
Dans son nouveau quartier général sis à Grenoble, qui abrite son propre laboratoire de caractérisation, Quobly poursuit la mise au point de ses qubits de spin. La deeptech compte sur la puissance industrielle de STMicroelectronics pour faciliter le passage à l’échelle. Sa première puce est attendue fin 2026.
QB-SiSpin1 : voici le nom de code un peu « brut de fonderie », divulgué à la presse le 12 décembre, de la future et première puce quantique du grenoblois Quobly (ex-Siquance). La présentation a lieu au siège dont la jeune pousse a pris possession en février dernier, dans un nouveau bâtiment de Minatec Entreprises, à proximité du complexe du CEA. « QB-SiSpin1 sera disponible chez nous à compter de fin 2026 et sera ensuite livrée aux opérateurs du cloud à partir de 2028 » complète Maud Vinet, levant le voile sur le calendrier de la deeptech qu’elle dirige.
Le document affiché à l’écran apporte des éclaircissements : la puce en question comportera de 10 à 29 qubits de spin. Dans ce type de qubit, l’information quantique est encodée dans un électron unique, dans son spin plus exactement, considéré comme son moment cinétique intrinsèque. Cet électron est piégé dans une boîte quantique semi-conductrice qui s’apparente à un transistor. L’information quantique peut être contrôlée grâce à l’application d’un champ magnétique, entre autres.
Le fait qu’un tel transistor puisse être transformé en bit quantique est « la vraie découverte de l’équipe, datant de 2016 », indique Maud Vinet, alors chercheuse au CEA-Leti. Il s’avère que ce transistor était de type FDSOI (silicium entièrement déplété sur isolant), inventé par le CEA pour améliorer l’efficacité énergétique et aujourd’hui commercialisé par l’entreprise Soitec pour les smartphones et l’IoT. « De fil en aiguille, on s’est rendu compte que le FDSOI était avantageux car moins sensible au bruit », précise-t-elle. La notion de bruit recouvre les perturbations externes susceptibles d’affecter l’état d’un qubit, objet physique très fragile.
La deuxième génération de puce de Quobly, QB-SiSpin2, est quant à elle attendue fin 2027. Elle devrait intégrer de 50 à 1000 qubits juxtaposés à de la cryo-électronique, servant à contrôler in situ ces qubits, refroidis à moins de 1K. L’ensemble formera un « circuit intégré quantique avec des transistors classiques et des qubits sur un même wafer », formule Maud Vinet. Pour remplir son objectif, la deeptech n’est pas seule aux manettes. « On peut déployer cette feuille de route technologique grâce à notre partenariat avec STMicroelectronics, poursuit-elle, étant entendu que l’objectif est de livrer des machines de millions de qubits en 2032. »
Quatre millions de qubits fabriqués par STMicro
Cette option technologique du qubit semiconducteur est une force, selon elle, pour rivaliser avec Google, Amazon ou encore IBM. Les géants américains profitent de moyens financiers sans commune mesure, mais leurs qubits supraconducteurs – une autre technologie – ne sont pas adossés à une filière industrielle aussi massive que celle du semi-conducteur pour le passage à l’échelle. « Nous n’avons pas d’usine à construire, souligne Maud Vinet. On s’appuie sur les capacités de production de ST Microelectronics qui ont bénéficié de milliards d’euros d’investissement et qu’on utilise à la marge. »
Le partenariat avec le groupe franco-italien a été conclu il y a un an, en décembre 2024. « Dans notre usine à Crolles pour les wafers en 300 mm, on produit des puces FDSOI en 28 nanomètres (nm) depuis une dizaine d’années, détaille Philippe Magarshack, responsable à STMicroelectronics de la stratégie pour les microcontrôleurs, les circuits intégrés numériques et les radiofréquences. C’est une assise industrielle solide qui nous permet d’envisager cette montée en volume à plusieurs millions de qubits. On a terminé le transfert industriel du développement fait au préalable au CEA-Leti et au CNRS. On a mis en place une équipe conjointe pour la R&D sur le silicium et une autre équipe spécialisée dans la conception des circuits. Nous avons déjà fabriqué 4 millions de qubits depuis fin 2024. »
Le transfert d’une ligne R&D à une ligne industrielle a-t-il posé des difficultés ? « La technologie de Quobly et les technologies FDSOI de nos microcontrôleurs sont communes à 90%, répond-il. Les 10% restants sont des variantes de recettes qui tournent déjà sur nos machines de production. » L’évolution du nœud FDSOI vers 18 nm, l’un des objectifs de la ligne pilote Fames qui sera inaugurée fin janvier prochain au CEA-Leti, servira à rapprocher davantage les qubits pour favoriser leur couplage.
Quelques étages en-dessous de ses bureaux, Quobly jouit désormais de son propre laboratoire de caractérisation, à température ambiante et à très basse température, pour analyser les plaques produites à Crolles, contenant chacune des milliers de qubits potentiels. Une autre bonne nouvelle a réjoui Maud Vinet, le 9 décembre : « Soitec a livré les premiers wafers FDSOI enrichis en silicium 28, compatibles avec les exigences des fonderies industrielles. Cette technique de croissance existait dans les laboratoires académiques, mais pas à un stade industriel. » Le spin nucléaire de cet isotope du silicium étant nul, il n’interagit pas avec le spin de l’électron unique, ce qui élimine une source de perturbation.
L’enjeu est d’améliorer la qualité du qubit « bâti » aujourd’hui sur du silicium naturel (silicium 29). En particulier la fidélité des opérations, située en-dessous de 99,9 % pour les portes à 1 qubit, pour le moment. « Le silicium 28 va améliorer mécaniquement ces performances, il n’y a pas d’incertitude, plaide Maud Vinet. On prévoit d’atteindre une fidélité de 99,999% pour les portes à 1 qubit et une fidélité de 99,9% pour les portes à 2 qubits. On compte sur la qualité de fabrication industrielle pour arriver aux limites de ce qui a été exploré. »
Un financement de 115 millions d’euros en 2026
L’étape suivante, qui commencera à partir de la deuxième génération de puce quantique, sera d’implanter un code de surface, à la manière de Google, pour corriger les erreurs et parvenir au calcul tolérant aux fautes (FTQC). Cette « surcouche » à la fois matérielle et logicielle devrait être opérationnelle pour la troisième génération de puces Quobly, celle qui comptera des millions de qubits. Il faudra d’ici là organiser les qubits en rangées et en colonnes pour former une matrice 2D, au lieu de simples lignes actuellement.
Un effort de R&D supplémentaire que Quobly mutualise grâce à des partenariats académiques, dont celui dernièrement avec la plateforme nationale de recherche quantique de Singapour, la NQFF. Sans oublier l’indispensable levier financier : Quobly espère lever 115 millions d’euros dans les 6 prochains mois pour que ses puces quantiques puissent un jour bouleverser certaines applications industrielles.


