Ad image

Le Sénégal peut-il mener à bien le processus de paix en Casamance ?

Service Com'
Lu il y a 8 minutes


La crise sociopolitique qui a éclaté en 1982 en Casamance, au sud du Sénégal, est le plus ancien conflit armé d’Afrique de l’Ouest. Elle oppose le gouvernement au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), une rébellion armée aujourd’hui divisée en trois factions principales qui réclament l’indépendance de la région.

Des progrès significatifs ont été réalisés dans la résolution de ce conflit, notamment depuis 2012. Cela a permis de déplacer les priorités sécuritaires de l’État vers l’est du Sénégal, une zone frontalière avec le Mali où opèrent des groupes extrémistes violents. Mais parvenir à une résolution définitive du conflit casamançais nécessite une approche holistique qui tienne compte des différents aspects de la crise.

La stratégie du gouvernement a jusqu’à présent favorisé une dynamique de paix positive. Elle combine négociations avec les factions du MFDC et pression militaire d’une part, et investissements socio-économiques d’autre part.

Les pourparlers entamés en 2020 entre le gouvernement et la faction Diakaye ont abouti à un accord de paix signé le 10 mars 2023 et au dépôt des armes à Mongone en mai de la même année. En décembre 2023, 255 ex-combattants du MFDC de la faction ont rendu leurs armes pour être incinérés.

En 2021, l’armée sénégalaise a attaqué des bases du MFDC à la frontière avec la Guinée-Bissau. En mars 2022, une opération militaire a ciblé des bases de la deuxième faction dirigée par Salif Sadio dans le département de Bignona, près de la frontière avec la Gambie. Le démantèlement de ces bases et le lancement d’opérations contre le trafic de bois et de drogue, principales sources de financement du MFDC, ont contribué à affaiblir les différentes factions. En août 2022, le gouvernement a signé un accord de cessez-le-feu avec César Atoute Badiate, chef de la troisième faction à cheval entre le sud du Sénégal et la Guinée-Bissau.

Ces interventions ont été rendues possibles par un meilleur renforcement des forces de défense et de sécurité et par la coopération militaire avec la Gambie et la Guinée-Bissau. En raison de leur position géographique, les deux pays ont servi de bases arrière à certaines factions du MFDC.

Le départ de l’ancien président gambien Yahya Jammeh en 2017 et l’accession au pouvoir d’Umaro Sissoco Embaló en 2020 en Guinée-Bissau ont donné à l’armée sénégalaise l’occasion de faire face à un mouvement affaibli par des conflits de direction et un faible soutien local et extérieur.

Les différents investissements du gouvernement sénégalais en Casamance ont également contribué à résoudre le conflit. L’objectif était de créer les conditions socio-économiques et politiques propices à la démobilisation progressive des combattants du MFDC.

Depuis 2012, le gouvernement a mis en œuvre une politique de développement dédiée à la Casamance, ainsi que d’autres initiatives fructueuses visant à améliorer l’accès des populations rurales aux infrastructures de base et aux services sociaux, y compris dans les zones frontalières. Il s’agit d’avancées positives vers la paix, fondées sur le développement économique de la région et l’implication de plusieurs acteurs.

Malgré les progrès réalisés, les conflits autour de la direction du MFDC et les négociations avec le gouvernement ont été les principaux facteurs de division du MFDC et de blocage du processus de paix. Tout comme le premier cessez-le-feu en 1991, les accords de paix signés depuis 2022 ont entraîné des discordes au sein du MFDC. Cela a affecté la faction de Sadio basée à Bignona, perturbant les négociations et empêchant la signature d’un accord. Toute reprise du dialogue doit tenir compte de cette dynamique.

Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) initié avec la faction Diakaye a été plus fructueux que les processus DDR après les trois accords de cessez-le-feu (1991, 1993 et ​​1999) et les deux accords de paix (2001 et 2004) signés avec le MFDC. Le processus DDR est crucial pour les négociations en cours avec les autres factions du MFDC. Sa mise en œuvre effective pourrait garantir la paix et servir de modèle aux différentes factions qui négocient avec le gouvernement.

Les mines terrestres constituent une autre menace sérieuse à laquelle il faut prêter attention. Selon le Centre national de lutte antimines du Sénégal (CNAMS), ces explosifs ont tué 870 personnes entre 1988 et 2023 (610 civils et 260 militaires). Lors du dernier incident enregistré, le 14 décembre 2023, un véhicule militaire a heurté une mine antichar dans le nord de Bignona, tuant quatre soldats et en blessant trois autres.

Le CNAMS a déminé 2 063 992 m² de terrain dans les régions de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda. Ces opérations de déminage doivent se poursuivre notamment au nord de Bignona, le long de la frontière avec la Guinée-Bissau et, dans une moindre mesure, à l’est du département de Goudomp.

L’absence d’un accord de paix global avec le MFDC et des ressources financières et humaines nécessaires pourrait empêcher le gouvernement d’éradiquer les mines terrestres conformément à la Convention d’Ottawa. La présence de mines non seulement entrave les programmes de développement, mais dissuade également les personnes déplacées par le conflit de revenir pour lancer des activités génératrices de revenus.

Grâce aux opérations de déminage et de sécurisation, des populations commencent à repeupler certaines zones abandonnées dans les années 1990. Certains services gouvernementaux ont apporté leur soutien, mais il faudra faire face à la réinsertion socio-économique et aux tensions liées à la gestion des terres et des forêts.

Le processus de paix étant sur une lancée positive, ces défis doivent être relevés de toute urgence, faute de quoi des tensions pourraient se créer et compromettre les acquis obtenus.

Rédigé par Aissatou Kanté, chercheuse, États du littoral de l’Afrique de l’Ouest, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, et Paulin Maurice Toupane, chercheur principal, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad.

Réédité avec la permission de ISS Afrique. L’article original peut être trouvé ici.



Source link

Share This Article
Laisser un commentaire