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Ultra-complexe, trop limitée, facilement contournable… La nouvelle version de la taxe carbone aux frontières récolte de vives critiques des industriels

Service Com'
Lu il y a 11 minutes



Après la publication, le 17 décembre, des règles précises qui s’appliquent pour le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui entre en vigueur au 1er janvier 2026, les industriels qui produisent les métaux concernés – l’acier et l’aluminium – notent une première avancée, mais restent critiques, notamment sur les risques de contournement.

La nouvelle version du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ne convainc pas totalement les industriels. A l’aval des chaînes de valeur de l’acier et de l’aluminium – concernés comme les engrais, l’hydrogène, l’électricité et le ciment par le MACF -, les entreprises s’inquiètent de l’augmentation des prix des métaux importés qu’elles achètent engendrée par la prise en compte, à partir du 1er janvier 2026, de leur coût carbone. Mais même les fabricants d’acier et d’aluminium, dont le MACF est censé protéger le verdissement en limitant la concurrence de produits plus émetteurs de CO2 fabriqués hors d’Europe, restent critiques.

Faire payer le CO2 aux frontières

Tout n’est pas encore clair dans le «cadeau de Noël» de Bruxelles, qui a publié une véritable avalanche de documents le 17 décembre. Ce jour-là, la Commission européenne a publié deux propositions d’actes législatifs, qui vont devoir encore discutés avec le Conseil et le Parlement, mais aussi huit actes délégués, un acte d’implémentation et une multitude d’annexes qui eux vont s’appliquer dés le 1er janvier. «Deux semaines avant l’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone, il était plus qu’urgent que la Commission communique la façon dont il va fonctionner» , pointe un lobbyste. L’ensemble est ultra-complexe.

Sur le principe, les principaux produits de base importés à partir de 2026 devront acquérir des certificats “MACF” pour couvrir leurs émissions CO2. Leur nombre sera calculé en fonction de l’intensité carbone réelle des importations – ou selon des valeurs par défaut définies pour chaque pays et par produit – mais en soustrayant les émissions couvertes par des quotas gratuits pour les produits européens équivalents. C’est ce mode de calcul qu’ont fixé les actes délégués.

Globalement, les valeurs CO2 appliquées par défaut aux importations sont relativement élevées – c’est le fruit d’un intense travail de lobbying des producteurs, qui a d’ailleurs conduit à un report de deux semaines de la publication des textes –, tandis que les «benchmarks» provisoires des meilleurs produits européens par rapport auxquels elles seront jugées sont plutôt bas, ce qui entraîne des coûts plus élevés pour les importateurs.

«La méthodologie de calcul de ces valeurs a changé et se base sur les productions les plus émissives des pays concernés, ce qui les rend assez punitives», constate Pauline Miquel, spécialiste MACF au sein de l’entreprise CBAMBOO. Résultat : dés 2026, l’ajustement carbone pourrait peser lourd dans les prix de certaines importations. Dans le «cas extrême» de l’Indonésie, par exemple, importer une tonne de bobine laminée à chaud «coûte de l’ordre de 600 euros de taxe carbone en 2026», chiffre l’experte. «Cela représente la réalité de la production ultra-carbonée de l’acier dans certains pays asiatiques», se satisfait le représentant d’un grand sidérurgiste européen, qui y voit un moyen de rétablir une concurrence loyale alors que la baisse des quotas gratuits, de 2026 à 2034, pousse le secteur à se décarboner.

Extension vers l’aval «tardive» et «limitée»

L’intégration dans le mécanisme, à partir de 2028 (après le vote d’un amendement au règlement du Parlement et du Conseil), de divers produits en aval – des machines à laver aux portes de voiture – est aussi saluée. C’était une demande ancienne de l’industrie, qui soulignait le risque de délocalisation entraîné par l’imposition d’un surcoût carbone sur l’importation de métaux et produits semi-finis, mais pas des biens qu’ils servent à fabriquer. «Reconnaître les faiblesses du MACF et proposer des solutions est une première étape attendue depuis longtemps et nécessaire pour garantir l’efficacité du mécanisme» a salué Axel Eggert, directeur général d’Eurofer, le lobby du secteur à Bruxelles.

Les industriels jugent l’arrivée de l’aval trop tardive et limitée. La proposition actuelle de la Commission mentionne 180 produits divers, sélectionnés en fonction de leur proportion en métaux et des échanges commerciaux. «C’est “bien, mais peut mieux faire”. La liste présentée est très précise et trop éparpillée, avec des codes CN à 8 chiffres [le niveau le plus précis de la nomenclature européenne des biens], alors qu’il aurait fallu une intégration beaucoup plus large», juge le porte-parole d’un aciériste européen, qui s’inquiète que de nombreux produits passent au travers des mailles du filet. «Les machines à laver sont couvertes, mais pas les lave-vaisselle, alors que le contenu en métaux est similaire… Pourquoi ? mystère», s’amuse un autre chargé d’affaires publiques.

«L’ouverture à l’aval était une demande du secteur aluminium. Mais dans deux ans, c’est trop tardif, et surtout pour un nombre trop limité de produits», abonde Nadia Mandret, déléguée générale d’Aluminium France. L’exemption de taxes pour les petits importateurs (sous le seuil de 50 tonnes), introduite par le règlement de simplification, fragilise aussi le mécanisme alors que l’aluminium est un métal léger. «Typiquement, plus de 80% des clients de la filière bâtiment achètent moins de 50 tonnes par an de profilés en aluminium. Pour eux, ce sera moins cher de s’approvisionner en profilés fabriqués hors d’Europe qui ne seront pas soumis au MACF», alerte-t-elle.

Risques de contournement

Autre grief majeur : les mécanismes anticontournement sont jugés insuffisants, alors que la Commission prévoit de mener des enquêtes sur le terrain pour estimer les risques, avant de potentielles actions.

«Les mesures proposées sont très incertaines en termes de calendrier et d’efficacité, car elles ne constituent pas des mesures dissuasives convaincantes, mais seulement des solutions potentielles a posteriori», écrit Eurofer dans son communiqué de presse, alors que la sidérurgie souhaitait que les valeurs par défaut s’appliquent à toutes les exportations d’un pays.

«Pour que le CBAM ne devienne pas une passoire carbone, il faut que les valeurs soient correctement calibrées, mais aussi qu’il soit immunisé contre les contournements et les fraudes prévisibles… Or il n’y a rien sur le sujet : le monitoring proposé par la Commission est très insuffisant», juge un industriel de l’acier, qui s’attend à ce que certains pays fassent passer de l’acier produit avec du charbon pour de l’acier fait en four électrique, à partir de ferraille et à l’empreinte carbone bien plus faible. «Toutes nos filières vont devoir analyser les flux pour vérifier sur des pratiques abusives existent. Et combien de temps faudra-t-il pour introduire ensuite des valeurs par défaut en cas d’abus confirmé ? Personne ne le sait», pointe un autre lobby patronal.

A partir de 2028, le poids carbone de l’utilisation de chutes de production devrait toutefois être comptabilisé dans l’empreinte carbone des produits importés, selon un mécanisme qui reste encore flou pour les acteurs concernés. Une décision saluée par l’aluminium, mais critiquée par la sidérurgie, qui ne veut pas que l’importation de ces chutes d’acier soit taxée.

Augmentation des prix de l’aluminium européen

Dernier grief enfin, le fonds de soutien temporaire aux secteurs qui exportent, prévu en 2028 et 2029 pour compenser la baisse des quotas gratuits. Outre ses ressources incertaines, il ne sera pas lié aux exportations réelles des entreprises mais seulement à la production de certains produits. Une injustice, tonne un acteur de l’acier, qui estime par ailleurs que cela ne suffira pas à compenser la perte de compétitivité induite par le marché européen des quotas CO2, devenue à ses yeux une «prison carbone» empêchant d’exporter. Quant aux secteurs en aval, «ils ne seront protégés qu’en 2028 face à la concurrence de concurrents étrangers non soumis à des prix du carbone, mais n’auront pas non plus de soutien à l’export car le fonds temporaire ne devrait couvrir que les secteurs intégrés au MACF en 2026», pointe un autre lobbyste, qui s’inquiète des effets de cette double peine.

Cette dynamique inquiète particulièrement dans l’aluminium. Le mécanisme de fixation des prix de l’aluminium, basé sur les cours officiels du LME auxquels s’additionne une prime géographique spécifique, risque de faire grimper les prix de tout l’aluminium acheté en Europe, bas-carbone ou non, prévoit le lobby European Aluminium. Cela serait sans doute bénéfique aux producteurs d’aluminium primaire (comme Aluminium Dunkerque ou Trimet en France) mais viendrait, in fine, fragiliser la filière en renchérissant le prix de ses produits à domicile tout en diminuant sa compétitivité à l’export.



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