2024 et est «très positif» sur l’évolution à venir des prix de ce métal, alors que les grands gisements s’épuisent et que le recyclage a ses limites.
Juridiction stable et salaires modérés
La géologie n’est que l’un des atouts de l’Andalousie. «La compétitivité est liée aux teneurs, mais pas seulement. La logistique est très bonne et nous achetons en Espagne la majorité de nos intrants, comme le ciment et les réagents», détaille Rob Scargill. La juridiction stable et les salaires modérés sont aussi attractifs aux yeux des grandes entreprises. Sandfire, comme ses pairs, peut exporter l’ensemble de son concentré majoritairement traité en Chine (car le cuivre andalou contient trop d’impuretés) via le port de Huelva, où le négociant Trafigura possède des entrepôts géants et fait passer ses lourds bateaux minéraliers au large des plages où s’amassent les estivants.
«La reprise de l’extraction minière métallique en Andalousie est emblématique : le discours insiste sur la nouvelle mine, verte, au service de la transition énergétique… Mais c’est une logique productiviste : les volumes extraits ne cessent d’augmenter, ce qui veut aussi dire davantage de déchets qui s’accumulent», critique l’anthropologue Doris Buu-Sao, maîtresse de conférences à l’université de Lille, qui a étudié la mine de Río Tinto. La chercheuse signale d’ailleurs que localement, «l’attachement à la mine est ambivalent», marqué par «des inquiétudes et des controverses», à propos de l’impact sanitaire des poussières des terrils et de la solidité de la digue à résidus d’Atalaya Mining…
Come SITTLER Dimanche 29 juin, à 9 heures, ces débats ont gagné le centre de Séville. Malgré la canicule, une centaine de personnes se retrouvent devant la cathédrale. «Le cœur d’Aznalcóllar se remet à battre», indique une banderole. La messe du jour est exceptionnelle, dédiée à la réouverture de la mine de ce petit village de la province de Séville qui devrait créer 450 emplois. Le maire, Juan José Fernández Garrido, ne cache pas son émotion : «Il y a quinze ans, nous nous sommes enfermés dans cette cathédrale durant plus de 270 jours pour lutter afin que la mine rouvre. Nous nous étions promis de revenir.» Ancien technicien de maintenance dans la mine, l’élu communiste raconte comment sa fermeture, en 2001, avait fait exploser le taux de chômage local, aujourd’hui de 25%. Fin mai, Minera Los Frailes, un consortium formé du géant latino-américain Grupo Mexico (16 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024) et de l’ingénieriste espagnol Magtel, a obtenu le permis pour relancer l’activité. Un investissement de 450 millions d’euros est prévu pour ouvrir d’ici à 2029 une mine qui produira principalement du zinc et du plomb. À l’intérieur de la cathédrale, l’archevêque en personne célèbre la «restauration et la renaissance» du site et du village, tout en prenant garde d’appeler à garder en tête la protection «de la maison commune» et de l’environnement.
Crainte d’un retour de pollution à Aznalcóllar
À quelques centaines de mètres de l’édifice, une poignée de manifestants, en habits de deuil, s’est rassemblée pour contester le projet et son impact sur le fleuve Guadalquivir, où CLC prévoit de déverser des eaux usées. La contestation est exacerbée par le nom d’Aznalcóllar. En 1998, l’effondrement d’une digue de stockage de résidus miniers, quand le site était géré par le suédois Boliden, a causé l’un des plus grands désastres environnementaux du pays. Par la brèche se sont déversés plus de 6 millions de mètres cubes de boues chargées en métaux lourds comme de l’arsenic et du cadmium, polluant la région sur 80 kilomètres.
Come SITTLER L’agriculture y est toujours prohibée et la mémoire du drame encore vive… Devant l’église, en élégant costume bleu et cravate de lin pour l’occasion, le directeur général de Minera Los Frailes, Miguel Ángel González, se veut rassurant. «C’est un projet de restauration environnementale permis par l’argent généré par la mine. C’est si nous ne le faisons pas qu’il y a un risque, car de l’eau s’accumule dans la fosse d’Aznalcóllar et pourrait déborder», argue le Mexicain. Il prévoit d’assécher cette ancienne mine à ciel ouvert, où les résidus ont été entassés après la catastrophe, tout en dépolluant l’eau grâce à une station de traitement des eaux à 60 millions d’euros construite pour l’occasion. Ce n’est qu’ensuite que débutera la construction d’une mine souterraine, pour un démarrage visé en 2029. Les terrils existants seront réaménagés et couverts de terre et de végétation pour limiter le drainage minier acide, un phénomène lié à la teneur en soufre de la roche excavée qui fait que l’eau de pluie s’acidifie et se charge en métaux toxiques en ruisselant. «Il n’y aura pas de digue. Les déchets miniers serviront à 55% à combler les galeries et le reste sera déversé dans la fosse d’Aznalcóllar», ajoute Enrique Olivas, ingénieur hydrogéologue sur le projet.
Contemplant le Guadalquivir depuis le pont de la Demoiselle, à Séville, Jesús Castillo s’inquiète. «Les contaminations importantes ont commencé au XIXe siècle, avec la mine industrielle», explique le professeur d’écologie à l’université de Séville, spécialiste des pollutions dans les estuaires. Alors que les entreprises minières affirment respecter les normes de concentrations en vigueur, lui pointe les métaux qui s’accumulent dans les sédiments. «Tout est contaminé ici. On note déjà des effets écotoxiques sur les organismes», dénonce le chercheur, qui a mis en évidence qu’un tiers des gardons du fleuve contiennent plus de plomb que ne l’autorisent les normes à la consommation européennes.
«Ce n’est pas qu’un conflit entre l’industrie et l’environnement, mais entre les quelques postes que va créer la mine et les milliers d’emplois qui seront affectés, dans la pêche, le tourisme et l’agriculture», tance Jesús Castillo. Un discours qui a convaincu une dizaine de maires de communes en aval, ainsi que quelques responsables de fédérations professionnelles de manifester le 20 juillet dans le village de Chipiona, pour demander un moratoire sur l’ouverture de nouvelles mines, et une étude indépendante sur celle de Los Frailes, qui prévoit de déverser ses eaux usées dans le fleuve. Pour les soutiens comme pour les opposants, l’Andalousie est un «laboratoire» du renouveau minier en Europe. Mais le mot n’a pas la même résonance pour chacun.


