Europol lance une opération d’envergure pour contrer une tendance inquiétante : des réseaux criminels recrutent des enfants en ligne pour commettre des actes violents, moyennant finance. Une criminalité moderne, sournoise et transfrontalière.
Ils ont 12, 14 ou 16 ans. Ils vivent en banlieue, à la campagne ou en centre-ville. Leur point commun ? Une vulnérabilité que les réseaux criminels ont appris à exploiter avec une redoutable efficacité. Derrière des écrans, sur des applications anodines, des adolescents sont recrutés pour menacer, blesser, parfois même tuer, contre quelques centaines d’euros. Cette forme émergente de criminalité, baptisée « violence en tant que service » (VaaS), inquiète les autorités européennes. Pour y répondre, Europol a lancé l’opération OTF GRIMM, mobilisant les forces de l’ordre de huit pays pour enrayer cette spirale de violence et d’exploitation. Une lutte complexe, à la croisée des chemins entre le numérique, l’enfance et le crime organisé.
Dans un monde où les frontières du virtuel et du réel s’effacent à grande vitesse, les méthodes criminelles s’adaptent avec une fluidité déroutante. Les réseaux sociaux, terrain de jeu numérique de millions d’adolescents, sont devenus le théâtre discret mais efficace d’un nouveau type de recrutement mafieux. Ces derniers mois, les enquêteurs européens ont observé une montée alarmante de la « violence en tant que service », ou Violence as a Service (VaaS). Cette pratique consiste pour des organisations criminelles à sous-traiter leurs actes les plus graves à des tiers, souvent mineurs, qu’elles manipulent ou achètent via Internet.
Lancée début 2025, l’opération OTF GRIMM (Operational Task Force GRIMM) constitue la réponse musclée de l’Union européenne à ce phénomène. Coordonnée par Europol, cette task force réunit la Suède, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Norvège. Objectif : cartographier les structures criminelles à l’origine du VaaS, identifier les plateformes de recrutement, démanteler les filières, et mettre fin à l’instrumentalisation d’enfants dans des logiques de violence extrême.
« Le recrutement d’adolescents par des groupes criminels n’est pas une nouveauté, mais le modèle numérique actuel, très structuré, transforme la menace en un phénomène global« , explique un analyste d’Europol. Il ne s’agit plus simplement de jeunes désœuvrés happés par des bandes de rue. Aujourd’hui, la promesse d’argent facile, de reconnaissance ou de pouvoir circule en quelques clics. Et le processus de recrutement se fait dans un langage codé, souvent par le biais de mèmes ou de défis qui banalisent les actions à mener.
« Des enfants sont transformés en exécutants pour des organisations mafieuses internationales, parfois sans même comprendre la portée de leurs actes », Un enquêteur du groupe OTF GRIMM
Les formes de violence commandées varient, allant de simples intimidations à des passages à tabac organisés, des agressions armées, voire des assassinats. Pour un réseau mafieux, l’avantage est double : le mineur encourt des peines moindres en cas d’arrestation, et sa motivation, basée sur une illusion de liberté et de puissance, est souvent plus malléable que celle d’un adulte aguerri. Paradoxalement, cette faiblesse est aussi ce qui rend ces jeunes d’autant plus exposés, manipulables et jetables.
Le recrutement se fait en plusieurs étapes. Des comptes « vitrine » sur TikTok, Instagram ou Snapchat affichent un style de vie luxueux, fait de liasses de billets, de montres clinquantes et de voitures de sport. En coulisses, des messageries cryptées comme Telegram ou Discord prennent le relais. Les premières interactions prennent la forme de jeux, de missions gamifiées, renforçant l’illusion d’une quête héroïque. C’est ici que s’opère le glissement vers l’illégal.
Pour les forces de l’ordre, la tâche est titanesque. « L’opacité du dark web, la multiplicité des applications de messagerie, la rapidité d’exécution des ordres et la dimension transnationale des actes compliquent grandement les enquêtes« , souligne un inspecteur danois. Face à cette complexité, OTF GRIMM vise à centraliser les renseignements, identifier les patterns de recrutement, et intervenir en amont pour éviter que ces jeunes ne basculent dans l’irréparable.
La Suède, pays particulièrement touché, a récemment vu une explosion des violences urbaines liées à des jeunes recrutés en ligne. Des fusillades, commanditées depuis l’étranger, ont été exécutées par des mineurs, parfois âgés de seulement 13 ans. En Belgique et en France, les trafics de drogue et les règlements de compte dans les cités intègrent de plus en plus ces nouveaux profils, souvent inconnus des services judiciaires avant leur passage à l’acte.
« La promesse d’un statut ou d’une reconnaissance sociale devient un appât redoutable pour des jeunes en quête d’identité », Psychologue spécialiste des comportements criminels juvéniles
Mais qui sont vraiment ces enfants recrutés par les réseaux de VaaS ? Il ne s’agit pas uniquement de jeunes en décrochage scolaire ou issus de milieux défavorisés. Des adolescents brillants, curieux de hacker, fascinés par la cyberculture, sont également ciblés. Certains se retrouvent embrigadés dans des groupes aux allures de sectes numériques, où l’idéologie de la violence s’entremêle à celle du défi technologique. Ces communautés, actives sur des forums privés, promettent une appartenance, un rôle, une cause, à ceux qui s’y soumettent.
Le parallèle avec les mouvances radicales n’est pas anodin. Comme l’a souligné Zataz dans ses enquêtes, des groupes violents en ligne exploitent déjà la psychologie adolescente pour créer des légions numériques capables de cyberattaques ou d’extorsion. Le passage au crime physique, encouragé par les mêmes méthodes, ne surprend plus les observateurs.
Face à cette réalité, Europol travaille désormais main dans la main avec les géants du numérique. Les plateformes sont sollicitées pour détecter plus rapidement les contenus suspects, désactiver les comptes liés à des activités criminelles, et collaborer aux enquêtes en fournissant des métadonnées sur les échanges. Mais ces efforts restent entravés par les questions de confidentialité, les limites juridiques des différents pays, et la vitesse à laquelle de nouveaux comptes peuvent être recréés.
OTF GRIMM prévoit également une composante préventive. Des campagnes de sensibilisation sont en préparation, ciblant à la fois les jeunes, les familles et les établissements scolaires. L’objectif : informer, alerter, et construire un contre discours face à la glorification de la violence sur les réseaux sociaux. Car si le combat se joue dans les serveurs et les salles d’interrogatoire, il se mène aussi dans les esprits.
Enfin, l’aspect économique de cette criminalité n’est pas à négliger. Des actes de violence sont parfois commandés pour quelques centaines d’euros, des montants modestes pour les commanditaires, mais qui peuvent représenter 300 à 1 000 euros pour les adolescents enrôlés. Une somme qui peut paraître dérisoire au regard des risques encourus, mais qui pèse lourd dans le quotidien de certains jeunes.
La question reste entière : comment protéger les jeunes esprits de l’ombre qui guette derrière chaque notification ? Leur bloquer les réseaux sociaux ? Est-il urgent de freiner certains éditeurs de jeux vidéo qui diffusent des messages à la limite de la propagande, glorifiant des comportements répréhensibles ? Le dernier épisode de Call of Duty: BO 6 en est un exemple frappant, mettant en scène — et en valeur — l’usage de drogues, en l’occurrence les fameuses « cigarettes qui font rire ». En parallèle, il est essentiel de renforcer l’accompagnement et l’éducation des parents, souvent démunis face à ces contenus.
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