La manifestation #EndBadGovernance au Nigeria, qui s’est déroulée du 1er au 10 août, a pris une dimension inattendue lorsque des manifestants des États de Kano et de Kaduna, tous deux situés dans le nord-ouest du pays, ont été vus agitant et partageant des drapeaux russes dans les rues. En réaction, le président nigérian Bola Tinubu a rencontré les chefs de la sécurité du pays et la police a procédé à plusieurs arrestations. L’ambassade de Russie à Abuja a nié toute ingérence dans les affaires intérieures du Nigeria. Le problème est que la région nord du Nigeria partage une frontière de 1 497 km mal surveillée avec la République du Niger, où règne actuellement une junte militaire pro-russe.
The Conversation Africa a demandé à Olayinka Ajala, un expert en relations internationales qui étudie la région depuis plus d’une décennie, ce que cela signifie pour le Nigeria.
Pourquoi certains manifestants agitaient-ils le drapeau russe ?
Une explication possible est que la manifestation a été infiltrée par certains Nigériens pour manifester leur mécontentement face à l’attitude du gouvernement nigérian envers la junte militaire au Niger et aussi pour embarrasser le gouvernement. Le président nigérian, Bola Tinubu, qui est également président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), a imposé des sanctions au Niger lorsque l’armée a pris le pouvoir en 2023. Cet argument sur l’infiltration étrangère confirme mon point de vue précédemment exprimé selon lequel le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso de l’organisation régionale, la Cedeao, entraînerait l’exode de citoyens vers d’autres pays de la région, menaçant leur stabilité.
Il est très difficile de surveiller les frontières nigérianes, mais davantage aurait dû être fait pour empêcher les infiltrations, compte tenu du long préavis donné par les organisateurs de la manifestation.
Quel risque la présence de Wagner au Niger représente-t-elle pour le Nigeria ?
Sept États nigérians partagent des frontières avec la République du Niger. Depuis des décennies, les Nigériens et les habitants du nord du Nigéria se déplacent librement entre les deux pays pour des raisons professionnelles ou familiales. Cette situation s’accompagne également de problèmes de sécurité. Des acteurs non étatiques violents peuvent se déplacer librement, comme le montrent des groupes tels que Boko Haram.
Avec l’intensification des relations entre le Niger et la Russie, le groupe Wagner – une organisation militaire privée qui sert de façade à la Russie et qui lutte contre le terrorisme au Sahel – constitue une menace pour toute la région, en particulier pour le Nigeria. Il n’existe pas de frontière entre les deux pays et les gens peuvent facilement entrer et sortir de leur territoire.
Le groupe Wagner, comme toute autre organisation militaire privée, opère en toute impunité et n’a pas à rendre de comptes. Il a été accusé à plusieurs reprises de graves violations des droits de l’homme. Bien que la Russie ne soutienne pas ouvertement le groupe, il est de notoriété publique qu’il est parrainé par la Russie.
Le groupe Wagner a également été identifié comme une menace potentielle pour la sécurité et la démocratie au Nigeria, en raison de son mode de fonctionnement et de ses intérêts dans l’exploitation des ressources naturelles. Une étude récente a montré que des criminels étrangers sont impliqués dans l’exploration aurifère et l’insécurité à Zamfara, l’un des États frontaliers avec le Niger. Les agences de sécurité nigérianes doivent donc garder un œil sur les activités du groupe au Niger voisin.
Il n’existe pas encore de preuve que Wagner opère au Nigeria, mais il existe un risque qu’il s’infiltre à travers les frontières poreuses et compromette la sécurité du pays.
Le Nigeria doit-il s’inquiéter d’une ingérence russe dans sa sécurité intérieure ?
Oui, le Nigeria devrait s’inquiéter. Le fait d’agiter des drapeaux étrangers dans un pays porte atteinte à la souveraineté et à la sécurité intérieure du pays. Des drapeaux russes ont été brandis au Mali, au Burkina Faso et au Niger après la prise du pouvoir par l’armée. Les manifestants qui brandissaient ces drapeaux au Nigeria appelaient ouvertement à un coup d’État et à une intervention russe dans le pays. Le chef d’état-major de la défense du Nigeria a qualifié cette pratique de trahison.
Bien que l’ambassade de Russie au Nigéria ait nié toute implication dans cette affaire, il existe des preuves montrant que la Russie souhaite étendre son influence dans la région du Sahel. Il est important de comprendre que la sécurité et la stabilité des États sahéliens ont un impact sur le Nigéria et d’autres pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.
Au cours de la manifestation dans l’État de Kano, sept citoyens polonais ont été arrêtés pour avoir brandi des drapeaux russes. Le porte-parole des services de sécurité de l’État nigérian a déclaré que les citoyens polonais avaient été arrêtés alors qu’ils participaient à la manifestation. Le gouvernement polonais a affirmé qu’ils n’étaient dans le pays que pour étudier la langue haoussa.
Cela renforce encore davantage la suspicion d’une ingérence étrangère dans le pays, qui pourrait déstabiliser une architecture sécuritaire déjà fragile.
Les récentes attaques au Mali, qui ont entraîné la mort de soldats maliens et de combattants Wagner, ont été soutenues par les forces spéciales ukrainiennes. Cela fait déjà craindre une nouvelle guerre par procuration dans la région. La CEDEAO a condamné à juste titre les « ingérences extérieures » dans la région. C’est une raison de plus pour que le Nigeria s’inquiète de toute forme d’influence étrangère à l’intérieur de ses frontières.
Comment le Nigeria peut-il se protéger de l’influence russe dans son voisinage ?
Le Nigéria entretient des relations assez fortes avec la Russie, mais doit agir pour empêcher toute forme d’ingérence. En 2021, le Nigéria a signé un accord militaire avec la Russie et achète actuellement des armes à la Russie.
Malgré cela, le pays devrait se méfier des milices privées, dont Wagner. Une meilleure relation avec ses voisins, en particulier ceux où Wagner opère, lui permettrait de surveiller les activités du groupe.
Le gouvernement doit également identifier, arrêter et poursuivre rapidement les individus qui tentent de déstabiliser le pays.
En outre, les attaques au Mali sont un signe d’une influence étrangère croissante dans la région ouest-africaine. Le Nigeria devrait utiliser sa position de président de la CEDEAO pour condamner fermement de telles activités.
Rédigé par Olayinka Ajala, maître de conférences en politique et relations internationales, Université Leeds Beckett.
Réédité avec la permission de La Conversation. L’article original peut être trouvé ici.