
L’Agence nationale de la recherche (ANR) vient de célébrer ses 20 ans. L’occasion de faire un bilan du travail de cette agence contestée au moment de sa création, mais devenue aujourd’hui un élément essentiel du financement de la recherche. Mais aussi d’évoquer l’avenir, alors que le gouvernement a adopté le 23 décembre une loi spéciale de financement transitoire de l’État, faute d’accord sur le budget 2026.
L’Usine Nouvelle – L’ANR vient de fêter ses 20 ans. Quel bilan tirez-vous de ces deux décennies ?
Claire Giry, présidente de l’ANR — Créée au milieu des années 2000 dans un contexte de tensions sur le financement de la recherche, l’ANR avait pour objectif de remettre des moyens tout en renforçant l’exigence scientifique, via des projets évalués par les pairs et ouverts aux jeunes chercheurs. Ce modèle de financement sur projets s’est imposé dans tous les grands pays de recherche, car il constitue un levier reconnu pour dynamiser l’innovation. L’ANR a aussi démontré sa capacité à se mobiliser rapidement face aux crises, à l’image du dérèglement climatique, de la pandémie de Covid-19 ou de divers accidents industriels, comme Lubrizol.
Le cœur de mission de l’agence reste le financement de la recherche guidée par la curiosité, indispensable à l’émergence d’innovations de rupture et à la compétitivité industrielle de long terme. Mais l’ANR joue également un rôle croissant d’interface avec le monde économique : environ 20 % de ses outils ciblent les partenariats public-privé, et, en tant qu’opérateur de France 2030, elle finance des programmes plus dirigés visant à lever des verrous technologiques stratégiques dans l’énergie, le numérique ou les matériaux.
En 2023, l’effort public de recherche est tombé à 0,74 % du PIB. Le Sénat a même envisagé d’amputer le budget de l’ANR de 150 millions d’euros. Dans ce contexte, l’ANR peut-elle garantir que son budget ne deviendra pas une variable d’ajustement budgétaire ?
L’amendement auquel vous faites référence, adopté en commission des finances du Sénat, aurait effectivement amputé l’ANR de 150 millions d’euros en autorisations d’engagement, ce qui aurait eu des conséquences immédiates et très lourdes sur notre capacité à financer des projets. Il a finalement été rejeté en séance, à la suite d’une forte mobilisation du ministre, mais aussi notamment de sénateurs de différentes sensibilités, des organismes de recherche et des établissements d’enseignement supérieur.
C’est un signal important : il montre qu’il existe une prise de conscience politique du rôle structurant de l’ANR dans l’écosystème de la recherche et de l’innovation. Pour autant, le contexte des finances publiques reste extrêmement contraint et il est difficile d’apporter la moindre garantie dans ce contexte. Pour 2026, le budget prévoit une augmentation de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ce n’est pas une dynamique de croissance, mais cela permettrait de stabiliser notre action et de préserver l’essentiel : notre capacité à financer environ 2 000 projets par an.
L’ANR devait être la grande bénéficiaire de la Loi de Programmation Recherche (LPR) adoptée en 2020, avec un milliard d’euros supplémentaire d’ici à 2027. Or, la trajectoire de la LPR n’est pas respectée, et la clause de revoyure, qui devait permettre, tous les trois ans, de vérifier l’adéquation entre objectifs et moyens, n’a pas été activée en 2023. Quel rôle joue l’ANR dans cette évaluation ?
La LPR a été essentielle car elle a, pour la première fois, inscrit le financement de l’ANR dans une trajectoire pluriannuelle. Aujourd’hui, il faut être lucide : dans le contexte très contraint des finances publiques, cette trajectoire n’est plus atteignable telle quelle.
Nous avons contribué aux travaux préparatoires en prévision de la revoyure, notamment en suivant des indicateurs clés comme la part de la dépense publique de recherche consacrée au financement sur projets. Cette part est passée de 4 % avant la LPR à 6 % aujourd’hui. C’est un progrès, mais encore insuffisant au regard de nos voisins européens, qui sont deux à trois fois au-dessus.
Pour autant, le rôle de l’ANR n’est pas remis en cause. Le contrat d’objectifs et de performance (COP) que nous venons de signer avec l’État confirme que l’agence reste un instrument clé de la politique de recherche et d’innovation. La question n’est plus tant celle de la croissance des budgets que celle de la priorisation.
Une des mesures phares de la Loi de Programmation de la Recherche était d’atteindre un taux de succès de 30 % aux appels à projet ANR. On en est aujourd’hui loin. N’y a-t-il pas un risque de découragement massif chez les jeunes chercheurs et les PME partenaires ?
Il faut remettre les chiffres en perspective. En 2014-2015, le taux de succès était inférieur à 10 %. Avant la LPR, nous étions autour de 18-19 %. Aujourd’hui, nous nous situons entre 23 et 24 %, soit environ un projet financé sur quatre ou cinq. C’est un point d’équilibre. En dessous de 20 %, le risque de découragement devient réel. Mais à ce niveau, l’effort demandé aux chercheurs reste raisonnable, d’autant plus que notre procédure en deux étapes limite la charge de travail inutile.
Nous avons également fait des choix clairs dans le nouveau COP : préserver les dispositifs en faveur des jeunes chercheurs et renforcer les partenariats public-privé. Une autre ambition est d’aider les équipes françaises à se positionner davantage dans les appels à projet Horizon Europe. Pour renforcer notre performance, nous avons mis en place plusieurs dispositifs d’accompagnement : aides au montage de projets, cofinancements et mécanismes basés sur l’évaluation de la Commission européenne. Par exemple, pour l’ERC, les candidats très bien classés mais non financés peuvent bénéficier d’un financement complémentaire de 18 mois pour améliorer leur dossier et augmenter leurs chances de succès.
Le nouveau COP prévoit en effet des mesures en faveur des PME. Pouvez-vous nous les détailler ?
L’ANR a en effet renforcé ces dernières années ses dispositifs en direction des PME. Le taux de subvention accordé aux PME va être relevé progressivement, pour atteindre 60 % dès 2026, contre 45 % auparavant, avec la possibilité d’aller plus loin dans le cadre des règles européennes. Cette évolution vise à lever un frein majeur pour les PME, pour lesquelles l’engagement financier dans des projets de R&D collaboratifs reste souvent difficile.
Un second axe porte sur la simplification et l’accélération des procédures. Pour les projets de recherche collaboratifs associant laboratoires académiques et entreprises, l’ANR met en place un cycle d’évaluation raccourci, avec un délai cible de six mois entre le dépôt du projet et le démarrage du financement, contre près d’un an auparavant. Cette évolution est particulièrement pensée pour les PME, dont les cycles de décision et de développement sont plus courts que ceux de la recherche académique.


