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l’Homme providentiel, pour sauver la chimie européenne ?

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Lu il y a 8 minutes




Patron d’Ineos, Jim Ratcliffe est l’un des derniers grands entrepreneurs-industriels européens dans le domaine de la chimie. Connu pour son style direct — voire provocateur pour certains —, il détonne par rapport à la communication prudente du Cefic, la fédération de la chimie en Europe. Mais n’est-ce pas d’un profil comme le sien dont la chimie européenne a besoin pour faire bouger les lignes et la préserver de l’extinction ?

Pour prendre la défense de la chimie européenne, qui est en train de décliner de façon catastrophique, il y a le Cefic qui dialogue, tout en rondeur, avec la Commission européenne, et qui pour l’heure n’a pu qu’éveiller de la sympathie à son sommet, notamment auprès d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission. Et puis il y a Jim Ratcliffe. P-dg et actionnaire majoritaire du groupe pétrochimique britannique Ineos, il a l’avantage de n’occuper aucun rôle au sein du Cefic. Aussi, depuis de nombreux mois, il parle vrai. Son style direct contraste avec la communication feutrée et consensuelle de la fédération industrielle. Et l’on se plaît à croire qu’il pourrait devenir cet Homme providentiel de la chimie, capable de faire bouger les lignes… Dans tous les cas, sa dernière prise de parole, datant du 9 octobre, est encore plus percutante que les précédentes. Sur la base d’un rapport du cabinet Oxford Economics, commandé par sa propre société, Jim Ratcliffe a lancé un nouveau cri d’alarme très explicite à l’attention des dirigeants européens. Selon lui, l’industrie chimique du continent vit ses dernières heures si rien n’est fait pour alléger la pression fiscale et énergétique qui pèse sur elle. « Nous sommes arrivés à la “onzième heure” (NDLR : la dernière extrémité). Sans intervention politique urgente, il n’y aura bientôt plus d’industrie chimique à sauver en Europe », avertit-il.

Le constat du rapport d’Oxford Economics est sévère : 21 grands sites chimiques européens ferment, représentant plus de 11 millions de tonnes de capacité perdue, et la moitié de la production d’éthylène du continent pourrait disparaître d’ici à 2030. En parallèle, huit des dix plus grandes entreprises chimiques mondiales réduisent leur voilure ou se retirent d’Europe, tandis que les dix premiers groupes américains investissent massivement sur leur territoire.

Prenons l’exemple d’Ineos, le groupe a récemment annoncé la fermeture de la dernière usine d’éthanol synthétique du Royaume-Uni à Grangemouth, a réduit de 20 % ses effectifs à Hull, a mis à l’arrêt une unité de chlorométhanes à Tavaux (France) et a fermé deux sites en Allemagne. Au total, plusieurs centaines d’emplois qualifiés ont été supprimés en moins d’un an.

Depuis 2019, la production chimique a plongé : -30 % au Royaume-Uni, -18 % en Allemagne, -12 % en France et -7 % en Belgique. Pour Jim Ratcliffe, ces chiffres traduisent une dégradation accélérée du tissu industriel européen. « L’Europe étouffe son industrie sous ses propres taxes et ses coûts énergétiques exorbitants. Nos concurrents américains paient quatre fois moins cher leur gaz. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas rivaliser », déplore-t-il.

Une industrie vitale menacée

La chimie n’est pas un secteur anecdotique. C’est le quatrième pilier industriel européen, pesant 700 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 5 millions d’emplois directs et indirects. Ses produits irriguent toute l’économie : santé, agriculture, défense, construction, transports ou encore électronique. « Ce n’est pas un manque d’innovation ni de compétence », insiste Sir Jim Ratcliffe. « C’est un problème de survie économique. Quand l’énergie coûte quatre fois plus cher qu’ailleurs et que les taxes s’accumulent, il devient simplement impossible de produire en Europe. »

Le paradoxe environnemental

Ce recul industriel a aussi des conséquences climatiques. En transférant la production vers la Chine, les États-Unis ou le Moyen-Orient, l’Europe augmente indirectement les émissions globales de CO2. Les produits chimiques importés sont deux à trois fois plus émetteurs que ceux fabriqués sur le continent. « C’est une tragédie écologique autant qu’économique. Nous délocalisons notre industrie vers des régions plus polluantes tout en prétendant verdir notre économie. C’est absurde », déplore Ratcliffe.

Sans compter que la substitution de la production européenne par des importations fragiliserait la sécurité d’approvisionnement du continent. L’Europe deviendrait dépendante de pays tiers pour des produits essentiels tels que le chlore utilisé pour le traitement de l’eau, la fabrication de médicaments ou de polymères pour l’automobile et la défense.

Un appel à un sursaut politique

Ce que déplore Jim Ratcliffe, c’est l’immobilisme de l’Europe. « Mais nous n’avons pas besoin de sympathie, nous voulons de l’action », explique-t-il. Aussi, le patron d’Ineos formule trois mesures urgentes. D’abord, réduire immédiatement les taxes et prélèvements sur l’énergie à destination de l’industrie. « L’énergie est notre oxygène. Si elle devient trop chère, nous étouffons. »

Ensuite, réformer le marché européen du carbone. Jim Ratcliffe appelle à restaurer les allocations gratuites de CO2 pour les industries exposées à la concurrence internationale et à réduire temporairement le prix du carbone, le temps que les technologies de décarbonation soient matures. « Nous croyons à la transition écologique, mais il faut du temps pour investir. On ne peut pas verdir une usine morte. »

Enfin, il plaide pour des mesures de protection commerciale équitables face aux producteurs étrangers bénéficiant d’énergie subventionnée ou non taxée. « Nous ne demandons pas du protectionnisme, mais une concurrence loyale. Si les règles ne sont pas les mêmes pour tous, alors le jeu est faussé », précise-t-il, évoquant la trop grande complexité et lenteur d’instruction des dossiers antidumping.

Un enjeu de souveraineté européenne

Au-delà des chiffres, Jim Ratcliffe évoque un risque plus large : la perte d’indépendance stratégique. Il ajoute : « Si nous laissons disparaître la chimie, nous perdrons la capacité de produire les matériaux qui font tourner nos hôpitaux, nos usines, nos armées. C’est une question de sécurité nationale autant qu’économique. »

L’homme d’affaires croit pourtant en l’Europe. À travers Project One, son entreprise réalise le seul grand investissement chimique du continent, en Belgique, pour un complexe de nouvelle génération prévu en 2027. « Nous voulons prouver qu’il est encore possible de produire en Europe, proprement et efficacement. Mais si les conditions ne changent pas, ce projet pourrait bien être le dernier du genre », commente-t-il.

Il n’est pas trop tard.

Si Jim Ratcliffe se refuse à la fatalité, son message se veut un ultime avertissement : « Nous sommes à la croisée des chemins. Soit l’Europe choisit d’agir maintenant, soit elle abandonne un pan entier de son économie aux autres continents. Il est encore temps de sauver la chimie — mais plus pour longtemps ».



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