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Malgré les vents contraires sur le TiO₂ européen, Tronox a investi 30 millions d’euros pour pérenniser sa production alsacienne historique

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Lu il y a 11 minutes



De février à octobre 2025, le fabricant américain de pigments Tronox a modernisé son usine historique de Thann (Bas-Rhin), pour un investissement total de plus de 30 millions d’euros. Une initiative menée alors même que plusieurs producteurs de dioxyde de titane (TiO₂) en Europe et au Royaume-Uni ont préféré fermer ou vendre leurs sites cette année.

En contrebas des coteaux de vignes alsaciennes, délimitée par une nationale et encadrée de commerces et d’habitations qui ont poussé de part et d’autre, l’usine opérée par le numéro deux mondial du dioxyde de titane Tronox (derrière Chemours) se fondrait presque dans la ville de Thann (Haut-Rhin). En novembre, le groupe américain clôture près de neuf mois de chantiers, pour un investissement de 30 millions d’euros, qui a permis de moderniser et de pérenniser ce site industriel historique, vieux de plus de 200 ans.

Passée dans le giron de Tronox en 2019 suite à l’acquisition des activités dioxyde de titane (TiO₂) du saoudien Cristal, l’usine alsacienne est aujourd’hui la seule en France à produire du TiO₂, pigment blanc ou opacifiant omniprésent dans les peintures, les médicaments ou encore les plastiques. Pour le fabriquer, les équipes de Thann utilisent le procédé à base de sulfate par voie humide, utilisant de l’acide sulfurique pour extraire et purifier le TiO₂ sous forme de cristaux d’anastase, qui conviennent mieux aux productions de qualité standard (peintures, plastiques). Pour les peintures haut de gamme, les cosmétiques ou encore les produits pharmaceutiques, un procédé différent est privilégié, à base de chlore, afin d’obtenir un TiO₂ de très haute pureté.

50 millions d’euros encore nécessaires

Chaudière, cheminée, électrofiltre… En tout, 17 équipements majeurs ont été remplacés ou rénovés durant les travaux qui ont duré neuf mois. Une modernisation de l’usine de 250 employés, s’inscrivant dans le cadre d’un plan de transformation décennale initié en 2020, et articulé autour de quatre piliers : la R&D, la décarbonation, l’économie circulaire par un meilleur recyclage des coproduits et la préservation de l’eau. Afin de finaliser cette transformation d’ici à 2030, un investissement supplémentaire de 50 millions d’euros sera nécessaire.

Lors de son démarrage en 1808, l’usine produisait des acides sulfurique, tartrique ou encore nitrique à destination de l’industrie textile. « En 1922, la fabrication de dioxyde de titane (TiO₂) pigmentaire pur est née ici. Donc toutes les usines du monde qui fabriquent ce type de produits ont une racine thannoise sans forcément le savoir », ironise Emmanuel Sibileau, directeur du site depuis plus de vingt ans. Dans les années 1980, l’usine délaisse les commodités chimiques pour se rabattre sur plus de spécialités, en lançant sa production de TiO₂ ultrafins.

« Sans dioxyde de titane, les plastiques sont transparents. Sans dioxyde de titane, les peintures couvriraient très mal les supports », image Emmanuel Sibileau. Plus précisément, l’installation alsacienne produit du pigment TiO₂ amélioré, utilisé notamment pour traiter les verres des smartphones ou encore opacifier les billets de banque. « Nous sommes certifiés par la Banque de France pour les euros, mais aussi pour le papier modèle sur lequel sont imprimés les dollars aux États-Unis », souligne le directeur. L’usine produit aussi des TiO₂ ultrafins, à destination principalement de la catalyse environnementale (purification de l’air…).

Un ratio de deux tonnes de matière première, pour une tonne de produits finis

La production de Thann est totalement intégrée verticalement. Les sables noirs, minerais naturels contenant 50 à 80 % de titane, mais aussi de l’oxyde de fer leur donnant cette couleur sombre caractéristique, sont extraits des mines de Tronox, en Australie et en Afrique du Sud. Les minerais sont ensuite broyés, séchés, puis mélangés avec de l’acide sulfurique produit sur le site. « Puis, nous allons faire, ce qui ne faut jamais faire : mettre de l’eau dans l’acide », explique Emmanuel Sibileau. La réaction – fortement exothermique – se déroule sur une douzaine d’heures et nécessite des réacteurs fermés, afin de dissoudre le minerai dans l’acide. « Quand on fait cette réaction, nous demandons même d’évacuer la zone pour des raisons de sécurité », détaille le directeur. Après l’élimination d’un certain nombre d’impuretés, la solution noire obtenue est hydrolysée, afin de faire précipiter le titane qui révèle ainsi sa couleur blanche. Le TiO₂ en suspension passe par plusieurs étapes de lavage, avant de subir plusieurs traitements chimiques en fonction des exigences des clients finaux, et termine sa course dans l’un des trois fours de calcination de l’usine, pour un temps de séchage de 8 à 16 heures, à une température comprise entre 500°C et 1 100°C. La poudre blanche sèche est finalement broyée et conditionnée dans des big-bags, de 500 kg à une tonne. « Entre le début et la fin du procédé, il se passe plus de deux semaines pour une quinzaine d’étapes », résume le directeur. Le ratio en sortie : pour deux tonnes de minerais qui entrent, une tonne de produits finis repart.

Grâce au chlore fourni par le fabricant de dérivés de potasse Vynova, possédant une unité d’électrolyse membranaire sur le même site industriel de Thann, Tronox synthétise aussi du tétrachlorure de titane (TiCl₄) sur place. Cet élément chimique sert à fabriquer un TiO₂ par voie chlore, très blanc et très pur, utilisé dans les peintures automobiles, dans certaines voies de catalyse de l’industrie chimique (procédé Ziegler-Natta pour la synthèse de polyoléfines), ou encore dans le traitement de surface (verre, métal…).

Le TiO₂ sous pression en Europe

« L’usine de Thann produit 30 000 tonnes par an de TiO₂ et près de 20 000 tonnes par an de TiCl₄, soit 50 000 tonnes par an de produits finis », explique Emmanuel Sibileau. Une usine qui reste de taille relativement modeste à l’échelle du groupe chimique, Tronox opérant des installations qui affichent des capacités comprises plutôt aux alentours de 100 000 à 150 000 t/an.

Sur son usine alsacienne, 90 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’export et au grand export, rayonnant en Allemagne, aux États-Unis ou encore au Japon. « Nous allons chercher des spécifications restreintes, des puretés très poussées pour pouvoir répondre aux demandes de nos clients. Nous vendons encore en Chine, puisque les industriels chinois n’ont pas encore totalement réussi à nous copier. »

Face au dumping chinois sur le TiO₂ – qui a donné lieu à l’instauration d’une surtaxe en janvier 2025 par l’Union européenne –, le directeur de l’usine s’estime pour le moment plutôt épargné, notamment en raison du savoir-faire unique de Thann. Malgré tout, le marché du TiO2 reste préoccupant en Europe, en témoigne la vente en octobre du site britannique de Venator Materials au chinois LB Group ou encore la fermeture en mars de l’usine Botlek (Pays-Bas) de Tronox.

En tout, le groupe chimique possède huit sites de TiO₂, en incluant son unité néerlandaise, cinq sites d’enrichissement, et six mines à travers le monde, pour environ 6 500 employés. Son chiffre d’affaires s’élevait à près de 3,1 milliards de dollars en 2024, pour 564 millions de dollars d’Ebitda ajusté.

Reconnaître certaines poudres de TiO2 comme cancérogènes… Une bataille perdue par la France et la Commission

L’affaire remonte à 2016. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) soumet cette année-là à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) une proposition de classification du dioxyde de titane comme substance cancérogène. L’année d’après, le Comité d’évaluation des risques (CER) de l’ECHA a adopté un avis classant le dioxyde de titane comme cancérogène de catégorie 2, assorti du mode de danger « H 351 (inhalation) ». C’est sur la base de l’avis du CER que la Commission européenne a adopté son règlement. Si elles contiennent au moins 1 % de particules d’un diamètre inférieur ou égal à 10 micromètres, la Commission avait décidé de reconnaître ces substances comme « suspectées cancérogènes pour l’homme par inhalation ». Mais les fabricants, les importateurs, les utilisateurs en aval ou encore les fournisseurs de TiO2, en leur qualité de requérants, portent l’affaire devant le Tribunal de l’Union européenne, afin d’obtenir une annulation partielle du dit-règlement. Finalement, le manque d’études « fiables et acceptables » a fait pencher la balance en leur faveur en novembre 2022, le tribunal concluant à « une erreur manifeste d’appréciation » du CER. La France et la Commission avaient pourtant fait appel devant la CJUE, avant d’être déboutés en août 2025.



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