
Des solutions technologiques d’IA permettent de réduire les erreurs de tri à la source et d’optimiser la valorisation des déchets. Mais les comportements des Français plombent le recyclage.
Des bouteilles en plastique PET clair dégringolent d’un convoyeur pour être regroupées. Au centre de tri des déchets ménagers de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), propriété de Suez, un process aidé par l’intelligence artificielle permet de les trier plus finement afin de vendre aux recycleurs cette matière à plus forte valeur ajoutée. «En sortie, nous avons séparé onze matières différentes, indique Martin Mazet, son directeur. Ce site a été le premier à être équipé en tri optique pour reconnaître les PET clairs et foncés.» Lancée en 2021, la technologie est réellement opérationnelle depuis un peu plus d’un an. Elle permet de reconnaître les images plus rapidement que l’œil humain et de mesurer la qualité des flux sortants en temps réel et en continu.
Ce centre de tri, où travaillent 120 personnes, a traité 63000 tonnes de déchets en 2024, soit 250 tonnes quotidiennement. Chaque jour, 200 camions y défilent. Ils apportent le contenu des poubelles jaunes du Syndicat mixte de traitement de déchets urbains du Val-de-Marne (Smitduvm), mais aussi d’autres sources alimentées par un bassin d’un million d’habitants. Suez a déjà équipé quatre sites en France, dont celui de Poitiers. Le rythme est de trois déploiements par an.
En moyenne 20 à 30% des déchets arrivent mal triés dans les centres de tri français et 18% de ceux mis en valorisation auraient pu être recyclés. Pour remédier à ces erreurs, Suez s’est emparé de l’intelligence artificielle. «Ici, nous optimisons la création de lignes et le déploiement de solutions IA, en particulier Autodiag, un outil de machine learning que nous avons développé en interne», explique Hy-Boui Chang, datascientist dédiée au tri chez Suez.
Cet outil fonctionne avec des caméras installées au-dessus des tables de tri. Elles produisent huit images par seconde pour mesurer en temps réel la qualité des déchets. Les algorithmes sont enrichis avec cette base d’images. «Nous avons déjà collecté plus de 90000 images», ajoute Martin Mazet. Opérationnel sur les plastiques, Autodiag améliore la caractérisation des déchets, avec, selon Suez, un taux de réussite de 98,5% dans la détection des déchets mal triés.
Trieurs optiques traquant les indésirables
Les autres acteurs du marché ont également avancé sur l’utilisation de l’IA. À l’instar de Paprec et du syndicat mixte Decoset qui ont inauguré cet été, à Bessières (Haute-Garonne), l’usine Valcopia. Il s’agit du plus grand centre français de tri des déchets ménagers et recyclables, capable de traiter 68000 tonnes par an. Il affiche un objectif supérieur à 92% pour son taux de recyclage. Valcopia a recours à l’IA afin de garantir «une captation optimale des matières, grâce à ses 25 trieurs optiques», souligne Stéphane Panou, le directeur de la valorisation matière chez Paprec. «Grâce à l’IA dans nos centres de tri, nous avons au moins 150 000 images collectées et une dizaine d’installations pour repérer les indésirables en amont», précise Marc-Olivier Houel, le directeur général du recyclage et de la valorisation des déchets chez Veolia.
La technologie vient au secours d’une qualité de tri insuffisante qui reflète un certain incivisme et un manque d’information des usagers. Un Français produit en moyenne 249 kg d’ordures ménagères résiduelles (OMR) par an, qui sont enfouies ou incinérées. Chaque année, 14 millions de tonnes de déchets aboutissent dans des incinérateurs, essentiellement des unités de valorisation énergétique (UVE). Selon le rapport de l’association Zero Waste France, 80% du gisement pourraient être évités et 55% des déchets présents dans nos OMR relèvent d’une filière à responsabilité élargie du producteur (REP), avec obligation de tri et de collecte séparée. Ils finissent trop souvent dans la poubelle grise ou noire, composée à 15% de plastiques et à 12% de textiles.
«Nous sommes mauvais sur les plastiques», regrette le directeur général du recyclage et de la valorisation des déchets chez Veolia. La loi Agec a permis de progresser et les principales dispositions se retrouveront dans le Packaging and packaging waste regulation (PPWR). Ce règlement européen sur les emballages et les déchets d’emballages, applicable à partir du 12 août 2026, doit lever les disparités réglementaires entre les États membres en établissant des obligations communes pour les entreprises. Il vise à réduire les emballages, favoriser le réemploi et la consigne, et limiter les emballages à usage unique.
Sensibiliser les citoyens
«Pour améliorer la collecte, la première règle est de produire moins de déchets, analyse Marc-Olivier Houel. La deuxième règle consiste à généraliser les matières recyclables. Enfin, la troisième règle concerne le tri à la source.» Or c’est là que le bât blesse. Quand les bouteilles en PET entrent en centre de tri, le taux de recyclage dépasse 95%. Seulement, le taux de collecte n’est que de 57%, car 43% des bouteilles finissent dans la rue ou les poubelles grises. «Le problème concerne la qualité du geste de tri qui est déplorable, martèle Stéphane Panou. Les éco-organismes doivent déployer plus de moyens sur la communication. Les taxes incitatives sont mises en place, plutôt dans les milieux ruraux où il est plus facile d’avoir un conteneur individuel. Il faudrait davantage de contrôles aléatoires.»
Les professionnels du secteur insistent sur la nécessité de mieux informer les particuliers sur la collecte. Ils mettent en avant d’éventuelles incitations (malus bonus), l’utilisation de caméras intelligentes (avec IA) sur les bennes pour cibler les quartiers où il faut faire de la pédagogie, mais estiment aussi qu’il faut mieux ajuster les moyens. Pour les biodéchets, le déploiement de moyens supplémentaires et facilement accessibles permettrait d’alléger sensiblement les poubelles grises. Veolia encourage la mise en place de contrats de performance, avec la possibilité pour l’opérateur de communiquer et de sensibiliser la population. «Nous prenons le risque et nous accompagnons le client. 110 camions bennes sont déjà équipés de caméras intelligentes qui caractérisent les déchets.» Les informations remontent en temps réel au niveau de la cabine. L’IA permet de repérer la non-performance de tri, d’identifier les déchets et surtout de repérer les indésirables. De quoi optimiser les moyens de collecte et faire face à un phénomène inquiétant qui se développe. «Nous rencontrons de plus en plus de refus d’indésirables dangereux, essentiellement les bouteilles de protoxyde d’azote, regrette Marc-Olivier Houel. Les repérer dans le camion peut éviter des accidents. Dans un incinérateur, elles peuvent devenir des obus. Nous avons eu un accident. Une bouteille est passée à 20 cm d’un opérateur.»
Sur la partie aval, «en France, nous n’avons pas à rougir, remarque Stéphane Panou. Nous investissons massivement dans les centres de tri et nous passons à la consigne sur bouteilles plastiques.» Reste à trouver les débouchés pour le recyclage. Pour le textile, les moyens alloués sont tellement dérisoires qu’il n’est pas possible de développer une filière. #
« 80 % des ordures ménagères sont valorisables »
Quelle est la part d’OMR qui pourrait éviter l’incinération ?
Selon les données de l’Ademe, 80 % des ordures ménagères résiduelles (OMR) seraient valorisables. Un tiers des biodéchets finit encore dans les poubelles grises. Le problème provient en partie du fait que le décret d’application n’a jamais été adopté. Nous avons eu un avis tardif du ministère de la Transition écologique, peu contraignant et surtout sans accompagnement pour les collectivités. D’autre part, il faut développer les filières à responsabilité élargie du producteur (REP). Avant la chute de François Bayrou, le gouvernement a annoncé qu’il souhaitait renoncer à la filière textile sanitaire unique qui représente 2 millions de tonnes de déchets. C’est un mauvais signal.
Pourquoi favorise-t-on l’incinération et les unités de valorisation énergétique (UVE) ?
Il existe des limites structurelles au recyclage du plastique et les centres de tri enregistrent beaucoup de refus. La volonté de développer les combustibles solides de récupération (CSR) et l’envoi des déchets non valorisables vers les UVE est une fausse solution selon nous. Il faudrait plutôt investir davantage dans les solutions permettant une réduction à la source.
Quelles sont les solutions ?
Il est impératif d’interdire les matériaux non recyclables. Prenons le cas des pots de yaourts individuels qui, pour être détachables, sont en polystyrène. Derrière la stratégie 3R de la loi Agec, il existe le réemploi. Sur les emballages, il ne dépasse pas 1 %. Il faut relancer la consigne sur le verre. Dans le passé, elle était à la charge du metteur en marché. Le développement de l’usage unique a été une aubaine pour les acteurs privés. #


