
Batteries, biocarburants, hydrogène… Les solutions pour abaisser l’empreinte carbone des engins de chantier ne manquent pas. Les prix plus élevés, le branchement des machines, la disponibilité des biocarburants ou bien les balbutiements de l’hydrogène complexifient toutefois la tâche.
Convertir les matériels de chantier aux énergies alternatives aux carburants traditionnels ? Plus difficile qu’il n’y paraît. «La gamme d’élévation de personnes est la plus avancée, puisque certains produits, tels que les plateformes ciseaux, ont toujours été électriques. Sur les matériels destinés à l’extérieur, l’évolution est plus récente, avec des machines totalement électriques disponibles depuis six à sept ans», décrit Thierry Lahuppe, le directeur du matériel du groupe Loxam, le leader français de la location de matériel aux services et à l’industrie (12000 personnes, 2,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024).
Ainsi, 20% de la valeur du parc global de Loxam est composée de matériels électriques ou hybrides, une part qui progresse de 1 à 1,5 point par an. Sur le terrassement et le compactage, l’offre de matériels compacts électriques ou hybrides se limite encore entre 3 et 3,5 tonnes. «Les matériels électriques sont disponibles, mais la demande est relativement faible», confirme Mathieu Armengaud, le responsable maintenance, sécurité, environnement et qualité de la fédération DLR, qui regroupe les distributeurs, loueurs, réparateurs des équipements de chantier et de manutention.
Sur les chantiers, des difficultés d’accès au réseau électrique
En cause, des prix qui peuvent être jusqu’à deux fois plus élevés. Chez Loxam, les commerciaux ont été formés à réexpliquer la notion de coût total d’utilisation, pour souligner que si un coût de location facial peut être plus élevé sur un matériel électrique, l’énergie consommée peut finir par être moins chère qu’en thermique.
«Le coût initial n’est pas suffisamment compensé par le prix de l’énergie», regrette pour sa part Eric Plouzennec, le directeur de la performance des équipements de Colas, une filiale de Bouygues spécialisée dans les travaux routiers et d’infrastructures (64000 personnes, 15,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires). Les loueurs mettent aussi en avant d’autres arguments, tels que la réduction du bruit et des vibrations, et la réduction de l’empreinte carbone. En Norvège, des aides sont accordées aux entreprises pour convertir leur parc machines, tandis qu’aux Pays-Bas, certaines grandes villes ont instauré des contraintes sur l’accès des engins thermiques.
Autre frein à l’achat de matériels électriques, celui des usages. «Sur les chantiers, il faut pouvoir accéder à l’énergie : comment je recharge ma pelle ou ma chargeuse ? Dois-je acheter une batterie qui coûte aussi cher que la machine ?», interroge Eric Plouzennec. En plus d’un accès difficile au réseau sur de nombreux chantiers, ce qui induit des locations essentiellement effectuées à la journée ou pour de grands chantiers fixes, il convient de prendre l’habitude de recharger les machines, par exemple lors de la pause-déjeuner.
Le biocarburant en manque d’incitations
Plus simples à utiliser sur le papier, puisqu’ils ne nécessitent pas de nouvelles motorisations, les matériels fonctionnant aux biocarburants sont eux aussi à la peine. «Un biocarburant admissible dans les matériels diesel est le HVO, dont la production progresse. Mais elle ne pourrait couvrir que 10% à 15% des besoins à terme. Il n’y aura jamais suffisamment de production de HVO pour couvrir tous les besoins», tranche Thierry Lahuppe, chez Loxam. Depuis 2022, les agences franciliennes de Loxam refont le plein de carburant en HVO. Présent dans 29 pays, le loueur rappelle que certains pays ont fait le choix de l’incitation, comme aux Pays-Bas où le coût d’achat est inférieur à celui du diesel, contre quelques centimes de plus, par litre, en France.
A Los Angeles (Etats-Unis), le parc de Colas s’alimente totalement en biocarburants de type HVO, pour suivre les règles de l’Etat de Californie. Au Royaume-Uni, où les commandes publiques pour les travaux routiers intègrent le recours obligatoire à des machines fonctionnant au biocarburant, les entreprises doivent se plier à la même politique. Il y est imposé de communiquer les émissions carbone des chantiers. «Notre technologie sert à agréger des données», se réjouit Clément Bénard, le cofondateur de Hiboo, une société parisienne spécialisée sur la production de données pour les gestionnaires de flottes, qui utilise ainsi le marché britannique comme un laboratoire.
L’hydrogène à la traine
Batteries, biocarburants… Quid de l’hydrogène ? Chez Colas, Eric Plouzennec est peu mesuré. «Il y a cinq ans, en commençant à travailler sur le sujet, on s’est laissé bercer par des annonces mirobolantes. L’équilibre économique de l’hydrogène ne fonctionne, pour l’heure, que par subventions. Le coût de l’énergie est élevé. Le défi est de trouver de l’hydrogène vert, avec un nombre très faible de stations. Les machines, elles, sont encore à l’état de prototypes», commente le manager. Même constat chez Loxam, où l’on précise que le coût des machines existantes peut être multiplié par trois ou quatre par rapport au diesel.
Dans ce contexte, la décarbonation du parc passera peut-être par une meilleure connaissance des performances de chaque machine. «Nos clients ont soit l’envie, soit l’obligation d’aller vers les énergies alternatives. Ils veulent savoir comment cela fonctionne, s’il y a un risque de baisse de la productivité… La donnée vient les aider», poursuit Clément Bénard. Pour sa part, Colas a engagé un ingénieur au siège pour standardiser les résultats de ses tests de machines, et consigner les retours des conducteurs. Autre enjeu, celui de l’évolution des compétences dans les ateliers de maintenance, que l’entreprise de travaux publics a commencé à intégrer dans ses projets. Comme dans l’automobile, en somme.


