
En Europe, la demande électrique des datacenters dopée par l’IA pourrait remettre en cause les engagements de décarbonation, prévient le Shift Project. L’Irlande est déjà contrainte de limiter l’implantation de ces infrastructures sous peine de voir ressurgir des centrales à gaz.
L’essor de l’intelligence artificielle, en faisant exploser la consommation électrique des datacenters, va-t-elle pousser l’Europe à revenir sur ses engagements de réduction des énergies fossiles ? Telle est la crainte formulée par le Shift Project dans son dernier rapport. En Europe, la consommation électrique des datacenters devrait doubler entre 2023 et 2030, pour atteindre 200 térawattheures (TWh).
Et même quasi tripler d’ici à 2035, pour atteindre 369 TWh, selon les calculs du think tank. Un bond tiré par l’essor de l’IA, qui devrait représenter au moins 35% de cette consommation en 2030, contre 15% aujourd’hui. Problème : «Cette consommation supplémentaire n’est nulle part prise en compte dans les scénarios énergétiques de l’Europe», s’inquiète Hugues Ferrebœuf, chef de projet au sein de l’association.
L’exemple irlandais
Or l’Irlande donne un aperçu des effets que peut avoir une croissance forte mais non anticipée. Ce pays, dont le régime fiscal a attiré très tôt les datacenters, a déjà connu le bond qui attend l’Europe : entre 2014 et 2022, la part des datacenters dans sa consommation électrique est passée de 5 à 20%. Cela provoque «une tension sur le réseau électrique, poursuit Hugues Ferrebœuf. À Dublin, par exemple, la production électrique ne sait plus répondre à tous les usages, ce qui a poussé à l’arrêt d’un certain nombre de projets immobiliers.» Pour limiter l’extension ou l’implantation des datacenters jusqu’en 2028, l’opérateur du réseau irlandais a décrété un moratoire.
«Mais les datacenters ont trouvé une voie de contournement : une quinzaine d’entre eux s’est raccordée ou a fait une demande de raccordement direct au réseau de gaz, avec le projet de créer des centrales électriques à gaz qui leur soient dédiées. Et des conséquences immédiates en termes d’émissions de gaz à effet de serre», alerte Hugues Ferrebœuf. Le Shift Project craint que cette situation se répète à l’échelle du continent. «Dans sa trajectoire de décarbonation, l’Europe a prévu de se passer de 200 TWh d’électricité produite au gaz ; or c’est précisément la consommation supplémentaire que devraient représenter les datacenters.» Cette demande mal anticipée pourrait la pousser à revenir sur ses engagements et perpétuer une alimentation électrique au gaz. Nocive pour son bilan carbone et son indépendance face aux États-Unis.


