
Le groupe Servier démarre début 2026 une collaboration de recherche avec l’University College London pour mettre au point un traitement contre une forme rare d’épilepsie. Rencontre avec Nitza Thomasson, directrice de la R&D Neurologie de Servier.
L’Usine Nouvelle : Que sont les oligonucléotides antisens, les ASO, sur lesquels vous travaillez en neurosciences ?
Nitza Thomasson: Les ASO sont de petites molécules chimiques que l’on construit pour aller réguler l’expression de gènes. Dans une cellule, les gènes libèrent des ARNm qui sont comme des photocopies de la recette pour la production d’une protéine nécessaire à l’organisme. Dans certaines maladies avec des altérations génétiques, il arrive que l’ARNm soit dysfonctionnel et que les protéines produites le soient donc aussi. Les ASO permettent de réguler ces ARNm défectueux en les dégradant pour éviter la production d’une protéine dysfonctionnelle. Ces ASO sont spécifiquement indiqués dans certaines maladies génétiques comme l’encéphalopathie épileptique et développementale (EED).
Pourriez-vous décrire cette maladie que vous visez ?
L’EED est une épilepsie réfractaire, qui touche plus de 100000 personnes en Europe et autant en Amérique du Nord. Cette maladie rare souvent d’origine génétique survient dès la naissance et provoque des crises incalculables d’épilepsie, et les enfants sont réfractaires à tout traitement épileptique classique, il n’y a aucun médicament. 30 à 40% des patients ne survivent pas au-delà de 10 ans, et ne peuvent pas avoir de vie normale. Ils ne marchent pas, ne parlent pas, leur regard ne se fixe jamais, ce n’est pas une vie. L’EED provoque une hyper activité électrique de certains circuits neuronaux dans le cerveau qui affecte toutes les activités motrices et sensorielles. Les neurones ne font pas les bonnes connexions. Dans le cerveau, l’activité électrique indispensable au fonctionnement du réseau neuronal passe par des neurotransmetteurs, les canaux protéiques, pour faire circuler les signaux. Quand les protéines nécessaires à ces canaux sont dysfonctionnelles, cela entraîne une hyper-instabilité neuronale qui engendre une crise épileptique. C’est une activité électrique intense et désordonnée.
Servier s’est positionné depuis 2019 dans les ASO pour le traitement de maladies neurologiques, pourquoi ?
Cela découle d’une volonté en interne de faire de la médecine de précision dans des maladies neurologiques génétiques et rares pour lesquelles il n’existe pas de traitement. Les neurosciences sont l’un des axes stratégiques de notre développement, aux côtés de l’oncologie, et nous avons aujourd’hui deux programmes en développement clinique, dont un utilisant les ASO.
Dans ce domaine de l’épilepsie réfractaire, vous entamez une collaboration avec l’University College London (UCL). Pourquoi ?
L’UCL c’est la Mecque de l’épilepsie. Leurs équipes sont à la fois ultra-performantes en recherche ainsi qu’en développement clinique, ce qui en fait un centre mondial de référence en neurosciences. Ils suivent des cohortes de patients atteints d’épilepsie réfractaire, et disposent d’un modèle humain innovant permettant de tester l’efficacité de molécules thérapeutiques.
Un modèle humain ?
À partir de cellules souches prélevées par exemple dans la peau de patients, l’UCL parvient à constituer des assembloïdes cérébraux. C’est très innovant. Ces structures en 3D de neurones sont comme un mini-cerveau disposant de la mutation portée par les patients, et dans lequel on va pouvoir, en laboratoire, observer l’activité électrique neuronale. C’est dans cette matrice que nous pourrons tester nos ASO. Dans le cadre de ce partenariat nous allons en tester deux, ainsi qu’une troisième molécule non ASO. Ce modèle cellulaire viendra s’ajouter à nos modèles animaux, qui sont obligatoires pour le développement pré-clinique d’un médicament, afin de préparer les essais cliniques.
Quel est le calendrier, et comment va se dérouler cette collaboration ?
Il s’agit d’un horizon d’environ deux ans de collaboration. Servier va financer un post-doctorant et un technicien au sein d’UCL pour mener ce programme de recherche pré-clinique sur des assembloïdes cérébraux. Nous allons démarrer tout début 2026.
Ce médicament potentiel contre l’épilepsie réfractaire, quelle en sera la forme, et quand pourrait-il arriver sur le marché ?
À ce jour, nous parlons d’un traitement chronique, sous forme injectable. Actuellement, ce programme est très en amont, avant le développement clinique. Une potentielle mise sur le marché n’est pas envisageable avant dix ou douze ans, même si dans les maladies rares, et au regard de l’espoir que cela peut représenter pour les familles concernées, on peut bénéficier de procédures accélérées en Europe et aux États-Unis pour mettre plus vite à disposition des traitements inédits. Si notre approche fonctionne bien dans l’épilepsie réfractaire, nous pourrions décliner ces développements à d’autres maladies génétiques neurologiques rares, comme certaines formes d’autisme qui sont génétiques.


