
Les députés doivent débattre, jeudi 27 novembre, d’une proposition de loi visant à nationaliser les activités du sidérurgiste ArcelorMittal en France. Empreinte dans l’Hexagone, santé économique, objectifs… L’Usine Nouvelle fait le point sur l’entreprise en trois questions.
Faut-il «faire du métal sans Mittal» ? La question d’une nationalisation d’ArcelorMittal, premier sidérurgiste de l’Hexagone, propriété de l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal, s’impose au plus haut niveau. Jeudi 27 novembre, les députés de l’Assemblée nationale doivent débattre d’une proposition de loi en ce sens, portée par la députée Aurélie Trouvé (La France insoumise), déjà votée en commission des Finances le 19 novembre. L’issue, très incertaine, rappelle la nationalisation de l’ancêtre du groupe, Usinor début 1982. Face à la crise de l’acier d’alors, l’opération n’avait pas réussi à stopper l’hémorragie d’emplois, débouchant sur une nouvelle privatisation en 1995, la création d’Arcelor en 2001 (avec l’espagnol Aceralia et le luxembourgeois Arbed), et son rachat par Mittal en 2006.
Que représente le groupe en France aujourd’hui ?
Malgré la fermeture des ses derniers hauts-fourneaux de Moselle, à Gandrange puis Florange, en 2013, ArcelorMittal reste, de loin, le premier sidérurgiste de France. Fin décembre 2024, le groupe comptait 15400 salariés en France pour une quarantaine de sites de production, trois sites de R&D (dont le plus gros du groupe à Maizières-les-Metz compte 700 salariés, et deux autres au Creusot et à Montataire) et un large réseau de 8 centres de services (qui transforment l’acier en produits sur mesure) et de 33 centres de distribution.
Groupe à la structure complexe, ArcelorMittal compte plusieurs filiales en France. La première, baptisée ArcelorMittal France, tourne autour de l’aciérie intégrée de Dunkerque, qui compte 3400 salariés et deux hauts-fourneaux en opération et produit des bobines d’acier laminées. Celles-ci sont transformées, laminées à froid, décapées, enrobées ou galvanisées, dans six usines se situant à Mardyck (Nord), Desvres (Pas-de-Calais), Montataire (Oise), Mouzon (Ardennes), Basse-Indre (Loire-Atlantique) et… Florange (Moselle), où 2000 salariés travaillent encore malgré l’arrêt définitif de la cokerie en 2020.
L’autre aciérie intégrée du groupe se situe à Fos-sur-Mer et emploie 2500 salariés, pour un haut-fourneau en opération. Plus autonome, elle exporte majoritairement sa production vers le bassin méditerranée et est seulement rattachée au petit site de Saint-Chély d’Apcher (Lozère).
Enfin, ArcelorMittal compte de nombreuses activités «aval» un peu partout dans l’Hexagone. On y trouve notamment Industeel, au Creusot (Saône-et-Loire, 750 salariés) et à Chateauneuf (Loire) qui ont tous deux leurs propres fours électriques et produisent des aciers spéciaux comme des plaques fortes pour le blindage. Le sidérurgiste compte aussi 1700 salariés dans plusieurs usines – la plus grosse est à Contrisson dans la Meuse – pour construire des produits d’enveloppe pour le bâtiment (ArcelorMittal Building Solutions). Il est aussi actif dans la production de fils et de câbles (ArcelorMittal Wire, à Bourg-en-Bresse et Saint Dizier), de tiges et des barres (à Gandrange), des flancs soudés pour l’automobile (à Uckange) et des tubes de spécialités pour l’automobile (ArcelorMittal Tubular Products, à Hautmont, Chevillon et Vitry).
Le sidérurgiste ne dévoile pas ses chiffres de production site par site. La production des hauts-fourneaux a atteint 6,7 millions de tonnes en 2024, en majorité depuis Dunkerque. Avant la pandémie de Covid-19, en 2019, le groupe produisait sur les mêmes sites 10 millions de tonnes d’acier.
Quelle est la situation économique du groupe dans l’Hexagone ?
Il très difficile d’évaluer la santé économique d’ArcelorMittal en France, car l’entreprise ne dévoile pas ses résultats par pays. En début d’année, le groupe – deuxième sidérurgiste mondial – a dévoilé des résultats en baisse, mais toujours très positifs avec 62,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour 7,1 milliards de dollars (autour de 6,8 milliards d’euros) d’Ebitda (bénéfice avant intérêt, impôts, dépréciation et amortissement) au niveau mondial. L’Europe représentait alors un peu moins de la moitié de de sa production d’acier et de son chiffre d’affaires, mais seulement un quart de son Ebitda ! Le bilan semble un peu meilleur en 2025, puisque sur les neuf premiers mois de l’année, le Vieux continent représente près d’un tiers des résultats du sidérurgiste (1,5 milliards de dollars d’Ebitda sur 4,9 milliards dans le monde).
Globalement, la situation de l’acier européen est compliquée. En sus du prix du carbone, qui s’accentue alors que les quotas gratuits s’épuisent progressivement, la consommation est à la peine, notamment dans l’automobile et les emballages. Le continent fait aussi face à un afflux d’importations extérieures (dont la part de marché atteint 25%), alerte le lobby du secteur à Bruxelles, Eurofer. La Commission a présenté, en octobre, un plan ambitieux pour protéger l’Europe, qui n’est pas encore validé.
«Les résultats ne sont pas dans le rouge, d’ailleurs nous touchons de la participation», argumente David Blaise, délégué syndical chez ArcelorMittal Centre de Services. Ce segment (qui a subi un PSE conduisant à la perte de 125 emplois et la fermeture des sites de Reims et de Denain fin 2024), notamment, «dégage du résultat puisque nous avons même eu de l’interessement», continue le syndicaliste. Mais selon les sites, la situation est contrastée. De sources syndicales, les filiales spécialisées ArcelorMittal Building Solutions ou Industeel se portent bien.
«Aujourd’hui, peu de sites gagnent de l’argent», décrit Jean-Marc Vécrin, coordinateur CFDT au sein du groupe. «On a laissé se dégrader l’outil pendant des années et des années, et Mittal a fait des choix stratégiques au profit d’autres continents que l’Europe, où il réduit la voilure face aux obligations de décarbonation», fustige-t-il pour expliquer la situation, tout en reconnaissant le contexte macroéconomique compliqué.
En 2024, les aciéries de Fos comme de Dunkerque ont été déficitaires. Dans le nord, ArcelorMittal a annoncé un plan social, concernant 600 postes sur 7 sites, en avril. Dans le sud, «nous avons toujours eu du mal à sortir des résultats positifs depuis la crise de 2008. L’année 2021 a été exceptionnelle à la faveur du Covid-19 mais ces quatre dernières années, c’est catastrophique», témoigne Sylvain Ibanez, représentant syndical national FO à Fos-sur-Mer. Malgré une restructuration sans licenciements ni départs volontaires en 2025, pour un total de 300 postes, le syndicaliste est morose et s’attend à une «deuxième vague» l’année prochaine.
D’autres sites plus petits sont aussi sous pression, comme la production de barres à Gandrange (touchée par les droits de douanes américains et dont la production s’arrête du 8 décembre au 12 janvier), l’usine d’acier pour emballage de Basse-Indre ou celle de câble à Marnaval, où un plan social concernant 33 postes sur 70 a été annoncé récemment, dévoile Jean-Marc Vécrin.
Une nationalisation, pour quoi faire ?
C’est l’une des questions sur laquelle porteront sans doute les débats du jeudi 27 novembre. Dans la proposition de loi présentée, on lit que face au «désengagement progressif du territoire français» du groupe, la nationalisation permettrait de préserver la «souveraineté industrielle de la France» et «d’assurer la transition écologique des hauts-fourneaux». La députée qui porte le texte, Aurélie Trouvé, souligne notamment le retour en arrière d’ArcelorMittal sur son grand plan de décarbonation à Dunkerque, pour lequel le sidérurgiste aurait pu toucher 850 millions d’euros d’aide pour produire de l’acier avec de l’hydrogène, et son manque d’allant à confirmer son investissement dans un four électrique (au lieu de deux initialement prévus) à Dunkerque.
A la différence de celle proposée au Sénat par le groupe communiste et rejetée fin octobre, la proposition discutée à l’Assemblée nationale ne comprend pas l’ensemble des activités du groupe. Sont concernées les sept usines d’ArcelorMittal France, dans le nord, les deux usines d’ArcelorMittal Méditerranée dans le sud, et le centre de recherche de Maizières-lès-Metz. Nationaliser cette enveloppe coûterait environ 3 milliards d’euros, estime la députée LFI.
«La sidérurgie est essentielle : nous alimentons toutes les filières de l’industrie. Nous nous rendons bien compte que Mittal se désengage de la France et de l’Europe, qu’il a abandonné la décarbonation et qu’il y a un sous-investissement chronique depuis des années au profit de l’Inde et du Brésil», argumente David Blaise, aussi secrétaire général adjoint de la CGT Métallurgie, premier syndicat représentatif du groupe qui porte depuis des mois l’option d’une nationalisation. Pour lui, «l’Etat doit prendre la main sur cette industrie stratégique, et mener le plan de décarbonation initialement prévu, qui est nécessaire pour survivre après 2030».
«Changer l’actionnaire d’ArcelorMittal France ne changerait en rien les problèmes structurels auxquels nous faisons face. Au contraire (…) découper nos actifs français et les séparer du reste du groupe ne pourrait qu’aggraver brutalement leur situation», a répondu le président d’ArcelorMittal France, Alain le Grix de la Salle, sur Linkedin. Lui souligne l’intérêt de participer à un groupe international intégré, qui répond à de nombreuses commandes hors des frontières hexagonales, et «qui continue à investir en France malgré les difficultés». Par exemple à Mardyck (Nord), où il va bientôt inaugurer une usine d’acier électrique à plus de 300 millions d’euros.
Les autres syndicats sont circonspects, voire hostiles, au projet. «Nationaliser ArcelorMittal en France ne permettra pas de remplir nos carnets de commandes, ou de limiter les importations d’aciers en Europe, ni de rendre cette industrie rentable en France», écrit Xavier Le Coq, coordinateur syndical CFE-CGC (deuxième syndicat du groupe) chez ArcelorMittal dans un communiqué de presse. «Nous voulons savoir pourquoi nationaliser, quel serait l’avenir de la sidérurgie et des emplois avec la décarbonation, quel serait le risque de perdre les clients de Mittal et comment récupérer les brevets, qui sont au Luxembourg… Nous n’avons pas de réponses concrètes à nos questions et on se demande si nationaliser ne peut pas être pire», explique de son côté Sylvain Ibanez, de FO, à L’Usine Nouvelle. Inquiet des pertes d’emplois avec la fermeture des hauts-fourneaux (les fours électriques emploient bien moins de personnes), lui demande «un moratoire sur les normes environnementales, qui nous tuent, pour faire la transition de manière plus douce».
«C’est une fausse bonne idée, ce n’est pas parce qu’on nationalise que ça se passe forcément bien», abonde Jean-Marc Vécrin, de la CFDT. Notant des situations similaires partout sur le continent, lui propose une prise de contrôle partielle du groupe par les Etats européens où ArcelorMittal est présent, pour prendre part à la gouvernance à l’échelle de l’Europe. «Le problème c’est qu’on ne connaît pas la stratégie de Mittal et que les décisions sont prises à Londres. Le plan acier a été fait sur mesure pour lui et il n’investit toujours pas dans la décarbonation et ne regarde que le rendement, alors que son endettement est très faible», regrette le syndicaliste, inquiet que la sidérurgie française «est en train de mourir». ArcelorMittal, qui avait promis de confirmer son investissement de 1,2 milliard d’euros dans un four électrique à Dunkerque, n’a pas encore donné de nouvelles et dit attendre l’adoption effective du plan acier de Bruxelles. Une procrastination qui alimente les inquiétudes.


