Le textile circulaire, c’est peut-être pour bientôt. Carbios (24000 euros de chiffre d’affaires, 154 salariés), spécialiste du recyclage enzymatique du plastique, a récemment produit un t-shirt recyclé «fibre à fibre». Une expérimentation réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Salomon, On, Patagonia, Puma et le groupe PVH (Calvin Klein, Tommy Hilfiger…).
Si l’entreprise clermontoise a déjà maintes fois éprouvé l’efficacité de son process pour recycler des bouteilles et des emballages en polyéthylène téréphtalate (PET), c’est la première fois qu’elle réussit à produire un vêtement en «polyester recyclé enzymatiquement à partir de 100% de déchets textiles». Il faut dire que le recyclage du textile est normalement très compliqué à mettre en œuvre. En 2023, l’Ademe rapportait qu’environ 110000 tonnes de déchets textiles sont recyclés en France… sur 1,5 million de tonnes de déchets recyclables.
Un recyclage sélectif
Un recyclage sélectif
Comme pour d’autres objets en plastique, le recyclage du textile est rendu plus compliqué par le fait qu’il est rarement monomatériau. Le polyamide, l’élasthanne, le coton, ou encore les colorants sont autant de matières qui complexifient le recyclage par voie mécanique ou chimique. Mais pas par voie enzymatique : «La principale qualité d’une enzyme, c’est son hyper-sélectivité. Notre enzyme dégrade le polyester, et seulement lui. Elle ne touche pas aux colorants et autres composants», explique Alain Marty, directeur scientifique de Carbios, à L’Usine Nouvelle.
L’enzyme, codéveloppée par Carbios et le Toulouse Biotechnology Institute, fonctionne comme une sorte de paire de ciseaux moléculaires, qui coupe les longues chaînes de molécules qui composent le polymère – dans ce cas, le PET. L’enzyme emprunte ainsi le chemin inverse de la polymérisation, partant du produit fini jusqu’aux matières premières, que sont l’acide téréphtalique et l’éthylène glycol. Mais si l’enzyme, produite par le danois Novonesis, est aussi utilisée dans le cas des bouteilles et emballages, celle-ci nécessite des ajustements pour s’appliquer aux textiles.
Des conditions différentes
Des conditions différentes
«Les chaînes moléculaires du PET utilisées dans le textile sont plus courtes que celles rencontrées dans les emballages, indique Alain Marty. Elles sont donc beaucoup plus organisées, comme un millefeuille, et on dit que le PET est cristallin. Or, notre enzyme est plus adaptée au PET dit amorphe, car il est beaucoup moins ordonné et facilite donc l’accessibilité de l’enzyme. Nous avons donc développé un procédé d’amorphisation du PET.»
Toutefois, travailler avec des chaînes moléculaires plus courtes oblige à baisser la température, ce qui ralentit la réaction enzymatique. «Pour atteindre les performances obtenues dans le cas du packaging, nous avons dû améliorer l’efficacité de l’enzyme», souligne l’ancien chercheur à l’INSA Toulouse. Le recyclage du textile nécessite également de se débarrasser des «points durs» comme les fermetures éclair et les boutons, et de décolorer les vêtements. Les autres tissus utilisés, comme le coton ou l’élasthanne, se retrouvent sous forme de résidu solide qui sera valorisé, d’abord énergétiquement – d’autres pistes de valorisation sont explorées.
Carbios s’attaque également à d’autres polymères, comme l’acide polylactique et le polyamide. Sur le plan commercial, l’entreprise cherche à faire essaimer sa technologie à l’international grâce à une stratégie de cession de licences, et a entamé des discussions dans ce sens avec le groupe chinois Zhink et le turc Sasa, tous deux fabricants de PET. Une usine est également en cours de construction à Longlaville (Meurthe-et-Moselle) depuis le 25 avril, et devrait être prête pour début 2026.