Ad image

comment Lidl tente de mettre d’accord agriculteurs et industriels avec ses contrats tripartites

Service Com'
Lu il y a 8 minutes



Les contrats tripartites se sont fait une belle place dans les rayons du discounter Lidl en France, au bénéfice des agriculteurs… et parfois même des industriels.

Un discounter allemand qui sauve la mise à des agriculteurs français grâce à des contrats où la rémunération est significativement plus élevée que le marché… C’est d’être une fable de Noël. Les contrats tripartites se sont fait une place dans les rayons de Lidl : ils concernent 5000 agriculteurs engagés, soit 20% des viandes et 30% du lait présents sur les étals, selon l’enseigne.

L’aventure a débuté en 2015, lors de la crise du lait. Ciblé par les agriculteurs, le discounter s’attache alors à améliorer son image auprès d’eux. Dix ans plus tard, l’initiative fait figure, de par son ampleur, de modèle dans l’agroalimentaire. «Il y a un gros problème d’opacité dans la négociation commerciale en France. Les contrats tripartites permettent d’apporter de la transparence», analyse Michel Biero qui, en sa qualité de directeur des achats et du marketing de Lidl pendant quinze ans, a porté le développement de ces contrats au sein des équipes du distributeur.

Détail technique, le terme «tripartite» est un abus de langage. En réalité, il y a deux contrats signés : d’abord entre l’agriculteur et l’industriel, puis entre ce dernier et le distributeur. «Le droit français nous interdit de signer à trois, cela relève de l’entente», précise celui qui a quitté l’enseigne en début d’année. Qui y a-t-il de si novateur dès lors ? «La logique est renversée. Nous proposons à Lidl notre prix de vente, indexé sur les coûts de l’éleveur et non sur les prix du marché», détaille François Bloc, le responsable des productions animales chez NatUp, une coopérative qui fournit 32000 bovins chaque année dont 4500 au discounteur. «Lidl a toujours traité plus directement avec les producteurs, pas avec les dirigeants de la coopérative, poursuit le dirigeant. Autre point différenciant, les prix garantis dans le temps apportent de la visibilité aux éleveurs.» Et des sous. NatUp estime que Lidl a payé 10% plus cher les bêtes livrées que le reste du marché. Un montant d’autant plus appréciable que le contrat porte sur l’intégralité de la carcasse, ce qui facilite la valorisation de l’ensemble de la bête pour les éleveurs. Mêmes louanges de la part de Jean-Luc Pruvot, le président de FaireFrance, une marque d’éleveurs née pendant la crise du lait. Ses 350 sociétaires reçoivent 58 centimes par litre livré à LSDH, l’embouteilleur, soit environ 20% de plus que ce que versent les grands industriels présents dans le rayon. «Je discute directement du prix avec le distributeur, sans intervention de l’industriel», indique-t-il.

Mais une fois le premier contrat signé, qu’advient-il ? «L’éleveur est content, il rentre chez lui. C’est la raison pour laquelle Lidl a été épargné lors des précédentes manifestations agricoles», souffle Michel Biero. Surtout, une deuxième négociation débute, en tête-à-tête, entre l’industriel et le distributeur. «Je négocie le bout de gras, la matière première industrielle (MPI), c’est-à-dire les emballages, l’énergie…», poursuit Michel Biero. À ce stade, les vilaines habitudes peuvent reprendre le dessus. Cependant, «comme la négociation se focalise uniquement sur la MPI, elle est plus saine», remarque Allegria Ifergan, la directrice de la communication du discounter. Par ailleurs, les produits couverts par les contrats tripartites portent sur la gamme premium des étals de Lidl : les prix étant moins contraints, la dispute commerciale est de facto limitée.

Davantage profitable à l’industrie laitière

Si la négociation est moins tendue, les industriels sont-ils la variable d’ajustement dans l’équation, alors que les équipes de Lidl assurent pratiquer sur ces produits des marges en phase avec celles du reste du rayon ? Aucun industriel de la viande contacté n’a donné suite à nos demandes – et ce, alors que Michel Biero estime qu’«il y a de la marge» chez ces derniers. Dans le lait, Emmanuel Vasseneix, le président de LSDH, accepte de jouer le jeu. S’il note qu’«à force de tout sanctuariser, le risque est que le seul poumon de l’économie soit l’industriel», le dirigeant est un véritable thuriféraire des tripartites. «Ils protègent la chaîne de valeur à la baisse et amortissent à la hausse, confie-t-il. Surtout, ils permettent de créer une relation de fond, c’est précieux. Le débat ne concerne plus seulement le prix, mais les problématiques de nos métiers. Nous passons plus de temps désormais à améliorer le cahier des charges qu’à nous battre pour un demi-centime.» L’industriel est le premier satisfait de la visibilité donnée par le distributeur.

En fait, aucune des personnes interrogées n’a vraiment remis en cause le principe de ces contrats. On pourra toujours objecter que si Lidl se montre magnanime sur ses gammes premium, c’est qu’il sait tordre le bras à ses fournisseurs par ailleurs et que les centimes en plus ici sont soigneusement grattés quelques étals plus loin. Mais non, les principales critiques tiennent à l’ampleur relativement limitée de ces contrats et à leur durabilité, mise en doute.

«Ces contrats fonctionnent surtout pour l’industrie laitière, note Léonard Prunier, le président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (Feef), qui représente des PME de l’agroalimentaire. C’est beaucoup plus difficile à mettreen œuvre dès lors qu’un produit est composé d’une kyrielle de matières premières et donc de fournisseurs.» Michel Biero rappelle que l’essence de ces contrats est d’abord de soutenir des filières en difficulté, et qu’ils n’ont donc pas vocation à couvrir tous les rayons. «Lidl fait marche arrière aujourd’hui sur l’origine française de ses produits, j’ai des doutes sur la pérennité de l’initiative», constate de son côté Jérôme Foucault, le président de Pact’Alim, l’un des deux principaux lobbies industriels de l’agroalimentaire. Le nouveau président de l’enseigne, John Paul Scally, a indiqué en juillet à nos confrères du magazine LSA que Lidl avait perdu «son image prix» et qu’il était «urgent» de la restaurer. Tous les acteurs interrogés font donc part de leurs inquiétudes.

«Aucun changement n’est prévu pour les contrats tripartites», rassure Allegria Ifergan. Mais ces derniers sont à l’arrêt, alors que l’inflation a provoqué des remous et que les comptes de Lidl sont dans le rouge. «Pour l’année en cours, il n’y aura pas de nouveaux contrats tripartites signés. Mais nous ne sommes pas fermés à l’avenir», ajoute-t-elle. D’autant que sur certains produits, les fournisseurs ont la main. «Avec les œufs, l’enjeu pour la grande distribution n’est pas seulement d’avoir des prix attractifs mais aussi des rayons remplis», estime l’éleveur de vaches Jean-Luc Pruvot. Une bouteille (de lait) à la mer.

Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3747 – Octobre 2025

Lire le numéro



Source link

Share This Article
Laisser un commentaire