Jeudi 18 décembre 2025, le Sénat a adopté une proposition de loi pour limiter l’exposition précoce aux écrans, encadrer les réseaux sociaux et organiser une prévention structurée, de la santé à l’école.
Le 18 décembre 2025, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi destinée à protéger les jeunes des risques liés à l’exposition excessive et trop précoce aux écrans, ainsi que des effets addictifs des réseaux sociaux. Le texte s’appuie sur des constats chiffrés, notamment l’étude “Junior Connect’” de 2017, et reprend des mesures déjà discutées au Sénat en 2018 et à l’Assemblée nationale en 2023. Il prévoit formation des professionnels, messages de prévention sur emballages et publicités, intégration à la PMI, et une politique d’établissement à l’école. Le Sénat durcit aussi l’accès aux réseaux sociaux via une vérification d’âge.
Des usages qui montent, des risques qui s’installent
La proposition de loi part d’un diagnostic simple, documenté par des chiffres déjà anciens mais explicitement cités dans l’exposé des motifs. Selon l’étude « Junior Connect »” de 2017, les 13–19 ans étaient connectés en moyenne 15 h 11 min par semaine, soit 1 h 30 min de plus qu’en 2015. Les 7–12 ans atteignaient 6 h 10 min hebdomadaires, en hausse de 45 minutes par rapport à 2015. Et les 1–6 ans affichaient 4 h 37 min par semaine, soit 55 minutes supplémentaires en deux ans. Je vous laisse découvrir les chiffres de ZATAZ concernant plusieurs centaines d’éléves rencontrés entre septembre et novembre 2025 sur la consommation qu’ils ont du numérique.
Ces volumes hebdomadaires donnent une idée concrète de la place prise par les écrans au quotidien. Le calcul est direct. Pour les 13–19 ans, 15 h 11 min par semaine correspond à 15 × 60 + 11 = 911 minutes, soit 911 ÷ 7 = 130 minutes environ par jour, donc près de 2 h 10 min quotidiennes en moyenne. Pour les 7–12 ans, 6 h 10 min font 370 minutes, soit 370 ÷ 7 ≈ 53 minutes par jour. Pour les 1–6 ans, 4 h 37 min font 277 minutes, soit 277 ÷ 7 ≈ 40 minutes quotidiennes. Ces moyennes ne disent rien des pics, des usages nocturnes ou des pratiques à risque, mais elles illustrent l’enracinement précoce des écrans.
Le texte s’inscrit ensuite dans une logique de prévention sanitaire. Les spécialistes, tels qu’évoqués dans l’argumentaire, alertent sur une aggravation des effets délétères malgré des mises en garde répétées. Un point est mis en avant comme particulièrement critique : l’exposition aux écrans serait “particulièrement néfaste” pour les enfants de moins de trois ans, avec un risque de nuire “gravement” à leur développement. C’est l’un des pivots du raisonnement législatif : plus l’exposition commence tôt, plus elle s’insère dans des routines, plus elle devient difficile à corriger, et plus les impacts potentiels pèsent sur l’apprentissage et la socialisation.
Sous l’angle cyber et renseignement, le débat dépasse la seule question du temps passé. Les réseaux sociaux sont mentionnés non seulement pour leur caractère potentiellement addictif, mais aussi parce qu’ils constituent une infrastructure d’influence, de captation d’attention et de collecte de données. Même sans détailler des mécanismes techniques, le texte assume qu’un usage « raisonné du numérique » doit être accompagné par des adultes formés, et encadré par des règles opposables aux acteurs industriels. Cette approche place la prévention au croisement de la santé publique, de l’éducation, et de la régulation d’écosystèmes numériques où l’identité, l’âge, la publicité et l’accès sont devenus des variables sensibles.
Un dispositif qui mise sur la prévention, du cabinet médical à l’école
Pour répondre « à l’ensemble des risques encourus », la proposition de loi revendique une continuité avec des dispositions déjà adoptées au Sénat en 2018 et à l’Assemblée nationale en 2023, tout en ajoutant un volet consacré au rôle de la communauté éducative. L’idée directrice est de multiplier les points de contact, afin que le message ne repose ni sur une campagne ponctuelle ni sur la seule responsabilité des familles.
Premier levier : la formation. Le texte prévoit d’instaurer une formation dédiée aux risques associés aux différents degrés d’exposition aux écrans numériques pour les enfants et adolescents. Cette formation concerne à la fois les professionnels de santé, le secteur médico-social, et les professionnels de la petite enfance. Dit autrement, la prévention ne s’arrête pas aux slogans, elle vise aussi l’outillage de celles et ceux qui voient les enfants régulièrement, qui repèrent des signaux faibles, et qui peuvent conseiller sans dramatiser.
Deuxième levier : l’information au moment de l’achat et de la promotion. La proposition de loi impose l’inscription de messages de prévention sur les emballages de téléphones portables, d’ordinateurs, de tablettes et de produits assimilés. Elle prévoit aussi l’insertion de messages de prévention dans les publicités pour ces produits. Dans une lecture cyber, ce choix est intéressant : il fait entrer la prévention dans la chaîne commerciale, là où se construit l’équipement du foyer. L’emballage et la publicité deviennent des supports réglementaires, comparables, dans l’esprit, à des avertissements normalisés. La logique est moins morale que structurelle : si l’exposition est massive, le rappel doit être constant, y compris lorsque l’industrie stimule le désir d’équipement.
Troisième levier : la protection maternelle et infantile. Le texte intègre aux consultations et actions de prévention des PMI une action explicite de lutte contre l’exposition excessive des enfants aux écrans. C’est une manière d’installer une prévention précoce, en cohérence avec l’alerte spécifique sur les moins de trois ans. Ce passage est aussi un signal politique : la question des écrans n’est pas cantonnée à l’adolescence et aux réseaux sociaux, elle commence avant l’âge scolaire.
Quatrième levier : la politique d’établissement. La proposition de loi précise que le projet d’école ou d’établissement fixe la politique et les actions menées auprès des élèves, des professionnels et des parents, sur les effets nocifs des écrans et sur le caractère addictif des réseaux sociaux. Ici, l’école est envisagée comme un espace de normes, au même titre que les règles de vie collective. La dimension « cyber » tient à la capacité de l’institution scolaire à définir des cadres d’usage, à harmoniser les pratiques, et à éviter que la prévention soit laissée à l’initiative isolée de quelques équipes ou de quelques familles déjà sensibilisées.
Le Sénat durcit l’accès aux réseaux sociaux et élargit le périmètre des écrans
L’apport le plus saillant du Sénat touche directement au contrôle d’accès, et donc à une problématique typiquement cyber : vérifier un attribut d’identité, ici l’âge, sans ouvrir la porte à des contournements massifs. Le texte adopté oblige les plateformes à interdire l’accès des réseaux sociaux aux mineurs de 13 ans. Il leur impose aussi de déployer un système de vérification de l’âge qualifié de “robuste”, et conforme à un référentiel de l’Arcom. La formulation a deux effets. D’abord, elle transforme une règle sociale en exigence technique, puisque l’interdiction suppose des mécanismes de contrôle. Ensuite, elle place l’Arcom en position de définir un standard de robustesse, ce qui renvoie aux questions de conformité, d’audit, et de preuve de mise en œuvre.
Le Sénat élargit également le champ de la publicité encadrée. L’interdiction de la publicité “destinée aux enfants de moins de 14 ans”, initialement évoquée pour les téléphones portables, est étendue à l’ensemble des équipements dotés d’un écran : téléphones, tablettes, ordinateurs, téléviseurs, montres connectées et dispositifs assimilés. Le choix des mots est révélateur : ce n’est plus l’objet “smartphone” qui est visé, mais l’environnement écran dans sa globalité, y compris les formats portés au poignet. Pour la régulation, cela change l’échelle. Pour les acteurs économiques, cela élargit l’obligation de vigilance sur le ciblage et les contenus publicitaires.
Autre point adopté : rendre effective l’interdiction des téléphones portables et appareils assimilés dans les écoles et collèges. La notion « d’appareils assimilés » a un intérêt pratique, parce qu’elle évite que la règle soit contournée par des objets hybrides. Et le Sénat a justement souhaité inclure explicitement les montres connectées dans l’encadrement. Sur le terrain, c’est un enjeu de contrôle et de preuve : un établissement doit pouvoir appliquer une règle simple, lisible, et compatible avec la réalité des objets connectés, qui se ressemblent parfois moins à des « téléphones » qu’à des accessoires.
Le Sénat a aussi proposé d’étendre l’application des dispositions à l’ensemble des établissements de la petite enfance, ainsi qu’aux établissements privés sous contrat. Et il a souhaité associer plus largement la médecine scolaire et la médecine de ville aux actions de sensibilisation et aux mesures prévues. Là encore, la cohérence est recherchée : si le risque est précoce, le périmètre doit inclure les lieux de garde et les parcours de santé les plus fréquents.
Enfin, le texte sénatorial ajoute une sanction financière ciblée : une amende de 37 500 € en cas de non-respect de l’obligation d’apposer un message de prévention sur les emballages d’appareils connectés, qu’ils soient neufs ou reconditionnés. Le reconditionné est explicitement mentionné, ce qui évite que la prévention se limite au marché du neuf. D’un point de vue cyber-régulation, cette amende fonctionne comme un mécanisme de mise en conformité : elle rend la règle opposable, mesurable, et potentiellement contrôlable lors de la mise sur le marché.
Le texte prévoit aussi une “clause de rendez-vous” commune tous les trois ans, réunissant acteurs institutionnels, industriels et associatifs, afin d’évaluer les politiques et dispositifs mis en œuvre. Cette périodicité donne un rythme à l’évaluation, sans supposer que la régulation soit figée. Dans un champ où les plateformes évoluent rapidement, l’idée d’un point d’étape régulier vise à limiter le décalage entre normes et pratiques, et à forcer une discussion récurrente sur l’efficacité réelle des mesures.
En adoptant ce texte, le Sénat mise sur un triptyque prévention, encadrement industriel, et règles scolaires, avec un pivot cyber clair : la vérification d’âge « robuste » encadrée par l’Arcom. Reste une question centrale pour l’efficacité du dispositif : comment imposer un contrôle d’accès fiable, sans déplacer le risque vers des collectes d’identité excessives ou des contournements à grande échelle ?


