
Consultant en impression numérique et emballage, François Martin, ancien de HP Indigo et Bobst, s’exprime sur la trajectoire qui a porté Landa digital printing à la banqueroute dans une interview exclusive à Emballages Magazine. Une enquête approfondie sur le sujet ayant pour titre « Nanographie et mégachute » est parue dans le dernier numéro de la revue, daté du mois de novembre. François Martin nous livre également sa vision sur l’évolution de l’impression numérique dans l’emballage dans les cinq à dix prochaines années.
Emballages Magazine : comment Landa en est arrivé à la banqueroute ? Est-ce lié à la technologie ou à la gestion de l’entreprise ?
François Martin : La banqueroute a de nombreuses causes. La plus importante, d’après moi, est le manque d’attention ciblée, le fameux « focus ». Le développement de nombreuses plates-formes couvrant plusieurs applications – même s’il existe des synergies – n’a pas permis de s’imposer durablement sur un marché précis. La technologie en tant que telle est bonne, mais la complexité de sa mise en œuvre a été sous-estimée, surtout lorsqu’on vise à remplacer un procédé extrêmement mature et performant comme l’offset. Les promesses de Landa étaient intenables et, dès le début, des voix se sont élevées dans ce sens. La personnalité enthousiaste et convaincante de Benny Landa était une force, mais aussi une faiblesse : une entreprise ne peut pas fonctionner uniquement sur une vision, il faut des produits, et dans le monde du print et du packaging, des solutions parfaitement stables. Si l’on regarde le succès d’Indigo, il ne faut pas oublier que HP a permis de stabiliser la technologie et de financer des investissements très significatifs qui ont ensuite rendu l’activité profitable. Pour être franc, sans HP, il n’y aurait pas d’Indigo mais une banqueroute comparable à celle de Landa. L’échec de Landa rappelle qu’entre innovation et industrialisation, il existe toujours un gouffre, celui que seule une stratégie bien orchestrée avec des priorités bien financées peut franchir.
Que manque-t-il à la nanographie pour qu’elle puisse s’affirmer sur le marché ?
Deux choses sont encore à améliorer : des temps d’arrêt trop fréquents et des coûts d’exploitation (TCO) encore un peu trop élevés. Pour convaincre des imprimeurs, par nature très prudents, de passer au numérique, j’ai constaté qu’il faut que trois éléments soient parfaitement maîtrisés : la qualité, la productivité et les coûts d’exploitation – et les trois en même temps. Quelques grands acteurs du packaging commencent à produire sur Landa en flux régulier avec de bons taux de disponibilité (60–70 %), ce qui était inimaginable il y a cinq ans. Si Landa réussit à industrialiser et renforcer la robustesse de ses presses, alors la nanographie deviendra une alternative crédible dans le carton pliant et en impression de labeur surtout dans un monde qui s’automatise et où les ressources humaines sont rares. Sur la base de mon expérience, je pense que la technologie Landa pourrait être considérée comme fiable, stable et viable vers 2028–2030.
Certains parlent volontiers de Benny Landa comme un visionnaire alors que d’autres préfèrent le terme d’incantateur. Quelle est votre opinion sur ce personnage qui, quoi qu’il en soit, aura influencé l’univers de l’impression ?
J’ai eu la chance de travailler avec de grands PDG chez HP, Michelin, Bobst et de rencontrer Benny Landa à plusieurs reprises. Sans aucune hésitation, Benny Landa est un visionnaire et un ingénieur de premier plan. Il possède de plus un talent rare : communiquer simplement des choses complexes. Il a certes aussi le pouvoir de vous envoûter. Le génie de Benny Landa, combiné à un management plus rigoureux et moins grandiloquent, aurait été une excellente recette. Malheureusement, pour financer sa croissance, Benny a dû séduire des investisseurs en faisant des promesses difficilement tenables dans des délais raisonnables.
Landa est désormais entre les mains de FIMI, un fonds d’investissements. Quelles sont les actions à entreprendre dans l’immédiat pour redresser l’entreprise ?
FIMI, premier fonds israélien d’investissement industriel, a annoncé vouloir stabiliser les opérations et préserver les emplois tout en rationalisant l’offre. C’est un bon choix. Pour les prochaines années, il faut espérer que FIMI saura assurer la croissance des clients existants en réduisant le TCO et en continuant d’améliorer l’« uptime » pour atteindre un taux supérieur à 80 %. Je crois aussi qu’il faut focaliser l’entreprise uniquement sur l’impression de labeur et le carton plat en feuille à feuille, et arrêter tout le reste, externaliser tout ce qui n’est pas stratégique et privilégier certains pays avec un service de proximité efficace.
Le modèle économique d’un fonds est basé sur l’achat et la revente. Qui, selon vous, pourrait avoir un intérêt à racheter Landa et pourquoi ?
FIMI a clairement pour mission de stabiliser l’entreprise, puis de la revendre avec un profit raisonnable. Tout comme Indigo, Landa devra à terme être adossée à un partenaire très solide. L’histoire ne se répète pas, mais certains principes demeurent. Intégrer une société basée en Israël et 100 % numérique n’est pas une mince affaire. HP serait le partenaire le plus efficace et le plus capable, d’autant que HP couvre les segments B2 et Landa au-delà. Les synergies avec « HP Industrial » sont fortes – compréhension du numérique, force de vente et service global. Des redondances avec PageWide existent mais sont gérables. Heidelberg pourrait aussi avoir un intérêt certain pour, une fois pour toutes, disposer d’une offre numérique concurrentielle et nécessaire pour ses clients. Les différents partenariats des deux dernières décennies n’ont pas donné de bons résultats. Le challenge pour Heidelberg reste le même : gérer une offre numérique et conventionnelle avec des capacités financières limitées. Koenig & Bauer pourrait avoir un intérêt similaire, mais il dispose déjà d’une joint-venure avec Durst et de ses propres plates-formes numériques. Par contre, il pourrait acquérir une technologie de rupture qui élargirait son portefeuille au-delà du jet d’encre et ferait de lui un acteur majeur reconnu. Enfin, les groupes japonais à l’image de Canon, Ricoh ou Fujifilm pourraient voir dans la technologie Landa un accélérateur vers les hauts volumes, mais l’intégration serait très complexe et je ne suis pas sûr que ces sociétés aient réellement les capacités et l’ambition d’entrer dans le monde de la production industrielle, très différent du monde bureautique.
Comment évoluera le secteur de l’impression numérique dans les cinq à dix prochaines années ?
L’impression numérique va continuer de se développer autour de trois axes que sont la digitalisation et l’automatisation de l’ensemble des processus, de la prise de commande à la livraison en passant par la gestion des couleurs et le contrôle qualité, le respect de l’environnement et la réduction de la gâche. Ces trois tendances seront agrémentées par une composante intelligence artificielle partout où cela est possible et nécessaire. Ces tendances étaient très visibles lors de la Drupa 2024 et nous ne sommes pas loin d’usines intelligentes avec une intervention humaine très réduite.
Est-ce qu’une technologie primera sur les autres ?
Le débat technologique occupe beaucoup les esprits. Toutes les technologies actuelles – offset, flexo, jet d’encre et l’électrophotographie à encres liquides (LEP) – ont un avenir pour les prochaines décennies. Par contre, les technologies dites numériques vont continuer de se développer et restent relativement récentes — la première presse jet d’encre rotative, HP T300, n’a pas encore 20 ans. L’impression numérique présente de nombreux avantages, et les progrès technologiques permettront d’en étendre l’usage – bien sûr, tout n’est pas pour demain, mais étape par étape. Ces changements sont bienvenus dans un monde où les opérateurs machines préfèrent le numérique.
Landa, et il n’est pas le seul, voulait développer l’impression numérique dans l’emballage. Mais le constat est que le numérique se développe bien dans le domaine de l’étiquette mais moins dans l’emballage. Pensez-vous que la donne puisse changer ?
Il est exact que le développement du numérique s’est fortement accéléré dans le domaine de l’étiquette (12–15 % des volumes selon les sources), mais reste inférieur à 1 % des volumes sur les autres segments que sont le film souple, le carton plat et le carton ondulé. Les raisons sont claires, et comme mentionné précédemment : pour remplacer ou concurrencer des technologies établies comme l’offset et la flexo, il faut être capable de proposer qualité, productivité et coûts d’exploitation compétitifs – les trois en même temps. Dans l’étiquette, cela a été démontré, et les progrès vont continuer. Dans le carton plat, l’offre Landa peut effectivement changer la donne, mais à ce jour, ce n’est pas encore le cas – hormis pour les tirages courts, dont la définition varie selon les pays. Notons toutefois des signaux prometteurs, par exemple chez FP Mercure en France, équipé de presses pour carton plat Landa et HP Indigo. À un horizon 2035, on peut imaginer que le numérique, avec une dose d’hybride, représente 5 % des volumes de l’emballage – imaginons Landa pour le carton plat, HP Indigo avec la technologie LEPx pour l’emballage flexible, et environ 35 % pour le marché l’étiquette tiré par les solutions jet d’encre et HP Indigo. Pour les fournisseurs d’équipement et d’encre, 5 % peut sembler modeste, mais cela représente un volume d’impression considérable.


