Dix-sept ans après le déploiement de la première mission de l’Union africaine (UA) en Somalie pour combattre le groupe extrémiste violent al-Shabaab, le pays s’apprête à lancer une troisième opération de soutien à la paix à partir du 1er janvier 2025.
Ce mois-ci, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a approuvé une proposition visant à créer la Mission de soutien et de stabilisation de l’UA en Somalie (AUSSOM). Elle prendra la relève de la Mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS), qui a remplacé la première mission du pays (AMISOM) en avril 2022.
Le nouveau déploiement doit encore être approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui autorise en dernier ressort les missions de paix sur la base du chapitre VIII de la Charte des Nations unies. La résolution 2748 (2024) du Conseil a indiqué la possibilité de cette nouvelle mission, sous réserve d’un rapport sur sa conception d’ici le 15 novembre.
Le lancement de l’AUSSOM soulève plusieurs questions – notamment en quoi elle diffère de ses prédécesseurs, si elle peut faire mieux contre al-Shabaab et réussir à transférer la responsabilité de la sécurité aux forces de sécurité somaliennes.
L’AUSSOM sera déployée dans un contexte géopolitique en mutation, marqué par une escalade des tensions entre la Somalie et l’Ethiopie, qui fournit des troupes à l’ATMIS. Les deux pays sont en désaccord sur le protocole d’accord signé en janvier entre l’Ethiopie et le Somaliland, un Etat indépendant autoproclamé. Les détails de l’accord n’ont pas été rendus publics, mais il accorderait à l’Ethiopie un accès à la mer et une base militaire en échange d’une reconnaissance politique du Somaliland.
Les questions concernant l’AUSSOM sont légitimes. Si cette mission peut contribuer à renouveler le soutien continental et international à la lutte contre le terrorisme en Somalie, elle sera essentielle pour la protéger des tensions régionales.
Les missions précédentes ont permis à la Somalie d’obtenir des gains vitaux en matière de sécurité et de renforcement de l’État, notamment en consolidant un système de gouvernance fédérale et en organisant des élections. La Somalie est devenue membre de la Communauté de l’Afrique de l’Est en 2023 et rejoint le Conseil de sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent pour 2025-26.
L’AMISOM et l’ATMIS, aux côtés de partenaires internationaux, ont également contribué à lancer des opérations offensives contre al-Shabaab et à développer les capacités des forces de sécurité somaliennes, libérant ainsi plusieurs territoires et villes stratégiques.
La nouvelle mission diffère de ses prédécesseurs par son mandat et ses modalités opérationnelles. En raison des tensions entre l’Éthiopie et la Somalie, l’Éthiopie ne fournira probablement pas de troupes, tandis que l’Égypte le fera probablement.
Les missions précédentes ont dû composer avec des rôles et des attentes multiples, parfois contradictoires. Contrairement à elles, l’AUSSOM aura un rôle de soutien plus défini, avec des fonctions plus prononcées pour les forces de sécurité somaliennes.
Contrairement à l’ATMIS, l’AUSSOM devrait avoir un calendrier plus réaliste et plus long. L’ATMIS s’est vu confier moins de trois ans pour affaiblir Al-Shabaab en soutenant les opérations militaires offensives et en renforçant les capacités des forces de sécurité somaliennes. La priorité de l’AUSSOM sera de soutenir les opérations des forces de sécurité somaliennes et de renforcer les capacités. Contrairement aux missions précédentes, elle a pour mandat explicite de protéger les civils menacés de violence physique. L’AUSSOM aura cinq ans pour achever sa mission (2025-2029).
La nouvelle mission sera une opération de soutien en zone urbaine, avec un effectif de 11 146 soldats, 85 civils et 680 policiers. Ce chiffre est inférieur à l’effectif maximum de l’AMISOM (environ 22 000) et de l’ATMIS (19 626).
Plusieurs des défis qui ont limité l’AMISOM et l’ATMIS seront probablement également rencontrés par l’AUSSOM. Al-Shabaab demeure une menace régionale, s’adaptant aux efforts antiterroristes des missions de l’UA et du gouvernement somalien. Utilisant des tactiques de guerre asymétriques, il poursuit ses attaques meurtrières, mettant en danger les principales voies d’approvisionnement. Le groupe administre également des territoires, notamment dans le sud de la Somalie. Les alliances avec des groupes terroristes internationaux, comme al-Qaida, ont renforcé les capacités d’al-Shabaab en Somalie et dans la région.
L’AMISOM et l’ATMIS ont eu du mal à maîtriser Al-Shabaab en raison de difficultés financières et logistiques limitées et imprévisibles. L’un des problèmes de l’ATMIS est le retrait progressif de son personnel, lié à des objectifs précis. Bien que ce processus soit essentiel pour une sortie ordonnée, le calendrier n’est pas réaliste et ne reflète pas l’évolution du paysage du conflit.
Selon Omar Mahmood, analyste principal pour l’Afrique de l’Est à l’International Crisis Group, « les ambitions politiques autour de la transition n’ont jamais été à la hauteur des réalités du terrain », notamment en ce qui concerne les conditions de sécurité et les progrès réalisés dans la constitution des forces de sécurité. Cela a entraîné des retards dans presque toutes les phases du projet ATMIS.
Il convient de noter que l’AMISOM et l’ATMIS étaient toutes deux très armées et n’étaient pas suffisamment en mesure de s’attaquer aux facteurs sociopolitiques d’instabilité. Elles ont également eu du mal à combiner le renforcement des capacités, le soutien à la gouvernance et la coordination internationale des acteurs politiques et sécuritaires.
La Somalie a certainement besoin d’une mission de suivi pour éviter un vide sécuritaire, et la décision de remplacer plutôt que de renouveler l’ATMIS s’appuie sur plusieurs facteurs. L’AUSSOM vise à remédier à l’inadéquation entre le mandat et les capacités de l’ATMIS, à son retrait irréaliste et à l’affaiblissement du soutien international.
Le succès de la nouvelle mission dépend de plusieurs facteurs essentiels. Le premier est une transition ordonnée de l’ATMIS vers l’AUSSOM qui maintienne les acquis actuels.
Deuxièmement, l’AUSSOM doit contribuer à la mise en œuvre du Plan de développement du secteur de la sécurité somalien adopté l’année dernière. Ce plan de six ans, approuvé par les partenaires internationaux, propose une approche globale pour vaincre Al-Shabaab et instaurer une paix et une sécurité durables. Il comprend le renforcement de la sécurité dans les centres urbains, la lutte contre le financement du terrorisme et l’idéologie extrémiste, et l’amélioration de la communication stratégique. L’AUSSOM doit adopter une approche globale au-delà des activités militaires pour soutenir ce plan.
Troisièmement, la capacité opérationnelle de l’AUSSOM doit être en adéquation avec son mandat. Un financement adéquat est nécessaire, ainsi que du personnel qualifié et des ressources telles que des hélicoptères d’attaque. Une coordination efficace avec les différents partenaires et parties prenantes sera également cruciale.
Le quatrième facteur de réussite essentiel sera la gestion des tensions géopolitiques dans la région, notamment au vu du conflit diplomatique entre l’Éthiopie et la Somalie. Si l’autorisation de la mission AUSSOM est importante, l’ONU et l’UA devraient protéger proactivement la mission des répercussions politiques, notamment en facilitant les pourparlers entre l’Éthiopie et la Somalie.
Écrit par Meressa K Dessu, chercheuse principale et coordinatrice de formation, ISS Addis-Abeba ; Dawit Yohannes, chef de projet et chercheur principal, ISS Addis-Abeba ; et Tsion Belay Alene, chercheur, ISS Addis-Abeba.
Réédité avec la permission de ISS Afrique. L’article original peut être trouvé ici.