Face à l’insistance des autorités françaises, la préférence européenne fait son apparition dans les propositions de Bruxelles. Si le gouvernement n’a obtenu que de premières avancées timides dans le paquet automobile, il ne désespère pas de faire bouger les lignes pour venir en aide aux équipementiers lors des négociations à venir au Conseil. Et attend surtout avec impatience l’Industrial Accelerator Act prévu fin janvier.
Chacun voit midi à sa porte. Tandis que le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, qualifie d’«erreur historique» la décision de la Commission européenne de se détourner du tout-électrique en 2035, la France se focalise sur son cheval de bataille : la préférence européenne.
Dans un communiqué diffusé au lendemain des annonces de l’exécutif supranational, mercredi 17 décembre, le gouvernement «salue» la décision de la Commission européenne d’introduire le «critère “Fabriqué en Europe” dans la règlementation automobile». «Pour la première fois, la production sur le sol européen sera prise en compte dans l’atteinte des objectifs climatiques», écrit l’exécutif français, qui y voit le «fruit d’un combat déterminé mené par la France».
«Le Made in Union européenne se retrouve dans l’ensemble des mesures», s’est enthousiasmé la veille, lors de la présentation des mesures, le vice-président exécutif de la Commission européenne, Stéphane Séjourné. Mais ces règles, réparties entre différents textes législatifs, restent floues et sujettes à débat lors des négociations à venir entre colégislateurs.
Une préférence européenne aux détails encore flous
C’est dans l’étude d’impact de la proposition de règlement sur le verdissement des flottes d’entreprises que les mesures de préférence européennes sont les plus détaillées. L’idée générale : les véhicules dépourvus d’un certain taux de contenu européen seront privés d’aides publiques. Dans son analyse, qui n’a toutefois pas valeur législative, la Commission sélectionne plusieurs critères comme hypothèses : un pourcentage minimum de 85% pour l’acier et de 70% pour l’aluminium ; à l’exception de la batterie, un pourcentage minimum de la valeur du véhicule de 70% à l’adoption du texte, puis 75% à partir de 2030 ; des exigences (non chiffrées) pour les batteries et leurs composants, comme le système de gestion de batterie (BMS) et le matériau actif cathodique (CAM).
Vos indices

Par ailleurs, la Commission envisage de créer une nouvelle sous-catégorie de petites voitures électriques abordables, limitées en taille (moins de 4,20 mètres) et conditionnées à une fabrication dans l’Union européenne. Ici, aucun détail chiffré à se mettre sous la dent. Enfin, l’Europe indique dans sa stratégie sur les batteries vouloir présenter des objectifs de contenu local. Cependant, elle renvoie les détails de cette mesure à début 2026, lorsque sera présenté l’Industrial Accelerator Act.
Rendez-vous en janvier
Sa date de présentation prévisionnelle est connue : le 28 janvier. De sources concordantes, c’est principalement ce texte qui devrait définir ce qu’est une voiture fabriquée en Europe (mais pas que), en y liant des critères liés notamment à la valeur ajoutée produite sur le continent. Rien ne semble figé à l’heure actuelle et les industriels ne crient pas encore victoire. «Les choses vont dans le bon sens, mais on attend de voir la suite», confie un industriel hexagonal. «Les politiques ont un choix devant eux : inclure un niveau significatif de contenu local de 75% hors batteries, soutenu par des mesures nécessaires pour renforcer la compétitivité ou s’exposer à une perte de souveraineté», abonde Victoria Chanial, vice-présidente exécutive de Forvia, en charge des affaires publiques, dans un message écrit à L’Usine Nouvelle.
Cette demande des sous-traitants est liée à leur volonté de maintenir une activité industrielle et des emplois en Europe, qu’ils jugent à risque. Les équipementiers redoutent que leurs volumes s’effondrent en parallèle de l’électrification, les constructeurs cherchant à réduire les coûts le plus possible alors que les véhicules à batterie restent considérablement plus chers qu’un équivalent thermique. Les principaux donneurs d’ordre, les constructeurs européens, se tournent de plus en plus vers les concurrents les mieux-disants en coût, quitte à importer massivement des composants d’Asie, en particulier de Chine. Le déficit de compétitivité des usines occidentales par rapport aux usines chinoises est chiffré au minimum à 25% et le dumping face aux produits fabriqués en Europe est pointé du doigt depuis plusieurs années par les dirigeants du secteur.
La balance commerciale avec la Chine se dégrade
La preuve par les chiffres : les importations de pièces automobiles en provenance de Chine ont augmenté de 50,6% (hors pneumatiques) depuis 2021, selon une enquête du Gerpisa s’établissant sur des données d’Eurostat. Dans le même temps, les exportations vers la Chine ont connu une forte baisse : -38%. Conséquence : encore excédentaire en 2019, la balance commerciale a basculé en négatif, à -1,5 milliard d’euros en 2024 et devrait encore s’aggraver en 2025 (- 4,9 milliards d’euros, selon les estimations). «Cette chute est liée à la stratégie de resourcing des constructeurs», indique l’auteur de l’enquête, Tommaso Pardi, qui précise que la détérioration de la balance commerciale avec la Chine s’opère plus vite pour les pièces automobiles que pour les véhicules neufs. Même si, pour la première fois en 2025, le solde commercial pour les voitures devrait passer en négatif, alors qu’il était encore positif de 15 milliards d’euros en 2022.
Aux yeux des équipementiers, des règles sont donc nécessaires pour enrayer la dégringolade et préserver le tissu industriel. De manière plus large, la France est en faveur d’une préférence européenne pour de multiples secteurs industriels. Dans une tribune publiée mardi 16 décembre dans le Financial Times, le président de la République, Emmanuel Macron, écrit que face aux «déséquilibres» avec la Chine, «imposer des droits de douane et des quotas sur les importations chinoises serait une réponse non coopérative». À l’inverse, il aimerait améliorer la compétitivité du continent, sans «avoir honte d’une “préférence européenne” tant qu’elle consiste à soutenir la production stratégique — dans les secteurs de l’automobile, de l’énergie, de la santé et des technologies— au sein de nos propres frontières. La protection contre la concurrence déloyale est le fondement de la résilience». Son gouvernement promet de ne rien lâcher dans les prochains mois.


