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ZATAZ » La cyberattaque offensive, nouveau levier du pouvoir américain

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Lu il y a 8 minutes


La Maison Blanche sous Trump veut rendre l’attaque numérique offensive aussi normale que la dissuasion nucléaire, rompant avec des décennies de retenue stratégique.

Alors que les tensions géopolitiques dans le cyberespace ne cessent de s’intensifier, l’administration Trump affirme une volonté assumée : faire de la cyberattaque offensive un outil ordinaire du pouvoir national. Cette stratégie, dévoilée par Alexei Bulazel, directeur principal du cyber au Conseil de sécurité nationale, rompt avec la prudence des précédentes administrations. Elle vise à déstigmatiser l’emploi de l’offensive numérique en la rendant aussi légitime que les opérations militaires traditionnelles. Bulazel estime qu’une absence de réaction constitue en soi une escalade, et que ne pas répondre, c’est permettre à l’adversaire de prendre le dessus. La nouvelle doctrine mise ainsi sur la réciprocité, la démonstration de force et l’intégration du cyber à l’arsenal global de dissuasion.

Une doctrine en rupture avec la retenue héritée

Lors d’une allocution très remarquée à la conférence RSA, rendez-vous international de la cybersécurité, Alexei Bulazel a posé les fondements d’une nouvelle stratégie nationale. « Il ne s’agit pas d’attaquer pour attaquer, mais de pouvoir répondre de la même manière, si nous sommes victimes d’une agression étrangère« , a-t-il déclaré. En d’autres termes, l’administration Trump veut sortir de la posture réactive pour imposer une forme de dissuasion active, où l’attaque devient un moyen d’équilibrer les rapports de force.

Bulazel ajoute : « J’ajouterais également que ne pas répondre constitue en soi une escalade. » Une affirmation lourde de conséquences, qui révèle la manière dont la Maison Blanche perçoit les dynamiques de pouvoir dans le cyberespace. « Vous devez trouver un moyen de faire comprendre que ce n’est pas acceptable« , martèle-t-il.

« Ne pas répondre constitue en soi une escalade. » – Alexei Bulazel, directeur cyber au Conseil de sécurité nationale

Une réorientation déjà à l’œuvre dans les coulisses

Derrière ces déclarations, une réorganisation silencieuse est en cours. Dans les semaines ayant suivi l’élection présidentielle, l’administration entrante a amorcé des changements structurels. Plusieurs décisions controversées, comme le limogeage du général Timothy Haugh, à la tête à la fois du Cyber Command et de la NSA, ont suscité l’inquiétude. Son adjoint a également été écarté. Ces évictions ont été perçues comme un signal : la Maison Blanche veut reprendre la main sur la stratégie cyber. Cela ne semble pourtant pas être une nouveauté au dire des Chinois qui ont poursuivi, il y a peu, trois présumé fonctionnaire de la NSA, accusés de cyber attaque lors des Jeux d’Hiver d’Asie.

Parallèlement, l’Agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA), chargée de protéger les réseaux civils, a vu ses moyens revus à la baisse. Une décision critiquée par nombre d’experts, mais qui s’inscrit dans une logique d’efficacité offensive plutôt que de renforcement défensif.

La doctrine Bulazel ne se limite pas à une posture. Elle s’inscrit dans une volonté de concrétisation : « Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire pour imposer des coûts« , affirme-t-il. Selon lui, les administrations passées ont fait preuve d’hésitation. Cette époque est révolue : « Nous pouvons changer la stratégie en matière de cyberattaque.« 

Des attaques informatiques de grande ampleur, en particulier celles orchestrées par la Chine, ont visé des entreprises de télécommunication américaines. Les intrusions ont permis à des acteurs étrangers de collecter des données stratégiques et de se positionner pour cibler les infrastructures critiques du pays. Ces opérations, peu sanctionnées jusqu’à présent, servent de justification au durcissement voulu par Trump.

« Certains ont été menottés ou engoncés dans une camisole de force », affirme Bulazel. « Vous pouvez défaire cela et libérer leur talent. »

Le cyber comme extension du champ militaire

La doctrine actuelle ne désigne pas seulement la riposte comme finalité. Elle envisage l’offensive cyber comme outil de soutien à des opérations militaires plus classiques. Dans une guerre moderne, les frappes numériques peuvent désorganiser les communications ennemies, paralyser leurs radars ou perturber leur logistique. Cette synergie entre cyber et forces armées devient un pilier de la stratégie nationale.

Bulazel ne cache pas non plus les limites du pouvoir présidentiel en la matière : « La Maison Blanche, avec quelques documents, quelques décrets exécutifs, ne peut pas tout changer« . Mais elle peut amorcer une dynamique, notamment en influençant la culture institutionnelle autour de la cyberdéfense.

Le cyberespace évolue, et avec lui les technologies. L’émergence de l’intelligence artificielle, du machine learning et des capacités prédictives bouleversent les modalités d’attaque et de défense. « Mettre à jour l’attaque et la défense. Ce sont les deux grands axes« , résume Bulazel. Cela implique une réforme des outils, des procédures, mais aussi des mentalités.

L’objectif est double : préempter les menaces grâce à une capacité d’analyse en temps réel, mais aussi développer une réponse adaptée à chaque agression. Le modèle de la cyber dissuasion, proche de la logique nucléaire, fait ainsi place à une stratégie plus flexible, plus réactive et plus technologique.

Vers une course mondiale à l’offensive numérique ?

La nouvelle stratégie américaine n’est pas sans conséquences. En assumant publiquement l’usage de la cyberattaque offensive, les États-Unis prennent le risque d’entraîner d’autres puissances dans une course à l’armement numérique. Les effets de cette militarisation sont imprévisibles. La question du droit international reste en suspens : quels cadres juridiques pour ces nouvelles formes de conflit ? Qui fixe les lignes rouges ?

Certains alliés s’inquiètent. L’Europe, plus réticente à l’usage offensif, redoute les effets déstabilisateurs d’une telle doctrine. D’autres partenaires, comme le Royaume-Uni ou Israël, semblent en revanche plus en phase avec cette évolution, ayant eux-mêmes adopté des postures similaires. Que penser de la cyber attaques attribuées aux USA et à Israël contre le nucléaire Iranien ? Ou encore des accusations de la Chine à l’encontre de trois fonctionnaires présumés de la NSA ?

La doctrine Bulazel-Trump trace une ligne nouvelle dans le paysage stratégique mondial. L’offensive cyber devient un outil à part entière du pouvoir, au même titre que les forces armées ou la diplomatie. Mais elle s’accompagne de risques majeurs : escalade, perte de contrôle, opacité des chaînes de commandement. La difficulté à attribuer clairement une attaque peut, en cas d’erreur, conduire à des répliques sur la base de faux positifs.

Le débat reste ouvert. Faut-il réglementer davantage ces opérations ? Les soumettre à un contrôle parlementaire ? L’avenir du cyberespace se joue aujourd’hui dans ces décisions politiques, où la volonté d’efficacité doit composer avec les exigences de l’état de droit.

La cyberattaque offensive est-elle appelée à devenir un outil banalisé de la stratégie d’État, ou devons-nous craindre qu’en l’absence de règles communes, elle ouvre la voie à un cyberchaos global ?



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