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l’équation quasi insoluble de l’Union européenne pour sauver son industrie sans sacrifier ses objectifs environnementaux

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Lu il y a 9 minutes


Face à la pression des industriels qui réclament moins de contraintes réglementaires et une transition plus en ligne avec le marché, la Commission européenne a promis de présenter un ensemble de textes le 10 décembre. Mais encore faut-il mettre tout le monde d’accord autour de la table.

«C’est le bin’s ici !» Dans les couloirs de Bruxelles, les fonctionnaires ne savent plus où donner de la tête. Dans à peine six jours, le 10 décembre, la Commission européenne est supposée présenter son vaste «paquet automobile», qui vise à repenser la trajectoire de décarbonation du secteur pour relancer des ventes toujours en deçà des niveaux pré-pandémiques. Tiendra-t-elle sa promesse ?

Verdissement des flottes d’entreprise, soutien à la production de batteries, allègement des contraintes réglementaires, mais surtout révision des normes CO2 en 2035 et mise en œuvre d’un seuil de contenu local… Mettre tout le monde d’accord sur ces sujets éminemment politiques, symboles des ambitions climatiques du continent, relève de l’équation quasi insoluble pour l’exécutif supranational, qui s’est pourtant engagé auprès des industriels à leur offrir des solutions avant la fin de l’année. Le détail des quatre propositions législatives qui composent ce «paquet» reste très imprécis.

«Nous avons de grandes attentes, car les enjeux sont importants», insiste Ola Källenius, le patron de Mercedes-Benz réélu le 3 décembre pour un second mandat d’un an à la tête de l’Acea, association qui représente les constructeurs européens. En coulisse, les cadres dirigeants se montrent dubitatifs. Une source industrielle lance que «la date du 10 n’est pas morte, mais reste incertaine», quand une autre s’inquiète : «un report serait une forme de renoncement».

«Nous recevons encore des contributions»

Le commissaire aux Transports lui-même, le grec Apostolos Tzitzikostas, n’a pas exclu que les annonces glissent en janvier. «Ce qui se passe en ce moment, c’est que nous recevons encore des contributions [des États-membres]», a commenté mardi 2 décembre Anna-Kaisa Itkonen, porte-parole de la Commission européenne. Certains États ne lui ont en effet pas facilité la tâche, en tardant à transmettre leur point de vue.

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C’est le cas de l’Allemagne. La coalition CSU/CDU et SPD n’a officialisé sa position que le 28 novembre, dans une lettre que le chancelier Friedrich Merz a adressée directement à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avec, en formule d’appel, un chaleureux «Liebe Ursula», écrit à la main à l’encre bleue. «Après 2035, outre les véhicules purement électriques à batterie, les voitures à double motorisation, composées d’un moteur à batterie et d’un moteur à combustion, devraient continuer à être immatriculées, à condition que les émissions restantes dans le secteur automobile et des carburants soient compensées», y lit-on.

Berlin et Rome contre Madrid et Paris

«Sans position allemande bien définie, c’était difficile de commencer à regarder les équilibres possibles au sein du conseil», note le responsable des affaires publiques chez un constructeur. Berlin, dont la très puissante industrie automobile est malmenée, peut compter sur le soutien de Rome, dont le principal fabricant de voitures, Stellantis, patine sur le marché et fait tourner ses usines à faible régime.

En face, il y a les pays nordiques, l’Espagne et la France. Le pays de la péninsule ibérique peut compter sur la voix de sa commissaire, Teresa Ribera, en charge de la concurrence, pour refuser toute édulcoration de l’objectif de tout-électrique en 2035. Le pays n’y a pas intérêt. Bénéficiant d’une énergie abordable et décarbonée, il attire de nombreux investissements automobiles, notamment dans les gigafactories.

Une filière française qui veut afficher son unité

Quant à la France, une réunion organisée avec la filière mardi 2 décembre à Bercy sous l’égide du ministre délégué en charge de l’Industrie, Sébastien Martin, a permis d’aligner tout le monde pour que le gouvernement puisse «porter d’une voix claire les demandes de la France», indique un communiqué de presse qui s’est toutefois fait attendre plus de vingt-quatre heures. Le gouvernement, qui défendait initialement la même posture que l’Espagne, se dit ouvert à des «flexibilités» en échange de l’instauration d’un contenu minimum pour soutenir les équipementiers, en manque de volume de production et 30% moins compétitifs que la concurrence asiatique, principalement chinoise.

Cette mesure divise, et pas seulement pour sa définition, son seuil et mode de calcul. «Ces exigences renforceraient notre souveraineté industrielle mais engendreraient mécaniquement une augmentation des coûts», commente Valérie Devaux, eurodéputée Renew Europe et membre de la commission des Transports et du tourisme (TRAN). Conséquence : l’Allemagne, qui se refuse à tout protectionnisme et fait de la compétitivité sa priorité, est notoirement contre. De manière générale, les constructeurs de tous bords n’en sont pas friands non plus.

Le contenu local divise

Ce sujet est d’autant plus complexe qu’il est lié à une autre proposition législative, également prévue le 10 décembre : l’Industrial Accelerator Act (ou règlement sur l’accélération industrielle). «Cette préférence européenne, politiquement, c’est une idée qui avance, on le voit notamment dans le secteur de la défense», décrypte Eric Maurice, chercheur à l’European policy center (EPC), qui note qu’«il y a quand même certains composants et matériaux qui ne sont pas simples à obtenir ou transformer uniquement en Europe.»

Des industriels aux intérêts divergents, des États aux objectifs différents… sans oublier des dissensions internes. «On observe des divergences de doctrine au sein de la Commission européenne», note Bastien Gebel, responsable de la décarbonation de l’industrie automobile pour le think tank Transport & Environnement (T&E). La consultation interservices, c’est-à-dire entre les différentes directions générales concernées par ces dossiers, est bloquée. Jusqu’à quand ?

Un paquet, quatre textes législatifs

Le paquet automobile prévu le 10 décembre est composé de quatre propositions législatives, aux détails toujours imprécis. Bien sûr, le texte phare concerne la révision des normes d’émissions de CO2 pour les voitures et vans neufs. En l’état, la loi interdit la commercialisation de véhicules polluants à l’échappement à partir de 2035. Parce qu’ils jugent que l’automobile européenne court à sa perte en poursuivant cet objectif environnemental, les industriels réclament à cor et à cri qu’il soit abandonné. Face aux restructurations et pertes d’emplois qui se multiplient, la Commission européenne a accepté d’avancer la discussion de la clause de revoyure de la loi, initialement prévue en 2026. Depuis plusieurs semaines, il ne fait guère plus de doute que les politiques vont assouplir la réglementation. Ursula von der Leyen en a annoncé à demi-mot la couleur dès son discours annuel sur l’état de l’Union en septembre, reprenant à son compte le principe de “neutralité technologique”. Les constructeurs ont formulé plusieurs propositions : supercrédits pour la commercialisation de véhicules électriques, prise en compte de l’utilisation de carburants renouvelables, objectifs de mise au rebut de vieux véhicules…

Les trois autres textes concernent le verdissement des flottes d’entreprise (avec des objectifs contraignants ou de simples recommandations ? auprès des États membres ou des sociétés de leasing ?), le “battery booster” pour soutenir la production de batteries sur le continent et un “omnibus automobile” (pour répondre aux velléités de pause réglementaire des industriels, qui jugent les lois trop nombreuses et fréquentes).



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