Il fait partie des 73 installations de tri soutenues par l’éco-organisme de la filière, Refashion. Depuis 2024, le secteur fait face à une crise qui a déjà provoqué la mise en sommeil de l’usine de recyclage Renaissance Textile, ou encore la fermeture du centre de tri de La Tresse, aux Lèches, en Dordogne, et dont les causes sont multiples.
« Il y a des conflits géopolitiques qui ont ralenti ou arrêté certains débouchés, comme la guerre en Ukraine qui empêche l’export vers l’Europe de l’Est, explique Louana Lamer, la responsable de la filière REP Textile chez Emmaüs France. De plus, la Chine s’est mise à exporter de la seconde main – sans que l’on sache si c’est réellement de la seconde main. Cela a déstabilisé le marché. » Ainsi, Emmaüs France, acteur majoritaire du textile de seconde main, collecte autour de 150 000 tonnes par an et en trie seulement 110 000. Les 40 000 tonnes restantes sont stockées.
Cette perte de débouchés affecte principalement la réutilisation des textiles (qui concerne 56,8 % des vêtements triés), mais également les déchets textiles recyclés (24,3 %), notamment par effilochage. Sur son site à Billy-Berclau (Pas-de-Calais), Le Relais dispose de plusieurs effilocheuses, des cylindres équipés de quelques dizaines de milliers de pointes, qui permettent de défibrer les textiles. « 60 à 70 % de ce que nous produisons sont fléchés vers le secteur automobile, mais aussi le bâtiment et les géotextiles », indique Emmanuel Dhornes, le responsable commercial de Minot Recyclage Textile, dont Le Relais est propriétaire. Cependant, la crise que traverse le secteur automobile affecte les équipementiers clients du Relais, comme Faurecia, qui sont moins demandeurs. « Nous travaillions aussi avec des grands acteurs en Biélorussie, qui ne sont plus accessibles aujourd’hui, à cause de la guerre en Ukraine », souligne Emmanuel Pilloy, le président du Relais. L’usine a une capacité de 15 000 tonnes, mais ne produit que 8 000 tonnes environ, faute de perspectives.
Une refonte nécessaire de l’éco-organisme
L’arrivée de l’ultra-fast fashion chinoise, incarnée par Shein et Temu, a aussi touché le marché africain, dont la demande en fripes d’origine européenne a chuté, alors qu’il représente un débouché majeur pour le secteur. « 30 % des vêtements qu’on nous donne vont en Afrique », indique Emmanuel Pilloy. Étant très friande de matériaux synthétiques comme le polyester, la mode ultra-éphémère pose également problème quant à la qualité des vêtements et des matières. « Nous avons des débouchés pour recycler les matières naturelles, mais beaucoup moins pour les matières synthétiques », note Louana Lamer. Les recycleurs ont donc des difficultés à trouver un avenir à cet afflux de vêtements de mauvaise qualité en polyester, ni revendables ni effilochables.
Le changement des modes de consommation peut aussi expliquer cette crise. « Il y a des gestes citoyens qui évoluent du don vers la vente, comme nous pouvons le voir sur Vinted [plateforme lituanienne de vente de seconde main, ndlr] », indique Louana Lamer. Pour Emmanuel Pilloy, cependant, l’impact des sites de ce genre a plutôt été positif. « Vinted nous a presque fait du bien, car il permet d’habituer les gens à la seconde main, constate-t-il. De plus, les acheteurs peuvent en être un peu déçus, par exemple au niveau du choix de la taille, et certains aiment toucher la matière et profiter des cabines d’essayage dans nos magasins. »
L’augmentation massive de l’offre ces dernières années est aussi en cause. En 2019, 648 000 tonnes de vêtements étaient mises sur le marché, contre 891 310 tonnes en 2024, selon Refashion, soit une augmentation de 38 % en cinq ans. Sur la même période, la collecte a augmenté de seulement 16 %, et le tri, de 5 %. La filière peine à suivre le rythme, et plusieurs acteurs pointent du doigt la responsabilité de l’éco-organisme Refashion. « Les montants des aides ne sont pas suffisants. En 2024, ils étaient fixés à 156 euros par tonne, mais nous demandons 287 euros pour continuer », explique Emmanuel Pilloy. En 2024, sur les 120 millions d’euros qui composent le budget de Refashion, 33,9 millions ont été versés aux centres de tri, dont 6 millions à titre exceptionnel. En 2025, la dotation s’élève à 49 millions d’euros, selon le ministère de la Transition écologique, qui a versé une aide exceptionnelle de 15 millions d’euros le 17 juillet, suite à un mouvement de protestation mené par Le Relais. Cette aide porte le prix à la tonne à 223 euros. De plus, l’aide versée par Refashion comporte un défaut : elle touche exclusivement le tri, mais pas la collecte ni le recyclage. « Il y a un besoin urgent de développer l’existant et d’investir dans de nouveaux acteurs », témoigne Louana Lamer, citant en exemples la start-up du recyclage enzymatique Carbios et le spécialiste du tri automatisé Nouvelles Fibres Textiles.
Ces lacunes, l’éco-organisme en a conscience. « Nous appelons à revoir le modèle de la REP en France, il faut que l’on puisse accompagner les acteurs à chaque niveau de la chaîne de valeur, et développer l’industrie du recyclage, assure Véronique Allaire Spitzer, la directrice de la perma-circularité au sein de Refashion. Aujourd’hui, nous en avons les moyens, mais l’argent n’atteint pas sa cible. » Une refonte du cahier des charges a d’ores et déjà été lancée par le ministère de la Transition écologique. Des réunions de concertation ont eu lieu cet été, au cours desquelles le ministère a avancé plusieurs pistes d’évolution, comme le lancement d’appels d’offres pour le tri des déchets ou l’augmentation « temporaire » de la valorisation énergétique de proximité (des incinérateurs pour produire de l’électricité ou alimenter des réseaux de chaleur). Quelles qu’en soient les dispositions, le nouveau cahier des charges entrera en vigueur au 1er janvier 2026. #
Vers l’automatisation du tri des textiles ?
Dans la majorité des centres en France, le tri des habits est purement manuel, ce qui est suffisant pour la revente des vêtements, mais pas pour le recyclage. Des lignes automatisées existent, la dernière en date étant SensorHUB, une cellule de tri qui combine rayons X, caméra hyperspectrale et IA, afin d’attribuer « une identité numérique complète » à chaque article en une seule opération. « Il y a une demande du marché pour des outils qui peuvent évaluer tous les niveaux de complexité du vêtement », indique Chloé Salmon-Legagneur, la directrice du Centre d’expertise du tri et de l’innovation pour l’automatisation (Cetia), qui a développé l’outil. Cette solution pourra être customisée en fonction des besoins des clients, en intégrant certaines briques et pas d’autres, et l’entraînement ciblé de l’IA.
Une filière qui cale
891 310 tonnes de vêtements sur le marché
289 393 tonnes collectées
206 136 tonnes triées
(Source : Rapport d’activité 2024 de REFashion)
Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3746 – Septembre 2025
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