
La banque européenne d’investissement va accorder un prêt d’un milliard d’euros à STMicroelectronics. Une surprise alors que le fabricant de semi-conducteurs réduit actuellement la voilure, avec 2800 départs volontaires attendus en Europe.
L’Europe veut soutenir la filière des semi-conducteurs, qu’elle juge stratégique depuis la pénurie survenue lors de la pandémie du Covid. En témoigne le nouveau financement d’un milliard d’euros que la banque d’investissement européenne (BEI) a décidé d’accorder à STMicroelectronics. Les deux acteurs «ont signé un accord de financement de 500 millions d’euros pour renforcer la compétitivité et l’autonomie stratégique de l’Europe. Il s’agit de la première tranche d’une ligne de crédit plus importante de 1 milliard d’euros», précise le fabricant franco-italien dans un communiqué publié le jeudi 11 décembre.
Selon le texte, 60% de ce prêt doit financer le renforcement de capacités de production à haut volume, sur les trois sites stratégiques que sont Crolles (Isère) en France, Agrate et Catane en Italie. Le reste est destiné à soutenir la recherche et développement (R&D) du groupe.
Ce prêt public a de quoi surprendre. Car ST n’est pas en train de se développer sur le Vieux continent… Au contraire. En avril, le fabricant de semi-conducteurs a dévoilé un plan de transformation visant à réduire ses effectifs et à réaliser de 900 millions à 1,8 milliard d’euros d’économies en trois ans. Une réponse à la baisse d’activité qu’il connaît depuis 2024, au point d’être en perte nette au premier semestre 2025. L’entreprise mise sur 2800 départs volontaires dans le monde, dont 1000 sont attendus en France d’ici à 2027. Les inquiétudes les plus vives concernent l’avenir du site de Tours (Indre-et-Loire), qui pourrait perdre un quart de ses salariés selon les comptes des syndicats.
La R&D en souffrance
A quoi va donc servir l’argent de la BEI ? Sollicitée, la direction du groupe a indiqué que ce prêt vise à «soutenir le programme d’investissement de ST dans des technologies et dispositifs innovants en matière de semi-conducteurs en France et en Italie». Sans plus de détails. Le délégué syndical Henri Errico a, lui, du mal à y répondre. «Les effectifs s’amenuisent, avec seulement un remplacement pour trois départs, y compris en R&D, où la situation devient très tendue et où on réclame des embauches», alerte le secrétaire CGT du comité de groupe européen de STMicroelectronics. Côté production, «il y a bien un besoin de financement pour agrandir l’usine en 300 mm [en référence au diamètre du wafer sur lequel sont gravés les composants, ndlr] d’Agrate, mais pour l’instant, cet agrandissement n’est pas nécessaire car l’usine est très peu chargée en activité», observe Henri Errico.
Même problème à Catane, le site européen de ST dédié au carbure de silicium (SiC). «Les ventes du SiC ne décollent pas, car ce produit est destiné aux véhicules électriques, un marché qui ne prend pas en Europe», pointe le délégué syndical, avant de faire mine de s’interroger : «qu’est-ce qu’on va produire à Catane s’il n’y a pas de marché pour le SiC ?»
Concernant le site de Crolles, ST a décidé de fermer l’usine de production en 200 mm, transférée à Rousset (Bouches-du-Rhône), pour se concentrer sur sa production en 300 mm. Or, «Crolles 300 tourne déjà à plein régime avec les commandes actuelles, je ne vois pas comment on pourrait y produire plus», considère Henri Errico. Sachant qu’une partie des capacités de Crolles 300 sont réservées pour l’américain GlobalFoundries, qui devait être le partenaire de ST sur cette extension… mais n’a finalement jamais pris part au projet.
Le champion des aides publiques
Avec cette nouvelle enveloppe, la BEI porte à 4,2 milliards d’euros son financement accordé à ST depuis 1994… auxquels s’ajoutent les nombreuses aides publiques reçues de la part de la France et de l’Italie, qui possèdent chacun 13,75% du capital du groupe. Ce sujet avait d’ailleurs motivé une audition tendue du PDG du groupe par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises en avril dernier.
«Le CIR [crédit d’impôt recherche] et les aides publiques représentent en général entre 7 et 10% des dépenses de R&D des entreprises que nous auditionnons ; chez STMicroelectronics, ce ratio atteint 55% !», s’était indigné le rapporteur Fabien Gay. Et ce alors qu’il venait de pointer le fait que STMicro paie très peu d’impôts en France : aucun n’aurait été versé par le groupe à la France en 2017 et 2018, moins de 500000 euros en 2019, et moins de 100000 euros en 2023, avait listé le sénateur. «Le soutien public dont vous bénéficiez ne devrait-il pas rapporter aussi à la collectivité France ?», avait alors taclé Fabien Gay.
Une question qui se pose aussi à l’échelle de l’Europe. Les 2800 départs attendus par ST d’ici à 2027 à travers le monde ne concernent en réalité que deux pays : la France et l’Italie.


