Avec son microscope chimique, la PME lyonnaise Ablatom rend accessible aux industriels une technologie de recherche pointue pour réaliser des cartographies chimiques de matériaux. L’instrument ouvre des applications en batteries, recyclage, métallurgie ou géosciences.
Cartographier les éléments chimiques présents à la surface d’un matériau, en quelques minutes et sans compétences particulières, à l’aide d’un laser. C’est ce que promet l’entreprise française Ablatom avec son microscope chimique, Ablascan. Cet équipement repose sur la technologie LIBS (Laser Induced Breakdown Spectroscopy, ou spectrométrie d’émission atomique de plasma induit par laser). Son principe : une impulsion laser de très courte durée est envoyée sur la matière à analyser, qu’elle soit solide, liquide ou gazeuse. Une quantité infinitésimale (quelques nanogrammes, soit quelques milliardièmes de gramme) de matériau est alors portée à l’état de plasma, un état très énergétique qui émet de la lumière. Cette lumière, unique à chaque élément chimique, est collectée par des capteurs puis interprétée par des algorithmes, permettant de restituer instantanément la composition du matériau analysé.
Une technologie de labo adaptée au monde industriel
Fondée en 2017 à Lyon par Vincent Motto-Ros, chercheur à l’Institut Lumière Matière, et Florian Trichard, Ablatom est née de la volonté de «transformer une technologie experte en un outil utilisable hors laboratoire, dans l’industrie par exemple, y compris par des profils non spécialistes de l’analyse chimique», explique Florian Trichard, aujourd’hui président d’Ablatom. L’entreprise compte un peu plus d’une dizaine de collaborateurs, principalement des ingénieurs et des docteurs.
Concrètement, Ablascan se présente comme un microscope classique. L’utilisateur visualise optiquement la surface d’un échantillon, définit des zones d’analyse, puis lance le scan : le laser balaie la surface point par point, produisant à chaque tir un spectre chimique. Résultat : le spectre difficile à interpréter laisse place à une cartographie chimique du matériau. L’utilisateur ne sait plus seulement quels éléments sont présents (la machine peut d’ailleurs en détecter plusieurs dizaines à la fois), mais aussi où ils sont localisés, ainsi que leur quantité.
Ablatom De l’analyse chimique à l’imagerie de la matière
L’intérêt de la machine dépasse la simple détection d’éléments. Ablascan permet d’observer la corrosion localisée de métaux, de contrôler l’homogénéité d’un revêtement, d’identifier des phases minérales dans des échantillons géologiques, de qualifier des alliages ou des polymères, ou encore de mettre en évidence des défauts dans des batteries ou des composants.
Contrairement à des techniques plus traditionnelles qui nécessitent des étapes parfois longues de préparation de l’échantillon (dissolution, dilution, manipulation en laboratoire, etc), la LIBS supprime quasiment toute phase intermédiaire. «Le gain n’est pas seulement sur la vitesse de mesure, mais sur l’ensemble de la chaîne d’analyse, souligne Florian Trichard, on passe directement de la pièce réelle à l’information chimique exploitable.» La technique reste qualifiée de semi-destructive : chaque tir laser enlève quelques nanogrammes de matière. Dans les faits, l’impact est quasi invisible à l’œil nu, ce qui autorise l’analyse de matériaux de valeur ou de pièces industrielles finies.
Un outil pour les matériaux stratégiques
Si la technique n’est pas nouvelle – elle est utilisée depuis plus de vingt ans dans l’exploration spatiale, notamment à bord de rovers martiens – Ablatom compte se différencier par sa facilité d’utilisation. Pour automatiser l’interprétation des spectres et rendre la machine accessible à des non-experts, Ablatom a misé sur le traitement intelligent des données. Des modèles d’apprentissage automatique sont entraînés à reconnaître des signatures chimiques associées à des matériaux connus : alliages, types de verre, familles d’aluminium, minéraux, polymères, etc. La machine peut ainsi aller au-delà de la simple présence d’un élément et proposer une reconnaissance de matériaux. «L’IA permet surtout de sortir la LIBS du cercle des spécialistes de la spectroscopie», précise le dirigeant. «L’utilisateur n’a pas à interpréter un spectre : il obtient directement un résultat contextualisé.»
L’entreprise positionne également sa technologie sur le terrain des matériaux critiques : lithium, cobalt, nickel, terres rares… Ces éléments légers du tableau périodique sont en effet particulièrement sensibles à la LIBS. Ablascan est ainsi testé sur des cas d’usage en batteries lithium-ion, recyclage de déchets électroniques, métallurgie ou études géologiques. «Ce sont des enjeux industriels autant que géopolitiques», estime Florian Trichard. «Savoir caractériser ces matériaux, c’est un levier pour sécuriser des filières.»
L’entreprise a aussi déjà fait ses gammes en médecine, avec l’acquisition en 2024 d’une machine par le CHU de Grenoble, pour l’analyse de biopsies. Au-delà de son microscope, Ablatom développe une gamme complémentaire destinée à l’analyse directement au sein des procédés industriels : sur convoyeurs, pipelines ou chaînes de production. L’idée : intégrer la LIBS comme un capteur temps réel pour trier, contrôler ou surveiller des procédés sans intervention humaine.


