La Commission européenne a détaillé d’ultimes modifications de son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), opérationnel au 1er janvier 2026. Un fonds temporaire va aussi être mis en place pour deux ans pour soutenir les exportateurs.
Le sujet a fait couler moins d’encre que le report de la trajectoire de décarbonation pour l’automobile au-delà de 2035. Mais il est au moins aussi crucial, voire plus, pour l’industrie européenne. Le 17 décembre, la Commission européenne a détaillé ses ultimes propositions pour répondre aux critiques de ses industriels sur son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), à quelques semaines de son entrée en vigueur.
Sur le papier, le système qui va s’appliquer dès le 1ᵉʳ janvier 2026 sur les produits les plus émetteurs de CO2 est vertueux : pour éviter les fuites de carbone, les importations d’acier, d’aluminium, d’engrais, de ciment, d’électricité et d’hydrogène devront désormais s’acquitter de quotas CO2 à leur entrée sur le marché européen. En 2026, ces quotas ne devraient couvrir que 2,5% des émissions carbone des importations. Mais la part des émissions couvertes par la taxe carbone aux frontières, l’autre nom du MACF, va augmenter, à mesure que les industriels européens reçoivent moins de quotas, jusqu’à couvrir la totalité des émissions en 2034.
Dans les faits, les industriels européens craignent depuis des mois que les effets pervers du mécanisme, en phase de test depuis deux ans, n’entraînent un nouveau décrochage de la compétitivité européenne. «Cette réforme est d’abord une demande forte de nos industriels européens. Ils réclament depuis longtemps, et à juste titre, un traitement égal et juste vis-à-vis de leurs concurrents étrangers», reconnaît le commissaire européen Stéphane Séjourné, lors d’une conférence de presse le 17 décembre. A l’été, la Commission a déjà validé une simplification du mécanisme, en excluant les plus petits importateurs.
Extension à 180 produits en aval
Les nouvelles modifications proposées n’entreront cependant pas en vigueur au premier janvier, car elles nécessitent d’abord un accord entre Etats-membres et Parlement européen. Pour combler les trous dans la raquette, Bruxelles propose d’élargir le champ d’application de son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières à 180 produits semi-finis ou transformés en aval, qui contiennent une part significative d’acier ou d’aluminium. L’objectif : éviter les délocalisations d’usines hors de l’Union européenne, alors que les producteurs européens vont payer plus cher leur acier et leur aluminium, que ce soit à cause de la taxe carbone ou de la baisse des quotas gratuits dont bénéficie l’acier made in Europe.
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Dans l’annexe listant les produits inclus dans le MACF, figurent ainsi les radiateurs industriels, les câbles électriques, les portes et moteurs de voitures, les machines et convoyeurs ou les machines à laver, qui contiennent en moyenne 60% d’acier… Tous ces produits devront payer des quotas CO2 – fixés selon la moyenne trimestrielle du prix des quotas échangés sur le marché ETS, autour de 80 euros la tonne actuellement – sur les émissions contenues dans l’acier et l’aluminium qu’ils utilisent. Au total, la Commission en attend 580 millions d’euros supplémentaires d’ici 2030, soit une hausse de près de 23% des revenus attendus.
Un soutien pour deux ans aux exportateurs
En parallèle, la commission prévoit de mettre sur pied un fonds temporaire de décarbonation, sur deux ans, afin de soutenir les industriels les plus exportateurs. «Nous ne pouvons pas attendre que le monde entier joue selon les règles européennes», argumente Wopke Hoekstra, le commissaire européen à l’environnement.
Doté d’environ 500 millions d’euros prélevés sur les revenus du MACF, il devrait rembourser aux producteurs européens une partie du coût du carbone qu’ils payent pour les produits les plus exposés aux fuites de carbone. Ce soutien ne sera toutefois pas directement lié à l’exportation d’un produit et les entreprises devront démontrer qu’elles décarbonent. Au-delà de 2028, Bruxelles reste flou mais promet d’autres solutions de plus long terme.
Des industriels pas satisfaits
En l’état, les industriels ne sont toujours pas complètement rassurés par les propositions de la Commission. «Tous les défauts du MACF subsistent. Même si le mécanisme est étendu aux produits en aval, cela ne s’appliquera pas en 2026. Or, même si le MACF ne couvrira que 2,5% des émissions en 2026, c’est déjà trop pour certains industriels dont les marges sont faibles», s’inquiète la Fédération des industries mécaniques en France.
La Commission de son côté estime que l’impact sur les prix à la consommation devrait être très limité. Mais elle a prévu un dispositif dérogatoire pour les engrais, afin d’éviter une hausse des prix des intrants de l’agriculture, dans un contexte déjà de colère du monde agricole, notamment en France.
Au final, «les solutions proposées jusqu’à présent sont insuffisantes et ne permettent pas de remédier aux principales faiblesses», considère toutefois Axel Eggert, directeur général d’Eurofer, le lobby de l’acier à Bruxelles. Il critique notamment les aides temporaires à l’export «incertaines» et qui ne couvrent que 25% des envois d’acier hors des frontières de l’Europe.
Les mesures pour prévenir les risques de contournement du MACF sont elles aussi jugées «très incertaines» par les sidérurgistes. De fait, la Commission prévoit de demander d’appliquer les valeurs par défaut pour les émissions des importations en cas de fraudes sur les déclarations réelles de contenu carbone et a étendu, en amont, le MACF aux importations de ferraille pour l’acier. Mais elle ne prévoit pas d’autres mesures face au «ressources shuffling», qui pourrait voir se rediriger en priorité les capacités de production les plus vertes de certains pays vers le marché européen, sans inciter à des investissements supplémentaires hors d’Europe.


