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pourquoi La Rosée a échoué à faire reconnaître le parasitisme de Caudalie

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Lu il y a 9 minutes



Le 16 octobre 2025, la justice a rejeté les demandes de la marque française qui accusait son concurrent d’avoir copié son produit phare. Une décision qui illustre la difficulté de protéger un format de packaging dans l’industrie cosmétique. Décryptage.

La cour d’appel de Paris a confirmé le 16 octobre 2025 (n° RG 25/00941), une ordonnance de référé du 20 décembre 2024, rejetant des demandes formulées par La Rosée contre Caudalie. La marque française reprochait à son concurrent d’avoir parasité son stick solaire cylindrique orange, lancé en 2022, deux ans avant celui de Caudalie. Malgré l’antériorité reconnue de son produit, La Rosée n’est pas parvenue à démontrer l’existence d’un trouble manifestement illicite justifiant des mesures provisoires d’interdiction et de rappel qui peuvent être prises en référé en cas d’actes avérés de concurrence déloyale ou de parasitisme.

Un conflit autour d’un format de stick

Au cœur du litige : le format cylindrique et épais du stick solaire, associé à un code couleur orange. La Rosée affirme avoir été parmi les premières à proposer ce format, alors que les produits du marché adoptaient plutôt des formes ovales. En 2024, Caudalie lance son stick « Vinosun Protect », présentant des caractéristiques visuelles similaires. La Rosée y voit un cas de parasitisme et demande en référé l’interdiction de commercialiser le produit, son retrait des circuits de distribution, ainsi que des dommages et intérêts provisionnels totalisant 780 000 euros.

La procédure en référé permet d’obtenir des mesures provisoires rapides, mais exige de démontrer soit l’urgence et l’absence de contestation sérieuse, soit l’existence d’un trouble manifestement illicite. C’est sur ces deux fondements que La Rosée a initié son action. Le juge des référés a aussi statué sur la demande de rétractation de l’ordonnance ayant prononcé des mesures d’instruction (en application de l’article 145 du code de procédure civile). Ordonnée en première instance, elle a été confirmée en appel.

Le parasitisme, une faute civile difficile à prouver

Contrairement aux droits de propriété intellectuelle (marques, brevets, dessins et modèles, droits d’auteur) qui assurent une protection en amont, le parasitisme relève de la « responsabilité civile délictuelle ». Comme l’explique Grégoire Desrousseaux, avocat associé au sein du cabinet August Debouzy, « Ce n’est pas un droit privatif. C’est un mécanisme de responsabilité a posteriori, qui sanctionne un comportement fautif consistant à se placer volontairement dans le sillage d’autre pour tirer indument profit de ses efforts économiques.»

Candice Dupin, avocate en propriété intellectuelle du cabinet August Debouzy, précise la distinction fondamentale : « En propriété intellectuelle, on a d’une part les protections préalables (marques, brevets, dessins et modèles, droit d’auteur). D’autre part, la concurrence déloyale et le parasitisme, qui interviennent après coup puisqu’il faut démontrer l’existence d’une faute, en application de l’article 1240 du Code civil.»

La Cour de cassation a rappelé que le parasitisme suppose la volonté d’appropriation injustifiée de la valeur économique individualisée créée par autrui, sans qu’il soit nécessaire d’établir un risque de confusion. Comme le précise Candice Dupin, avocate en propriété intellectuelle du cabinet August Debouzy, : « Le parasitisme est apprécié au regard d’un faisceau d’indices permettant d’identifier la volonté d’appropriation injustifiée de la valeur économique individualisée créée par un opérateur. L’analyse repose sur l’appréciation d’un ensemble de comportements révélant une captation indue des efforts d’autrui. » Pour établir un tel comportement, la jurisprudence exige que le demandeur démontre l’existence d’une valeur économique individualisée, résultat d’investissements substantiels (heures de travail, coûts de développement, campagnes de communication, choix créatifs ou techniques), et que le défendeur se soit approprié volontairement et injustement cette valeur, au-delà d’une simple imitation.

La jurisprudence récente insiste en effet sur la distinction essentielle : l’imitation est libre, sauf risque de confusion ou captation parasitaire d’un investissement spécifique. Ce que synthétise Candice Dupin : « Dans un marché libre, l’imitation n’est pas interdite en tant que telle. Le parasitisme naît lorsque l’on démontre la volonté de captation injustifiée des investissements d’autrui ».

Banalité du format

La cour d’appel statuant sur l’existence d’un trouble manifestement illicite a écarté les arguments de La Rosée en relevant plusieurs éléments. D’abord, le format cylindrique large n’est pas une innovation : d’autres marques comme Collistar ou Anne Möller l’utilisaient déjà avant le lancement du stick de La Rosée. Ensuite, la couleur orange pour un produit solaire est considérée comme classique dans le secteur. La cour a également souligné que Caudalie avait déjà associé sa gamme « Vinosun Protect » à cette teinte Pantone 122 C dès 2021. « La cour a estimé que ce format de stick était répandu », analyse Maître Dupin. « En plus, la couleur orange pour une crème solaire n’est pas particulièrement originale. Elle a considéré que le format n’était pas une innovation et que l’iconographie était classique dans ce domaine. »

Les juges ont donc estimé que le risque de confusion était faible : les deux produits affichent clairement leur marque respective, et le tube Caudalie est orné de son logo, une grappe de raisin, qui le distingue de La Rosée. La cour a ainsi conclu que La Rosée n’était pas parvenue à démontrer une valeur économique individualisée et identifiée suffisante pour prononcer en référé des mesures provisoires. La cour a également noté que Caudalie justifiait d’investissements importants dans le développement de sa gamme solaire et que les ventes du stick La Rosée, bien que faisant face à une politique tarifaire de Caudalie, revue à la baisse, restaient en progression entre janvier et septembre 2024, sans perte de marché établie.

Autre argument en défaveur de la Rosée, les similitudes dans les publicités sont jugées classiques dans ce secteur : mannequins en bord de plage, duo mère-fille, codes visuels habituels, présentoirs et chariots promotionnels communs à de nombreux acteurs.

Une procédure qui s’arrête en référé

La Rosée aurait-elle pu protéger son format différemment ? Selon Candice Dupin, dans un secteur comme la cosmétique, un dépôt de marques tridimensionnelle ou de dessins et modèles est souvent envisageable, mais « il aurait fallu le faire en amont, avant que la forme ne devienne banale ou usuelle dans l’industrie cosmétique. » Et de préciser que « le parasitisme ne doit pas devenir un mécanisme de protection subsidiaire destiné à compenser l’absence ou l’échec d’un droit de propriété intellectuelle. Il ne peut servir à protéger ce que la propriété intellectuelle ne permet pas de protéger elle-même mais sanctionner la captation injustifiée d’une valeur économique individualisée. C’est fondamental. »

L’avocate rappelle également le principe de liberté du commerce et de l’industrie : « La protection des idées n’est pas possible. » La décision rendue par la cour d’appel ne constitue pas un jugement au fond. Elle se limite à constater que les conditions du référé ne sont pas remplies : ni urgence avérée, ni trouble manifestement illicite. La Rosée aurait pu engager une procédure au fond devant le tribunal de commerce pour obtenir une décision définitive sur l’existence du parasitisme, mais la marque a choisi de ne pas poursuivre.

Réagissant à nos sollicitations, la marque lyonnaise a déclaré que « la décision de justice ne se prononce pas sur l’existence d’actes de concurrence déloyale ou parasitaire » mais « sur le point de savoir si les conditions des référés étaient remplies » pour prononcer des mesures provisoires. Avant d’ajouter : « à ce jour, La Rosée préfère se concentrer sur l’avenir. »



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