L’année 2025 aura été marquée par une explosion des déploiements commerciaux de services de taxis autonomes à travers le monde. Aux États-Unis, Waymo règne en maître avec plus de 200 millions de kilomètres parcourus par ses véhicules sans conducteur. De l’autre côté du Pacifique, plusieurs sociétés chinoises comme Baidu, WeRide et Pony.ai accumulent les projets d’expansion à l’international. Et l’Europe dans tout ça ? Elle est devenue le nouveau terrain de jeu de ces acteurs, mais des obstacles réglementaires persistent et les initiatives régionales manquent de maturité.
14 millions : c’est le nombre de trajets commerciaux réalisés en 2025 par les taxis sans conducteur de Waymo, le numéro 1 de la conduite autonome aux États-Unis. C’est trois fois plus qu’en 2024, une croissance phénoménale qui s’explique par des déploiements réussis dans de nouvelles villes au pays de l’Oncle Sam, ainsi que par une confiance avérée des usagers et des sociétés de VTC dans la solidité technologique de son système de conduite Driver.
Waymo mène la danse
La filiale d’Alphabet (maison-mère de Google) est la mieux placée aujourd’hui dans cette course effrénée. Ses taxis autonomes peuvent être réservés à San Francisco et dans sa banlieue (et peuvent rouler sur l’autoroute), à Los Angeles et Phoenix, ainsi qu’à Atlanta et Austin, en partenariat avec Uber. Elle disposerait d’une flotte de plus de 2000 véhicules – des SUV Jaguar I-Pace et des monospaces Zeekr RT – dont près de la moitié à San Francisco. Il s’agit pour l’heure de la seule société à exploiter des taxis réellement autonomes (sans chauffeurs de sécurité) aux États-Unis et à en tirer des revenus.
Une avance due entre autres au fait qu’elle a parié dès le départ sur le Lidar, et a choisi de l’intégrer verticalement, garantissant la robustesse de son système de perception de la route tout en assurant une maîtrise des coûts.
Waymo ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : l’entreprise prévoit d’étendre ses opérations à une vingtaine de villes, dont plus d’une dizaine rien qu’en 2026. Elle va renforcer son maillage américain avec le lancement de services en propre à Detroit, Houston, Las Vegas, Miami, Orlando, San Antonio, San Diego et Washington DC, mais aussi avec Lyft à Nashville et avec la société de location Avis à Dallas. 2026 est également placée sous le signe d’une expansion internationale pour Waymo : les usagers londoniens devraient pouvoir embarquer à bord de SUV Jaguar équipés de son système, tout comme les Tokyoïtes.
Waymo La stratégie de Waymo est claire : être le premier à recueillir des données cartographiques dans différentes métropoles, à y tester ses véhicules dans la circulation pour en comprendre les usages (officiels, mais surtout tacites) puis lancer des opérations commerciales afin de gagner localement en notoriété et d’occuper le terrain avant l’arrivée de sociétés concurrentes. Pour accompagner ces déploiements, l’entreprise a annoncé au printemps la construction d’une nouvelle usine de 22 000 mètres carrés près de Phoenix, dans l’Arizona, ce qui permettra à ses taxis autonomes de transporter des passagers moins de 30 minutes après leur sortie d’usine.
Zoox (Amazon) veut se faire un nom
Le déploiement rapide de Waymo a réveillé plusieurs acteurs du secteur qui ont tout fait pour accélérer leur feuille de route. C’est le cas de Zoox, start-up devenue filiale d’Amazon en 2020. La société propose depuis septembre des trajets avec des arrêts prédéfinis sur le Strip de Las Vegas et depuis novembre dans trois quartiers de San Francisco pour des utilisateurs inscrits sur liste d’attente.
Plutôt que d’intégrer son système de conduite autonome à des modèles de série existants, Zoox a fait le choix de concevoir un véhicule de A à Z, dépourvu de commandes de bord classiques. Un pari risqué d’un point de vue réglementaire : en l’absence d’autorisations de l’agence américaine de sécurité routière (NHTSA) et le cas échéant d’autres agences fédérales, la société est dans l’incapacité de lancer un service commercial. La voie semble toutefois se dégager : la NHTSA a clôturé cet été une enquête sur le processus d’auto-certification par Zoox de ses taxis autonomes, lui laissant la possibilité de faire circuler ses véhicules “à des fins de démonstration”.
Zoox En dehors de ses “grille-pains à hot-dogs sur roues”, tels que surnommés par la presse américaine, Zoox fait circuler des SUV Toyota Highlander équipés de son système à des fins de cartographie à Austin, Atlanta, Los Angeles, Miami, Seattle et depuis octobre à Washington DC. La filiale d’Amazon a ouvert en juin une usine de 21 000 mètres carrés destinée à produire plus de 10 000 taxis autonomes par an.
Coups de com’ déguisés en “services de taxis autonomes”
La conduite autonome n’est pas l’apanage des géants de la tech. May Mobility, start-up basée à Ann Arbor (Michigan), a lancé à la rentrée un service de taxis robots de jour avec Lyft dans une zone de 18 kilomètres carrés à Atlanta. Mais les véhicules, des monospaces Toyota Sienna équipés du système MPDM de May Mobility, ne sont pas pleinement autonomes : ils embarquent pour l’heure un conducteur de sécurité. Même initiative du côté d’Avride, la filiale américaine de conduite autonome du fournisseur de cloud européen Nebius, qui a lancé au début du mois un service avec chauffeur à Dallas.
Uber Cette approche, visant à éviter tout accident grave en l’absence de solution de conduite autonome mature, est également empruntée par Tesla. Le pionnier du véhicule électrique a lancé en grande pompe un “service de taxis autonomes” à Austin… qui n’a d’autonome que le nom. Le panel d’utilisateurs à pouvoir monter à bord de ces Model Y reste composé en grande partie de fans de la marque et les véhicules embarquent tous un chauffeur pour le moment. Elon Musk a voulu réitérer l’expérience fin juillet à San Francisco, mais elle s’est soldée par un échec : faute d’autorisations réglementaires en Californie, Tesla a dû se résoudre à lancer un service classique de VTC.
Uber nourrit des ambitions en interne
Le réel danger pour Waymo pourrait en réalité provenir de l’un de ses plus proches partenaires, Uber. Outre les partenariats tissés avec une vingtaine de sociétés de conduite autonome et constructeurs automobiles pour introduire des véhicules sans conducteur sur sa plateforme, le numéro 1 du VTC s’est lancé dans un projet XXL : constituer, en interne, une flotte de 100 000 véhicules autonomes. Il faut dire que l’entreprise n’a jamais caché ses vélléités en la matière, mais sa stratégie avait été brutalement déraillée il y a dix ans par son procès avec Waymo, dont elle avait volé la technologie.
Pour accélérer, Uber a récemment étendu son partenariat avec Nvidia, qui a sorti en octobre Drive AGX Hyperion 10. Cette architecture permet théoriquement à tout véhicule équipé d’une plateforme adéquate de faire de la conduite autonome de niveau 4, c’est-à-dire de rouler sans intervention humaine dans une zone prédéfinie (et le plus souvent à une allure limitée).
Sur les 100 000 véhicules autonomes qu’elle veut mettre sur la route, la société de VTC s’est engagée à acquérir et déployer, d’ici à 2030, 20 000 SUV du constructeur américain Lucid équipés du système de conduite autonome de Nuro. Stellantis a en outre prévu de construire au minimum 5000 véhicules pour Uber, avant un premier lancement dans plusieurs villes américaines. Enfin, Mercedes-Benz devrait apporter sa pierre à l’édifice en intégrant des Classe S autonomes sur la plateforme Uber.
Les sociétés chinoises en embuscade, Baidu en tête
Parmi les acteurs américains, force est de constater qu’en cette fin d’année, seul Waymo se projette concrètement en Europe avec le lancement d’un service à Londres dans les prochains mois. Un marché pourtant considérable, le Vieux Continent totalisant près de quarante aires urbaines de plus de 2 millions d’habitants. Les sociétés chinoises l’ont bien compris et bon nombre d’entre elles ont fait de cette partie du monde leur zone d’expérimentation prioritaire.
Avec ses taxis autonomes Apollo Go, le géant chinois Baidu est sans nul doute le plus à même d’aller concurrencer Waymo. Il a déclaré début novembre réaliser 250 000 trajets par semaine en Chine, soit autant que ce qu’avançait Waymo fin avril. Sa division de conduite autonome opère une flotte de plus de 1000 taxis robots dans une dizaine de villes de l’empire du Milieu (en particulier à Pékin, Shanghai, Shenzhen et Wuhan), et mène des essais à Hong Kong, aux Émirats arabes unis, en Malaisie et à Singapour. Elle s’est associée à Uber pour déployer des véhicules autonomes en Asie et au Moyen-Orient, ainsi qu’à Lyft pour les faire circuler sur la plateforme de ce dernier en Europe. De premiers déploiements sont ainsi prévus dès 2026 en Allemagne et au Royaume-Uni.
Baidu La firme chinoise a en outre choisi d’implanter son siège européen à Zurich et prévoit de lancer avant la fin d’année des tests dans l’est de la Suisse. Elle a conclu un accord avec PostBus, filiale de transports en commun du service postal helvète, afin de constituer une flotte de véhicules RT6 qui pourront être réservés par un ou plusieurs clients à la fois. L’exploitation du service est prévue “au plus tard au premier semestre 2027”. D’après le Wall Street Journal, Baidu prévoirait enfin de déployer des taxis autonomes en Turquie.
Pony.ai met l’accent sur l’Europe
Pony.ai est l’une des sociétés ayant fait le plus de bruit dans le secteur ces derniers temps. Basée à la fois en Chine et aux États-Unis, elle exploite une flotte de près de 1000 taxis autonomes en Chine, notamment à Pékin, Guangzhou, Shenzhen et Shanghai, et prévoit de la faire passer à 3000 fin 2026. Contrairement à ses concurrents, Pony.ai concentre la majorité de ses efforts sur le continent européen.
L’entreprise s’est associée à Bolt pour intégrer des véhicules équipés de sa solution de conduite autonome sur la plateforme de ce dernier en Europe à horizon 2027, ainsi qu’à Stellantis pour le développement et le test de taxis autonomes, en commençant par des Peugeot e-Traveller. Pony.ai teste enfin plusieurs véhicules Hyundai équipés de son logiciel au Luxembourg, où elle a implanté son siège européen de R&D. En dehors de l’Europe, le sino-américain mène quelques projets d’expansion en Corée du Sud, au Qatar et à Singapour.
WeRide fait le pari des navettes autonomes
Autre outsider bien implanté en Europe, la société chinoise WeRide opère un service de taxis autonomes avec une flotte de 750 véhicules, là encore principalement dans l’empire du Milieu (Pékin, Guangzhou, Shanghai, Ordos) mais aussi avec Uber aux Émirats arabes unis et sur un itinéraire prédéfini en Arabie saoudite. Mais plutôt que d’investir le marché européen des taxis au sens strict, WeRide s’est davantage centrée sur le transport de passagers.
En France, Renault a fait appel à la start-up pour déployer plusieurs navettes autonomes lors des éditions 2024 et 2025 du tournoi de Roland-Garros, sur un tronçon de 2,8 kilomètres reliant les principaux points d’accès. Plusieurs phases d’expérimentation de quelques semaines ont également été menées cette année à Valence (Drôme), en partenariat avec la marque au losange et l’opérateur Beti. Les usagers ont pu emprunter des navettes autonomes près de la gare, sur un itinéraire de 3,3 kilomètres. En dehors de l’Hexagone, des tests ont été effectués à l’aéroport de Zurich, à Barcelone et plus récemment à Louvain (Belgique). Aucune feuille de route pour un lancement commercial n’a cependant été communiquée.
Renault La liste d’entreprises de conduite autonome chinoises souhaitant s’implanter en Europe est longue. Y figure aussi la start-up Momenta, qui prévoit de tester ses véhicules à Munich en 2026, avant de les intégrer à la plateforme Uber dans les mois suivants. Enfin, Lyft, qui a racheté FreeNow à Mercedes-Benz et BMW au printemps, a annoncé avoir réservé “des centaines” de taxis autonomes de Tensor, société américaine en réalité issue de la scission de l’entreprise chinoise AutoX. Ces véhicules devraient être intégrés à sa propre flotte avant d’être déployés en Europe, aux États-Unis et aux Émirats arabes unis.
Wayve, le britannique qui monte, qui monte…
Entre les États-Unis et la Chine, les entreprises européennes sont peu nombreuses à proposer des solutions de conduite autonome viables. La seule à tirer son épingle du jeu répond au nom de Wayve. La start-up britannique a déclaré en juin qu’elle lancerait “dans les prochains mois” des essais de niveau 4 avec Uber à Londres. Elle travaille également avec plusieurs constructeurs, tels que Ford, pour lequel elle teste sa solution sur des Mustang Mach-E, ainsi qu’avec Nissan, qui a prévu d’intégrer le logiciel de Wayve dans les systèmes d’aide à la conduite (ADAS) de ses nouveaux modèles dès 2027.
Si le passage à l’échelle commerciale n’est pas encore atteint pour Wayve, la jeune pousse peut compter sur de sérieux investisseurs. Après avoir levé 1,05 milliard de dollars en mai 2024 dans un tour mené par SoftBank, Wayve serait d’après le Financial Times en pourparlers pour récolter 2 milliards de dollars auprès de la holding japonaise et de Microsoft – qui lui met son infrastructure cloud à disposition pour le traitement des données vidéo. Nvidia a en outre signé une lettre d’intention pour un possible investissement dans la start-up pouvant grimper à 500 millions de dollars.
… dans un écosystème européen à la traîne
Parmi les autres sociétés européennes impliquées figure Volkswagen, qui a signé en début d’année un partenariat avec Uber visant à déployer une flotte de “milliers” de monospaces ID. Buzz sur plusieurs marchés américains. Un premier service commercial devrait être lancé à Los Angeles en 2026. La firme de Wolfsburg fait également partie d’un projet financé par l’État allemand et mené avec la compagnie de transport public Hamburger Hochbahn visant à créer dans le centre-ville d’Hambourg une mini-flotte de 20 véhicules d’autopartage avec conducteur de sécurité. Elle sera à la fois composée d’ID. Buzz et de Holon Urban.
D’un point de vue industriel, la France est absente du paysage. Certes, quelques projets ont été initiés dans le transport de passagers, notamment par la RATP, qui teste régulièrement des bus autonomes (en particulier dans le Val-de-Marne). L’établissement public a également mené il y a quelques années des essais avec la start-up tricolore de navettes autonomes EasyMile, depuis placée en redressement judiciaire avant d’être sauvée par ses actionnaires.
Les systèmes à plusieurs types de capteurs restent les moins accidentogènes
Au-delà du nombre de partenariats noués, le succès commercial de telle ou telle solution de conduite autonome dépendra en réalité de la fiabilité de la technologie utilisée. Chacun y va de sa méthode, avec plus ou moins de succès.
Pour Waymo, la clé de la réussite réside en partie dans la mise au point d’un système complet, combinant pour la dernière génération 13 caméras, 6 radars, 4 lidars et plusieurs récepteurs audio. Ceci dote le véhicule d’un champ de vision à 360 degrés, sur 500 mètres de distance, de jour comme de nuit, résilient aux conditions météo, et créé de la redondance pour les systèmes embarqués.
Jusqu’à présent, les accidents impliquant des véhicules Waymo restent rares. La NHTSA a clôturé cet été une enquête sur le système de conduite de la filiale d’Alphabet, ouverte après la publication de 22 rapports d’incidents dont 17 collisions avec des objets fixes ou en mouvements et des véhicules en stationnement. Entre temps, l’entreprise a procédé à deux rappels massifs suite à des accrochages avec des barrières puis avec un poteau électrique.
Pour rendre son système plus fiable, Waymo a présenté l’année dernière “Emma” (End-to-end Multimodal Model for Autonomous driving), un modèle basé sur Gemini permettant de générer des trajectoires directement à partir des données des capteurs. Ces solutions multimodales ont vocation à limiter les erreurs générées par une mauvaise interconnexion des systèmes dédiés à un seul module (cartographie, perception, planification…). L’entreprise n’a pas encore communiqué sur une éventuelle intégration d’Emma dans ses véhicules.
Trouver le juste équilibre entre bas coût et sécurité
Baidu, via sa filiale Apollo, s’appuie lui aussi sur un système complet avec de nombreuses caméras et lidars. Mais à la différence de Waymo, sa solution peut s’intégrer directement sur un véhicule produit en interne, le monospace électrique RT6. Présenté en mai 2024, ce dernier peut accueillir jusqu’à six passagers et dispose d’un volant retirable en cas de conduite entièrement autonome.
Ce détail a de l‘importance car derrière la course au développement de systèmes autonomes se cache la course au coût unitaire de production d’un taxi robot. Pony.ai a d’ailleurs fait du coût l’une de ses priorités, notamment lorsqu’il a dévoilé en avril son système de septième génération. Doté de six types de capteurs différents (parmi lesquels 14 caméras, 9 lidars, 4 radars à ondes millimétriques et 4 entrées audio), le système serait d’après la firme 70% moins cher à l’assemblage que son prédécesseur, 80% moins cher sur les capacités de calcul et posséderait des lidars 68% moins coûteux.
Au bout du compte, ses véhicules seraient 20 à 30% moins chers à produire que ceux de Waymo, assure l’entreprise. En parallèle, Pony.ai a récemment inauguré une coentreprise avec Toyota et GAC afin de construire des taxis autonomes en série. Le Toyota bZ4X Robotaxi, premier véhicule issu de cette joint-venture, doit être fabriqué à 1000 exemplaires d’ici à fin 2026. La société continue dans le même temps d’intégrer son système de conduite dans les véhicules de constructeurs partenaires, majoritairement chinois.
Tesla réduit drastiquement les coûts et se brûle les ailes
Certains constructeurs se mordent les doigts de cette chasse aux coûts. C’est le cas de Tesla, qui a progressivement retiré les radars, puis les capteurs à ultrasons – utilisés dans la détection d’obstacles proches – de son système de conduite autonome FSD “non supervisé”. Selon Elon Musk, le patron du constructeur, la mise au point d’une solution uniquement basée sur des caméras serait suffisante pour atteindre une parfaite autonomie (de niveau 5). Pour rattraper son retard, le constructeur américain mise sur la collecte de données visuelles issues des millions de Tesla actuellement en circulation.
Or pour l’heure, les résultats ne sont pas au rendez-vous. En plus d’avoir lancé un service de taxis autonomes à Austin avec un conducteur de sécurité, dans une zone limitée et avec des passagers triés sur le volet pour s’assurer qu’ils ne soient pas trop critiques, Tesla a déployé des véhicules dont le “comportement” laisse à désirer.
Certains Model Y ont ainsi été aperçus en train de circuler sur le trottoir et à contresens, de freiner brusquement à pleine vitesse et même de déposer des passagers au beau milieu de la voie. Des promesses non tenues qui ont valu à Tesla et à son CEO d’être poursuivi par les actionnaires du premier pour fraude boursière. Le constructeur accumule les revers : il a en outre dissous l’équipe derrière Dojo, son supercalculateur conçu pour entraîner les réseaux neuronaux de ses systèmes de conduite.
Des solutions intermédiaires émergent, mais doivent faire leurs preuves
Wayve a de son côté fait le pari d’une technologie intermédiaire, sans capteurs Lidar et sans cartographies haute résolution, mais avec des radars. Comme Tesla, la start-up britannique mise aussi uniquement sur l’autoapprentissage, sans élaboration de règles de conduite prédéfinies. Elle utilise des techniques d’apprentissage par imitation et par renforcement.
D’après Alex Kendall, le CEO de Wayve, cette base permettrait de faire passer le coût d’équipement d’un véhicule à plusieurs centaines de dollars, contre plusieurs milliers à dizaines de milliers habituellement. La jeune pousse ne ménage pas ses efforts pour s’implanter sur le continent européen : après avoir ouvert des bureaux à Stuttgart, elle a mis la main sur la start-up allemande Quality Match, spécialisée dans l’optimisation des données d’entraînement.
Le déploiement dans l’Union européenne est freiné par les réglementations locales
Le déploiement de véhicules autonomes dans l’UE ne sera pas une chose aisée, eu égard à la réglementation relativement complexe en vigueur. “Il faut distinguer les règles d’homologation et d’acceptation sur le marché, qui vont concerner les véhicules eux-mêmes, des règles de conduite, » explique à L’Usine Digitale Me Charlotte Le Roux, avocate spécialisée au sein du cabinet Hogan Lovells. « Les règles de conduite sont régies au niveau international par la Convention de Vienne, et ensuite localement. L’Union européenne décide des règles d’homologation, avec de possibles spécificités locales.”
Un règlement européen daté du 5 septembre 2022 (n° 2022/1426) autorise sur le principe les systèmes de conduite autonome de niveau 4 (comme évoqué plus haut, sans conducteur mais dans des zones prédéfinies), néanmoins c’est uniquement pour des modèles produits en petites séries et non en masse. De plus, pour que ces dispositions soient applicables dans les États membres, il est nécessaire que les règles de conduite soient compatibles avec un tel niveau d’autonomie.
En France, c’est là que le bât blesse : les règles de conduite imposent de garder le contrôle du véhicule en toute circonstance. Pour l’heure, seule la conduite autonome de niveau 3 est autorisée dans l’Hexagone, et ce depuis 2022. Ceci permet théoriquement au conducteur de lâcher les commandes de bord dans certaines conditions (en présence d’un terre-plein central, notamment), tout en maintenant sa vigilance et étant capable de reprendre le contrôle à tout moment. Encore faut-il que les modèles équipés de systèmes adéquats soient homologués.
Pour certains véhicules, les législateurs ont voulu aller plus loin. “La France a mis en place une catégorie à part appelée ‘système de transport routier automatisé’ (ARTS), qui permet une conduite autonome de niveau 4, » poursuit Me Charlotte Le Roux. « L’objectif de la réglementation est d’avoir des véhicules qui peuvent faire des trajets prédéfinis dans un espace déjà validé et sans aléas.” En pratique, compte tenu des restrictions imposées, peu de projets ont émergé.
Le Royaume-Uni et l’Allemagne en première ligne en Europe
L’Hexagone accuse un retard de taille par rapport à d’autres États membres, en particulier l’Allemagne, où les règles de conduite évoluent plus rapidement. Un texte adopté en 2021 y permet même aux véhicules autonomes de niveau 4 de circuler sur la voie publique dans des zones prédéfinies (“designated operating areas”) et de réaliser certaines opérations de façon autonome. C’est ainsi que Mercedes-Benz a obtenu, fin 2022, l’homologation commerciale de son système de stationnement autonome développé avec Bosch dans certaines Classe S. Mais la marche reste haute : le constructeur, pourtant pionnier européen sur le sujet, n’a obtenu l’autorisation de conduite autonome de niveau 3 jusqu’à 95 km/h par l’Autorité fédérale des transports routiers qu’en fin d’année dernière.
Non soumis à ce millefeuille législatif, le Royaume-Uni pourrait être le premier pays européen à accueillir des véhicules autonomes pour un usage commercial. Le gouvernement britannique cherche en ce sens à accélérer leur mise en circulation : il a annoncé au printemps l’ouverture prochaine de projets pilotes de services de taxis et de bus autonomes sans conducteur de sécurité, afin qu’un déploiement à grande échelle soit immédiatement effectif “lorsque la loi sur les véhicules autonomes entrera en vigueur à partir du second semestre 2027”. D’après le ministère britannique des Transports, l’industrie des véhicules autonomes pourrait générer 42 milliards de livres sterling (48 milliards d’euros) et créer 38 000 emplois d’ici à 2035.
La conduite autonome en France, ce n’est pas pour tout de suite
Les pouvoirs publics, sociétés spécialisées et constructeurs automobiles redoublent d’ardeur pour introduire la conduite autonome en France. Pour autant, l’arrivée dans le pays de véhicules sans conducteur dans le cadre d’une exploitation commerciale ayant un réel intérêt (dans une zone géographique assez large, de jour comme de nuit, sans arrêts prédéfinis) semble impossible à atteindre dans les deux prochaines années et difficile à mettre en place avant la fin de la décennie. Ou tout du moins, sans assouplissement radical du cadre réglementaire les concernant… ce qui provoquerait inévitablement une levée de boucliers chez les chauffeurs de taxis et de VTC.
Pourtant, l’enjeu est immense, car aux États-Unis et en Asie, les projets abondent. Et pas uniquement sur la mise en place de services de taxis autonomes : en quête de diversification, plusieurs acteurs du secteur ont annoncé vouloir se tourner vers la vente de véhicules pour particuliers. Alphabet a à ce titre évoqué une “option future de propriété individuelle” pour sa filiale Waymo, tandis que General Motors entend se relancer dans ce segment spécifique.
D’après le cabinet McKinsey, les solutions ADAS et de conduite autonome pourraient générer entre 300 et 400 milliards de dollars sur le marché des voitures particulières d’ici à 2035, dont 170 à 230 milliards sur les systèmes autonomes de niveau 4. A trop attendre, la France risque de rater le coche, comme elle l’a fait sur tant d’autres marchés.


