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«Des gens font du non-travail avec beaucoup de sérieux», Sophie Rauch, chercheuse à l’université Paris-Saclay

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Chercheuse à l’université Paris-Saclay, Sophie Rauch a écrit une thèse et un livre sur le «non-travail» au travail. Selon elle, les pauses et autres moments de distraction au bureau peuvent avoir un effet positif quand ils permettent de se ménager un rythme de travail soutenable. Pour les responsables RH et les managers, la notion de «non-travail» peut permettre de repenser la manière d’évaluer le professionnalisme des salariés.

L’Usine Nouvelle – Qu’appelez-vous le non-travail chez les cadres ?

Sophie Rauch, chercheuse à l’Université Paris-Saclay : Pour le définir simplement, il s’agit des moments de travail où l’on ne travaille pas, ou pas complètement. J’ai recensé 38 activités de non-travail différentes, comme la pause cigarette, la consultation de sites web sans lien avec le travail ou encore le fait d’être interrompu par ses collègues. Délimiter le travail et le non-travail est difficile, car il existe un continuum de situations où notre concentration est plus ou moins grande. Pour conceptualiser cette notion, je me suis appuyée sur 26 personnes de mon entourage, et j’ai choisi de croire leur perception du non-travail.

Le non-travail peut être généré par l’organisation. On pense à une entreprise qui en produit de manière volontaire, pour un pot entre collègues par exemple. Mais une désorganisation non souhaitée du travail peut aussi déboucher sur du non-travail. Pour plusieurs des personnes que j’ai interrogées, une réunion mal préparée, notamment, est un moment de non-travail absolu. Le non-travail peut aussi être collectif. Les interactions entre collègues, par exemple, peuvent être considérées comme du travail, mais pas toujours. Enfin, la dimension individuelle du non-travail est double. Il y a ce qu’on fait seul au travail et qui n’est pas du travail, et l’aspect psychique, quand on perd le fil de son action, quand on cherche à se concentrer ou quand on réfléchit à son week-end.

Un manager doit-il lutter contre ce phénomène ?

Le non-travail peut être positif, quand il donne la possibilité de se ménager un rythme soutenable. Il peut aussi être négatif, quand on n’arrive pas à s’y remettre après avoir subi des remontrances par exemple. Ou neutre. Le but de ma recherche n’est pas de donner à voir des poches de non-productivité dont les managers devraient se saisir. Au contraire, elle questionne la quête de productivité permanente, car la vie résiste au travail. On ne peut pas être concentré et productif tout le temps et ce n’est pas grave. Le reconnaître déculpabilise certains salariés et repense notre rapport au travail. Par ailleurs, le non-travail est essentiel parce qu’il contribue à faire de l’entreprise un lieu de sociabilité important.

Analyser le non-travail est aussi une manière de questionner la notion de « professionnalisme »…

Le professionnalisme se caractérise par un mélange d’exigences et de postures professionnelles. Son impératif existe chez tout le monde, mais il se manifeste de manière différente. Des gens peuvent faire du non-travail avec beaucoup de sérieux quand d’autres font bien leur travail mais avec énormément de nonchalance ou de décontraction. Trop souvent, on juge les postures, c’est-à-dire la manière dont le travail est fait, plutôt que le résultat. Il faut pourtant éviter, en tant que responsable RH ou manager, de s’arrêter aux postures pour juger du professionnalisme des salariés, car cela peut être trompeur. Aller au-delà permettrait aux salariés de travailler sans avoir le souci de se conformer aux postures professionnelles attendues, ce qui les rendrait sûrement plus efficaces.



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