Le débat qui couvait depuis longtemps sur le déclin des capacités de défense de l’Afrique du Sud a explosé sur la scène publique ces dernières semaines après un sévère avertissement du chef de la marine sud-africaine. Son message était direct : des années de réduction des budgets de défense ont érodé la capacité de la Force de défense nationale sud-africaine (SANDF) à exécuter pleinement son mandat constitutionnel de sauvegarde de la nation et de protection de sa souveraineté.
Ses remarques ont déclenché une vague de commentaires politiques, d’analyses d’experts et de débats, y compris de la part des Sud-Africains ordinaires. Nombreux sont ceux qui se demandent désormais si l’Afrique du Sud, la plus grande économie d’Afrique, se désarme systématiquement dans un environnement de sécurité régional et mondial de plus en plus incertain.
Une force de défense sous tension
Les chiffres officiels de la dernière décennie (2010 – 2024) dressent un tableau qui donne à réfléchir. Le budget de la défense de l’Afrique du Sud a régulièrement diminué en termes réels, même si la SANDF continue d’assumer de vastes responsabilités allant des opérations de soutien national et de protection des frontières aux déploiements de maintien de la paix et à la sécurité maritime.
La frustration exprimée par le vice-amiral Monde Lobese trouve son origine dans des chiffres difficiles à ignorer.
Comment l’Afrique du Sud se compare : un ensemble de chiffres saisissants
Les données comparatives ci-jointes (figures 1, 2 et 3) montrent comment l’Afrique du Sud se compare au Zimbabwe et au Rwanda, des pays aux profils économiques nettement différents mais aux trajectoires de financement de la défense sensiblement plus solides. L’Afrique du Sud consacre une plus faible proportion de son PIB à la défense que le Zimbabwe et le Rwanda. Et ce, même si l’Afrique du Sud est classée numéro un (1) parmi les économies africaines, tandis que le Zimbabwe se situe à seize (16) et le Rwanda à trente-quatre (34).
Une tendance similaire apparaît lorsque l’on examine le pourcentage des dépenses publiques consacré à l’armée. L’Algérie, avec une économie plus faible mais une assise militaire plus solide, dépense largement plus que l’Afrique du Sud. Même le Zimbabwe, avec son économie relativement petite, alloue une part plus importante des ressources gouvernementales à la défense.
Lorsque l’on compare les montants en dollars, l’écart devient encore plus frappant. L’Algérie dépense plusieurs fois plus que l’Afrique du Sud pour la défense, et le Zimbabwe et le Rwanda, à partir d’une base économique bien inférieure, parviennent à maintenir des trajectoires de dépenses qui soutiennent la préparation et la modernisation des forces.
Les classements des capacités militaires racontent une autre histoire
Sur le papier, l’Afrique du Sud jouit encore d’un prestige considérable en tant que puissance régionale. Pourtant, les classements mondiaux des capacités militaires dressent un tableau différent, plus nuancé.
Selon le Global Firepower Index :
- L’Algérie se classe 25/145,
- L’Afrique du Sud se classe 40/145,
- Classement du Zimbabwe 111/145,
- Le Rwanda n’y figure pas.
Le classement supérieur de l’Algérie, même si elle n’est pas l’armée la plus puissante d’Afrique, compte tenu de l’Égypte, du Nigeria et du Maroc, reflète son investissement de plusieurs décennies dans la défense. L’Afrique du Sud, bien qu’elle soit un poids lourd économique, est nettement en retard sur l’Algérie en termes de puissance militaire, une anomalie qui mérite d’être soulignée.
Le chef de la Marine est-il justifié dans ses propos ?
Au vu des données disponibles, on peut affirmer que les préoccupations du chef de la Marine sont non seulement valables, mais qu’elles auraient dû être prises depuis longtemps.
L’Afrique du Sud s’attend depuis des années à ce que la SANDF remplisse un mandat de sécurité du XXIe siècle avec un budget bloqué aux niveaux du XXe siècle. Cela comprend des obligations telles que :
- la protection maritime d’un littoral économiquement critique,
- rôles de maintien de la paix dans les régions sujettes aux conflits,
- la protection des frontières pour freiner les flux illicites, et
- soutien national pendant les crises et les catastrophes.
L’aspect positif des commentaires du chef de la Marine est qu’ils ont alerté tout le monde, y compris les politiciens de tous bords, pour qu’ils s’expriment, certains avertissant que le pays risque d’atteindre un « point d’effondrement de ses capacités » si des investissements urgents ne sont pas réalisés.
Un carrefour stratégique
L’Afrique du Sud est confrontée à un exercice d’équilibre difficile, où des projets massifs de reconstruction sociale doivent encore être achevés et des pressions budgétaires bien réelles. Pourtant, malgré tout cela, les menaces à la sécurité, allant de la piraterie maritime à la cybercriminalité en passant par l’instabilité dans les régions voisines, augmentent. Le déclin du budget de la SANDF soulève de profondes questions sur la préparation nationale dans un climat géopolitique imprévisible. De plus en plus, le débat se déplace de la question de savoir si le budget de la défense doit être augmenté à la question de savoir pendant combien de temps le pays peut se permettre de ne pas l’augmenter.
Alors que les commentaires du chef de la Marine se répercutent dans le paysage politique, une chose est claire : l’Afrique du Sud se trouve à un carrefour stratégique. La direction choisie aujourd’hui façonnera sa posture de défense et sa sécurité nationale pour les décennies à venir.
« Une force de défense ne peut pas être allumée et éteinte comme une lumière. Une fois la capacité perdue, elle est incroyablement coûteuse et parfois impossible à récupérer » – Général militaire anonyme.
Le lieutenant-colonel (Rtd) Baliwinile Kwankwa (SA Army Int C) écrit à titre personnel.





