Air France a rejeté les offres des acteurs établis de la connectivité à bord et opté pour Starlink, nouveau venu dans ce segment, pour fournir le wifi en vol à ses passagers. Ce qui ne plait pas à tout le monde. Les raisons sont avant tout techniques : le modèle ultra intégré et la promesse de haut-débit de l’américain ont bousculé les fournisseurs historiques, mais aussi Airbus, qui tente de se frayer une place.
Qatar Airways, United Airlines, Air France… En quelques mois, Starlink a additionné les succès auprès de compagnies aériennes prestigieuses. Fin septembre 2024, la société d’Elon Musk a été sélectionnée par la compagnie tricolore pour installer du wifi à bord de tous ses avions. Les appareils ont commencé à être équipés en 2025 pour offrir une expérience «comme à la maison». Un contrat de grande envergure qui a échappé aux acteurs historiques de la connectivité embarquée, mais aussi à Airbus, désireux depuis peu de s’y frayer une place de choix. «Au vu de ses signatures avec des acteurs de premier plan, un effet d’entrainement est possible au cours des prochains mois», anticipait lors de l’annonce Pacôme Revillon, le patron du cabinet Novaspace.
Pourquoi la compagnie Air France a-t-elle, elle-aussi, cédé aux sirènes de Starlink ? «Nous avons consulté de nombreux acteurs et l’offre de Starlink est actuellement, de loin, la plus attractive du marché, tranchait en 2024 Alexandre Groshenny, responsable du projet “nouveau wifi” chez Air France. Elle constitue une nette rupture en termes de qualité et de compétitivité. C’est une révolution.» L’américain promet un débit plus de dix fois supérieur à celui des opérateurs concurrents, souligne l’expert, soit des débits de 40 à plus de 200 Mbps par appareil. Certes, Air France propose internet à bord depuis 2023 sur l’ensemble de sa flotte moyen et long-courrier (hors flotte régionale)… mais avec plus ou moins de fiabilité.
Un marché en plein boom
L’offre ultra compétitive de Starlink permet à Air France de proposer le wifi gratuitement, ce qui n’était pas le cas auparavant. Quitte à s’acoquiner avec un nouveau venu qui n’a pas encore fait ses preuves face aux fournisseurs historiques comme Intelsat, Panasonic ou bien encore ViaSat. «Cela va constituer un élément de différenciation stratégique dans les cinq prochaines années, prédit Pacôme Revillon. Le nombre d’avions commerciaux connectés devrait passer de 11000 aujourd’hui à plus de 22000 en 2033.» Le marché pourrait ainsi bondir sur cette période de 1,5 à 3,7 milliards d’euros.
Deuxième argument pour l’américain qui, après le résidentiel et le maritime, s’attaque au transport aérien depuis environ un an : «L’offre de Starlink va permettre de grandement simplifier la gestion et la maintenance des équipements dédiés au wifi», relève Alexandre Groshenny. Et pour cause : la compagnie aérienne va ainsi passer à un seul opérateur, contre quatre actuellement : Anuvu (pour ses A320), Intelsat (A330, A220 et B777), Panasonic (B787) et Viasat (A350). Pour rappel, dans la très grande majorité des cas, les équipements de connectivité d’un appareil ne sont compatibles qu’avec un seul opérateur.
Vos indices

Autre point fort de la solution de Starlink, qui a joué dans la décision d’Air France : les dimensions de l’antenne du fournisseur américain. Celle-ci mesure 50x60x3 cm pour un poids de 35 kg. «C’est bien moins encombrant et lourd que les antennes classiques», poursuit Alexandre Groshenny. Cerise sur le gâteau, ajoute Pacôme Revillon, «les antennes de Starlink sont actuellement moins chères que les modèles en service».
La force du modèle tout intégré de Starlink
Comment expliquer la capacité de Starlink à proposer une offre défiant toute concurrence ? D’abord par son modèle tout intégré, qui facilite la vie des compagnies aériennes. La fabrication de satellites et leur mise en orbite, les services de connectivité, la fabrication d’une antenne et son intégration… Starlink maîtrise la chaîne de valeur de bout en bout. Son offre repose en outre sur une spécificité que l’entreprise américaine est encore la seule à pouvoir proposer aujourd’hui : sa constellation de satellites en orbite basse, constituée fin novembre de plus de 6700 engins situés à 550 km d’altitude. Une infrastructure qu’aucun autre opérateur ne propose aujourd’hui, la connectivité à bord étant jusqu’à présent assurée par des satellites géostationnaires, à 36000 km d’altitude.
La liaison avec cette constellation est rendue possible par une antenne de réception particulièrement performante, dont certains composants seraient par ailleurs fournis par le français STMicroelectronics. «Les satellites en orbite basse se déplacent à grande vitesse, à 28000 km/h, Patrick Savelli, responsable de l’activité connectivité 5G au sein de l’IRT B-com. Il y a donc un enjeu de synchronisation entre les satellites et les antennes, pour garantir en permanence l’intégrité du signal.» Cette infrastructure unique permet à Starlink de tirer le débit vers le haut et le temps de latence vers le bas.
Airbus en tandem avec Safran
Airbus était pourtant entré en discussions avec Air France pour équiper en wifi ses appareils, selon les informations de L’Usine Nouvelle. Mais sans succès. L’avionneur européen se targue pourtant de proposer une solution intégrée, compatible avec plusieurs opérateurs, histoire d’éviter de fastidieux chantiers d’adaptation d’équipements. «Plutôt que de proposer un simple catalogue de fournisseurs approuvés, comme c’était le cas dans les années 2010 avec son offre HBC, l’industriel a décidé de définir une solution bien plus intégrée», décrypte un bon connaisseur du sujet. Son nom : HBCplus. Lancée en juin 2022, elle est entrée en service pour la première fois début novembre à bord d’appareils d’Ethiopian Airlines.
Pour mettre au point cette offre intégrée, Airbus s’est rapproché de Safran, assurant l’intégration de deux types d’antennes distinctes, compatibles avec les deux bandes de fréquences disponibles. L’une fournie par l’israélien Getsat, en cours de rachat par Thales, et l’autre par l’américain Thinkom. L’avionneur s’ingénie à convaincre les opérateurs, afin de proposer un catalogue le plus large possible. Alors que Viasat et SES sont déjà de la partie, des rapprochements sont en cours avec Telesat, Hughes, Intelsat, Panasonic et Oneweb. Pour l’heure, Airbus a su séduire une douzaine de compagnies aériennes. Point noir vis-à-vis d’Air France : les 61 Boeing 777 et les 10 Boeing 787 de la flotte de la compagnie française n’auraient pas pu être inclus dans l’offre d’Airbus.
L’offre de Starlink attendue au tournant
Séduisante, l’offre internet de l’américain suscite toutefois quelques interrogations sur le plan technique. «L’offre de Starlink est sans garantie de débit, ce qui signifie que les compagnies acceptent un certain niveau de dégradation», glisse Pacôme Revillon. Mais l’expert de nuancer aussitôt : même en mode dégradé, le débit restera probablement supérieur à celui offert actuellement par les autres fournisseurs pour un prix équivalent.
Autre point faible, qui devrait être résolu à moyen terme : la constellation de Starlink n’offre pas encore une couverture mondiale, notamment au niveau d’une grande partie de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie. Le comportement erratique d’Elon Musk couplé aux tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et un certain nombre de pays, tels que la Chine, laissent entrevoir pour certains observateurs des risques d’interruptions de connexion plus ou moins temporaires. Les services de connectivité de Starlink n’ont d’ailleurs pas encore vraiment été confrontés au terrain, peu d’avions étant pour l’heure équipés.
Surtout, le choix d’un acteur américain dont le dirigeant est un proche de Trump suscite l’incompréhension d’un certain nombre de commentateurs en France, quinze mois après l’officialisation du partenariat. Le tweet d’Elon Musk célébrant le deal Starlink /Air France a déclenché un flot tardif d’indignation du côté de la classe politique française. Et le débat ne fait peut-être que commencer : la SNCF a elle aussi lancé un appel d’offres pour améliorer le wi-fi à bord de ses trains : on n’ose imaginé le tollé si c’est l’offre du trublion américain qui est retenue…


