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En Normandie, le lin explore de nouveaux débouchés

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Lu il y a 8 minutes



La plante, qui pare élégamment de bleu les champs normands au début de l’été, bénéficie d’un regain d’intérêt industriel. «Depuis 2018, il y a un déclic du côté des capacités de transformation, signale Bart Depourcq, le président de l’ALCE. En cinq ans, onze lignes de teillage supplémentaires ont été créées en Normandie.» Cette première étape de transformation consiste, pour schématiser, à passer de la paille à la fibre de lin. «Historiquement, des cultivateurs étaient devenus teilleurs. Dans les années 1970-1980, ils ont voulu se développer, mais ont eu du mal à basculer vers une industrialisation moderne, rembobine Jean-Louis Maurice, le PDG de la Linière du Ressault. La période 2010-2015 a été un tournant vers la modernisation.»


Son entreprise a inauguré, le 19 juin, au Neubourg (Eure), une nouvelle ligne de teillage pour 17 millions d’euros (environ 4 millions d’euros d’investissement pour la ligne elle-même). «Nous répondons à une demande du marché et envoyons un signal aux agriculteurs, explique Jean-Louis Maurice. Nous avons des certitudes sur l’amortissement, je ne vois pas pourquoi le marché s’effondrerait.» En 2022, la Coopérative de teillage du plateau du Neubourg avait investi 13 millions d’euros dans une ligne dans l’Eure. Fin août 2024, le groupe Depestele ouvrait une troisième usine, également dans l’Eure (20 millions d’euros). Le teillage français emploie désormais 1500 personnes, selon l’Alliance, pour 5000 emplois indirects.


Ce tournant industriel nourrit un nouvel essor du lin normand, qui en avait bien besoin. De plus en plus d’agriculteurs se sont engagés dans cette voie. Après l’arrêt de la sucrerie de Cagny, près de Caen, en 2019, des betteraviers du secteur se sont tournés vers le lin. La plante leur offre une diversification dans la rotation des cultures – elle est un bon précédent pour le blé – et génère des revenus. «Tous les maillons de la filière gagnent de l’argent», assure Bart Depourcq. Des acteurs tentent de dérouler la pelote. La coopérative Terre de lin, par exemple, dispose d’une unité de peignage, une deuxième étape de transformation. «On divise les fibres longues pour en faire des rubans d’un kilomètre, explique Laurent Cazenave. Il y a pas mal de peignages en Asie. Chez nous, c’est plus rare, mais nous nous développons en lien avec des filateurs européens.»


Jusqu’à quel stade de la transformation du lin la Normandie peut-elle déplacer le curseur industriel ? De nombreuses filatures se sont éteintes en Europe à la fin des années 1990 et des opérateurs asiatiques se sont fortement positionnés dans un secteur qui ne représente que 0,4 à 0,5% du marché textile mondial. Quelques acteurs tentent l’aventure : en 2022, la coopérative agricole Natup a ouvert la French Filature dans l’Eure, première filature de lin «au mouillé» de France. Dans le même département, la start-up Norlin construit une usine (5 millions d’euros) à Malleville-sur-le-Bec pour intervenir en seconde transformation sur les fibres courtes, qui ont un potentiel de valorisation. «Nous sommes proches et complémentaires des teillages, qui ont beaucoup investi, fait remarquer le directeur général, Loïc Charron. En valorisant d’autres parties de la plante, nous gagnons des leviers de croissance.» La fibre courte est par exemple utile pour des mélanges de fibres textiles, ainsi que pour les débouchés techniques dans les composites, l’isolation, le BTP…


Concurrence chinoise


Demeure un point faible, «la compétitivité», lâche Jean-Louis Maurice. «Les Chinois préfèrent acheter de la fibre longue et la peigner eux-mêmes, poursuit le patron de la Linière du Ressault. Le coût industriel est lourd, mais l’Asie, ce n’est pas le même monde…» Ce coût, en partie supportable pour le textile haut de gamme, est rédhibitoire pour une production standard. «Je ne crois pas au développement de grands acteurs textiles en Normandie, appuie Laurent Cazenave. Dès que l’on avance dans la filière, on entre dans des modèles économiques différents. Le made in France est une niche dans la niche.» Les acteurs du secteur exhortent les gros industriels à miser davantage sur le lin, notamment pour ses utilisations techniques. «Il faut un marché et que les maîtres d’ouvrage favorisent les matériaux biosourcés, qui doivent devenir plus abordables», analyse Mohamed Boutouil, le directeur délégué à la recherche de Builders, école d’ingénieurs de Caen (Calvados).


Ouvrir de nouvelles voies au lin est le credo de la vice-présidente de la région Normandie, chargée de l’agriculture, Clotilde Eudier : «On n’a pas encore tout vu. Des teillages peuvent s’agrandir et ce n’est pas parce que le lin textile va bien qu’il faut négliger le lin technique. Des projets se préparent, parfois dans une grande discrétion.» À l’image des recherches menées sur de nouvelles variétés, adaptées au dérèglement climatique.


Les usages techniques, une niche prometteuse


Selon l’Alliance du lin et du chanvre européens, 10 % de la production de lin vont à des usages techniques, comme les composites. Dans la quête d’alternatives au plastique, le lin s’invite notamment dans l’industrie du sport et des loisirs. Raquettes, skis, planches de surf ou encore vélos peuvent en contenir. « Ce matériau est léger et a une bonne résistance aux chocs et aux vibrations », éclaire Laurent Cazenave, de la coopérative Terre de lin. Plus insolite, « il y a du lin dans les billets de banque et dans du papier à cigarette », précise en souriant Loïc Charron, de Norlin, dont la nouvelle usine, dans l’Eure, destinera un quart de sa production aux usages techniques du lin. L’entrepreneur l’assure, « plus on travaillera ces débouchés, plus on créera de la valeur et des systèmes de production en France ». Alors la filière se met en ordre de bataille en investissant sur l’innovation. Le directeur délégué à la recherche de l’école d’ingénieurs Builders, Mohamed Boutouil, voit dans le lin « un matériau biosourcé, que l’on peut utiliser dans les bétons renforcés, comme substitut des fibres métalliques, par exemple ». Une solution bienvenue, alors que la réglementation oblige le secteur du bâtiment à réduire son empreinte environnementale. Mais le marché reste balbutiant. 


 


Couv 3747Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3747 – Octobre 2025

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