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l’Europe saura-t-elle protéger ses fabricants de matières actives pharmaceutiques (API) ?

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Lu il y a 10 minutes


C’est un futur règlement européen que les industriels de la chimie fine pharmaceutique appellent de leurs vœux depuis longtemps. Entré dans sa dernière ligne droite, le Critical Medicines Act (CMA) fait l’objet d’âpres discussions qui conditionneront la possibilité de relocalisations de productions d’actifs dans l’espace européen, pour retrouver une maîtrise des approvisionnements.

Alors que les ruptures de médicaments se multiplient et que la dépendance vis-à-vis de l’Asie pour les matières actives pharmaceutiques (API) atteint des niveaux historiques, l’idée de doter l’Europe de mécanismes de protection a été longue à germer. Aujourd’hui, plus de 75 % des matières actives critiques sont effectivement fabriquées hors UE, majoritairement en Chine et en Inde. Chaque tension géopolitique, chaque fermeture d’usine en Asie, chaque rupture logistique fait planer le spectre de pénuries massives sur les chaînes d’approvisionnement européennes. « Cette vulnérabilité n’est pas seulement logistique : c’est une menace directe pour les patients et la stabilité des systèmes de santé », affirme l’EFCG, syndicat européen des producteurs de principes actifs et ingrédients pharmaceutique-pendant européen du Sicos en France. Cette réalité était dénoncée de très longue date parles professionnels du secteur, mais elle n’a été dévoilée au grand jour qu’à l’occasion de la pandémie de Covid. Et c’est sans doute cette indignation collective qui a pu faire bouger les lignes, même s’il aura fallu attendre le 11 mars 2025 pour que la Commission européenne ne présente officiellement un texte en vue de mettre en place un Critical Medicines Act (CMA), un règlement destiné à sécuriser la mise à disposition d’API dans l’espace européen.

La nécessaire définition d’un médicament critique

Si ce projet de loi a été si long à élaborer c’est aussi parce qu’il a fallu mettre en place un processus complexe pour déterminer ce qu’est exactement un médicament critique. La Commission a dû développer une méthodologie s’appuyant sur une matrice intégrant différents facteurs, tels que la famille thérapeutique du médicament, la structure de sa chaîne d’approvisionnement et le nombre de fournisseurs. Cette méthodologie a débouché sur la publication d’une liste de quelque 400 médicaments critiques. Puis il a fallu bâtir les grandes lignes du texte qui s’articule désormais autour de trois piliers. Le premier concerne la désignation de “projets stratégiques” pour les médicaments critiques ou leurs ingrédients, pour faciliter leur financement et leur développement. Le deuxième pilier porte sur les marchés publics et le renforcement de mécanismes pour favoriser des chaînes d’approvisionnement résilientes et les fabricants respectant des standards sociaux et environnementaux élevés. À l’occasion de la dernière édition du salon CPhI, Maggie Saykali, Director Specialty Chemicals au Cefic, s’est exprimée sur le sujet : « Nous constatons aujourd’hui que les marchés publics sont exclusivement basés sur le coût et le prix, ce qui signifie qu’un seul fournisseur remporte l’appel d’offres. Cette approche n’offre aucune garantie quant à la qualité, la sécurité d’approvisionnement ou le respect des normes environnementales et sociales. Ceci est préjudiciable aux fabricants européens, car nous sommes soumis à un ensemble de normes… En modifiant les critères d’attribution des marchés publics, nous pourrions offrir aux fabricants européens de meilleures perspectives de compétitivité. »

L’EFCG réclame pour sa part plus de précision dans le texte sur les critères d’attribution des marchés publics : qu’au moins 30 % des volumes soient produits en Europe et aucune dépendance supérieure à 50 % vis-à-vis d’un seul pays. Enfin, le CMA évoque le développement de partenariats internationaux pour diversifier les sources d’approvisionnement et réduire la dépendance à certains pays tiers.

« Il est indispensable d’encourager la production locale selon les normes de qualité les plus élevées possibles afin de pouvoir fabriquer ce dont on a besoin, au moment où on en a besoin. Mais il est tout aussi important de nouer des alliances et des coopérations internationales pour les périodes de crise, afin de disposer d’alternatives. En n’ayant actuellement qu’une seule option, nous nous rendons vulnérables », poursuit Maggie Saykali. Un point sur lequel insiste l’EFPIA, l’association européenne des laboratoires pharmaceutiques. Elle estime que la résilience des chaînes d’approvisionnement ne doit passe réduire à une relocalisation des sites de production en Europe et met en garde contre une politique industrielle “basée sur le lieu” ou des incitations protectionnistes, qui pourraient violer les obligations de l’OMC, fausser la concurrence et fragmenter le marché unique.

Un tournant industriel en faveur de la relocalisation ?

Sur le papier, le CMA devrait marquer un tournant et favoriser la relocalisation de certaines productions d’actifs, pour renforcer l’autonomie stratégique de ce secteur jugé essentiel. Ou tout du moins sécuriser la mise à disposition des équipements et des infrastructures nécessaires pour produire ce dont on a besoin, au moment où on en a besoin. L’EFCG insiste sur ce point : « maintenir un tissu industriel d’API en Europe, c’est préserver un savoir faire, des emplois qualifiés, et la capacité à répondre en cas de crise. Laisser ces capacités disparaître serait irréversible ». Pour autant, les producteurs européens d’API sont inquiets et considèrent qu’ils sont loin d’avoir partie gagnée car le document qui sous-tend le CMA est encore en discussion. Et force est de constater que les membres de l’UE peinent à s’accorder sur un texte à la hauteur de l’enjeu. « Derrière les déclarations d’intention, les débats législatifs encours laissent craindre un texte largement édulcoré, incapable d’enrayer le déclin industriel européen », estime le syndicat qui redoute devoir le texte se vider de sa substance. « La pression pour plus de “flexibilité” dans les achats publics revient, de facto, à neutraliser toute préférence européenne dans les appels d’offres – un outil jugé essentiel parles industriels pour recréer des capacités sur le sol européen. Dans le même temps, aucun fonds dédié n’a été prévu, et les mécanismes d’aides d’État restent flous, alors que les producteurs européens font face à des coûts d’énergie élevés, des normes strictes et une concurrence internationale souvent subventionnée », poursuit l’EFCG.

Des oppositions

Le paradoxe est pourtant connu : dans le prix final d’un médicament, l’API pèse rarement plus de 10 %. Malgré tout, certains pays plaident encore en faveur d’un accès à des API asiatiques à bas coûts pour soutenir leurs systèmes de santé, peu soucieux du soutien d’une production européenne – car probablement peu concernés. De son côté, l’EFPIA n’est pas un supporter inconditionnel du CMA. L’association soutient l’objectif, mais pas n’importe quelles mesures. Elle insiste pour que la mise en œuvre soit intelligente, pragmatique et équilibrée : pas de nationalisme économique pur, mais un projet bien financé, qui renforce la résilience sans protectionnisme, sans bureaucratie et sans fragmentation du marché. Dans un contexte où l’Asie continue de creuser son avantage, l’Europe joue une partie décisive. Se dotera-t-elle d’un texte de compromis, politiquement acceptable, mais industriellement impuissant ? Ou mettra-t-elle en place des outils en faveur d’une consolidation, voire d’une reconstruction, des chaînes d’approvisionnement de médicaments essentiels ? Les options se discutent en ce moment.

Le calendrier du Critical Medicines Act

Avril 2024 : La Commission crée la Critical Medicines Alliance, un groupe de travail multi-acteurs chargé d’identifier les médicaments critiques

Janvier-février 2025 : Lancement d’un Call for Evidence afin de finaliser la proposition législative.

Mars 2025 : proposition officielle de la Commission pour un Critical Medicines Act, Texte présenté comme un règlement.

Décembre 2025 : Vote en commission SANT. Adoption du rapport parlementaire modifié.

Transmission au Parlement en vue du vote en plénière.

Décembre 2025 / janvier 2026

Vote en plénière du Parlement européen.

Feu vert à l’ouverture du trilogue entre Parlement, Conseil et Commission.

Janvier-été 2026 : Trilogues entre Parlement, Conseil et Commission.

Fin 2026 : Adoption formelle du Critical Medicines Act.

2027-2028 : Entrée en vigueur du règlement.

Lancement des premiers “projets stratégiques”.

Mise en place progressive des nouveaux critères dans les marchés publics.

Critical Medicines Act : l'Europe saura-t-elle protéger ses fabricants d'API ?©Seqens
11138_625235_k3_k1_1489486.jpg Seqens tente de lutter contre la concurrence déloyale asiatique en misant sur la technologie.



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