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Ota Benga, un Pygmée exposé et humilié pour le bon plaisir des Américains

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Lu il y a 5 minutes



[Industry story – Le podcast] Vie et mort d’un ouvrier pas comme les autres, sacrifié sur l’autel du racisme prétendument scientifique, au début du XXe siècle aux États-Unis.

Alors que le ciel de ce 19 mars 1916 s’éteint mollement, les flammes du feu cérémoniel qu’il a allumé dans la remise brillent dans les yeux du jeune ouvrier. Le trentenaire retire ses vêtements occidentaux et les coiffes nacrées qui couvrent ses dents acérées, écarte ses compagnons, saisit le pistolet qu’il a emprunté, le pointe sur son cœur et tire. Ici, s’achève la vie tragique d’Ota Benga.

Si certains restent moqueurs et distants, la plupart de ses collègues apprécient Bingo. Et admirent son agilité, lorsqu’il s’agit de grimper sur les longues perches pour atteindre les feuilles de tabac qui sèchent en hauteur, et sa dextérité pour le dégrappage des nervures principales. Le travail est harassant et mal payé.

Mais Ota Benga, devenu Otto Bingo, s’est fait des amis à la manufacture depuis son arrivée à Lynchburg, en Virginie. Lors de leurs balades dans les bois environnants, contre un en-cas et une bouteille de root beer, il raconte aux ouvriers sa vie heureuse dans la forêt de l’Ituri, au Congo, puis les aventures dramatiques qui s’ensuivirent. Capturé et acheté… Samuel P. Verner parle, lui, de sauvetage.

Considéré comme une «curiosité ethnologique»

Tout bascule en 1904 à l’arrivée du missionnaire presbytérien américain au Congo. Réputé expert du continent africain, le négociant est chargé de trouver et de ramener des Pygmées pour l’Exposition universelle de Saint-Louis. Âgé de 21 ans, orphelin, Ota fait partie d’un lot de dix hommes qui embarquent pour les États-Unis. Ils vont devenir des «curiosités ethnologiques» pour leur petite taille, leurs tenues et leurs chants traditionnels face aux visiteurs impressionnés, avides de frissons et prompts à rassurer leur supposée supériorité.

Contre quelques pièces, les indigènes dévoilent leurs dents aiguisées comme de petits poignards. On pointe du doigt, on rit, on prend un air curieux, narquois, voire dégoûté. On jette des objets aussi. Certains se désolent du spectacle. Mais ils sont bien rares parmi les 20 millions de visiteurs. Le retour d’Ota au Congo, en compagnie de Verner, l’année suivante, lui offre des retrouvailles avec sa terre et une rencontre. Celle d’une femme qui devient son épouse. Un répit jusqu’à la morsure fatale d’un serpent qui fait de lui un veuf. Sans attache, il repart avec Verner, direction New York.

Le missionnaire le flanque au musée américain d’histoire naturelle, tel un trophée. Libre de ses mouvements ou presque, car il a pour interdiction de quitter les lieux. Sa tentative, un jour, de fuir en se mélangeant à la foule des visiteurs se solde par un échec. Captif, Ota déprime. Sa place n’est pas dans un musée. Le zoo du Bronx semble plus approprié, pense-t-on. La première semaine, il participe aux travaux de la ménagerie auprès des gardiens. Mais pourquoi ne pas profiter de l’exotisme du personnage ?

Bientôt une vie d’ouvrier plus décente

À compter du 8 septembre 1906, le Pygmée passe du mauvais côté de l’enclos, dans la cage des primates. Offert aux yeux de 40 000 visiteurs quotidiens, dans un simulacre de forêt africaine, il tire à l’arc et joue avec un perroquet, un chimpanzé et un orang-outan. Malgré lui, il amuse la galerie et devient une célébrité. Et, rapidement, le symbole du racisme lorsque des pasteurs afro-américains menacent de poursuivre le directeur du zoo. Des intellectuels et une partie de la presse s’en font l’écho. Après trois semaines de spectacle indigne, Ota est à nouveau déplacé, cette fois dans différents orphelinats où il apprend les rudiments de la langue.

Bientôt, Benga deviendra Bingo, travaillera à la manufacture, sera, presque, l’égal des ouvriers, aura une vie plus décente. Si le travail le libérera de son statut de sauvage de foire, il n’effacera pas les stigmates des outrages répétés. Alors, le ciel s’éteindra, les flammes brilleront et Ota Benga s’en ira, de sa propre volonté. Loin de la sauvagerie des hommes.

Vous lisez un article du numéro 3748 de L’Usine Nouvelle – Novembre 2025

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