
Un groupe de chercheurs européens, dans un rapport scientifique rendu public le 17 novembre, souhaite l’encadrement des pratiques innovantes d’élimination du CO2 en mer, permettant par la suite de capter du CO2 atmosphérique supplémentaire. Explications avec le biogéochimiste Olivier Sulpis, du CNRS, qui a copiloté ce groupe d’experts.
Un groupe de 12 chercheurs européens a publié un rapport scientifique le 17 novembre, dans le but d’aider à établir un « encadrement rigoureux au niveau européen des méthodes de capture du CO2 dans l’océan », d’après un communiqué de presse diffusé par le CNRS. Le rapport, intitulé Monitoring, reporting and verification for marine carbon dioxyde removal, porte sur la nécessité de mettre en place des méthodologies de Surveillance, Déclaration et Vérification (Monitoring, reporting and verification, MRV) en amont du déploiement à grande échelle de solutions technologiques accélérant l’absorption du CO2 par les océans de la planète. Le groupe de chercheurs a été copiloté par Olivier Sulpis, membre du Centre de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement du CNRS.
Retirer le carbone des océans… pour capter celui dans l’atmosphère
D’après le chercheur français, le captage du carbone océanique est une pratique qui connaît un engouement certain depuis une dizaine d’années environ. « Il y a eu un gros regain d’intérêt pour cette thématique dans la communauté scientifique à la fin des années 2010, en parallèle du développement de nombreuses ONG et de start-ups. En lisant la littérature scientifique, nombreux se sont rendus compte qu’il est possible de déployer toute une série de méthodes dans le but de lutter contre le changement climatique », se rappelle Olivier Sulpis.
De manière naturelle, les océans de la planète absorbent déjà environ un quart des émissions globales de CO2, d’après plusieurs études scientifiques. Plusieurs solutions existent pour augmenter les capacités d’absorption des océans. Elles consistent essentiellement à améliorer le captage naturel ou à retirer le carbone déjà présent en mer. « Retirer le CO2 de l’eau de mer, ce n’est pas la finalité de la procédure, avertit Olivier Sulpis. Ce que l’on souhaite, c’est retirer le carbone de l’atmosphère. Finalement, on retire le CO2 marin pour qu’ensuite, spontanément, le CO2 dans l’air au contact de cette eau passe dans l’eau de mer ».
Plusieurs solutions à l’étude
Les technologies existantes pour capter le CO2 marin ou faire en sorte que les océans puissent retirer plus de carbone atmosphérique sont nombreuses et peu matures technologiquement. Le groupe de chercheurs divise dans son rapport les méthodes actuelles en 2 catégories : biotiques et géochimiques. Le renouvellement de la biomasse (par culture de nouvelles biomasses et enfouissement de celles ayant capté du carbone), et notamment des algues et microalgues, est aujourd’hui à l’étude. De 2017 à 2024, la start-up américaine Running Tide avait par exemple lancé des projets d’aquaculture de microalgues, avant de mettre la clé sous la porte, faute de marché assez important. La fertilisation des océans par le déversement de nutriments dans l’océan vise, elle, à stimuler les biomasses préexistantes et à favoriser leur développement, pour que celles-ci captent de plus grandes quantités de CO2.
Les solutions géochimiques s’orientent quant à elles autour de la minéralisation du carbone capté dans l’eau au cours du temps. Une fois dans l’océan, le CO2 s’incorpore à des minéraux carbonatés et contribue à la formation de sédiments dans le fond marin. En augmentant l’alcalinité des océans, il est ainsi possible d’accélérer ce processus de minéralisation du CO2.
De la difficulté de quantifier l’impact réel de ces pratiques
Si les solutions pour augmenter la capacité des océans à capter du carbone ne manquent pas, Olivier Sulpis déplore le manque de cadrage existant aujourd’hui. « Chaque acteur qui prétend mettre en place une méthode qui retire le CO2 de l’atmosphère devrait passer par une série d’étapes de MRV. Et aussi, dans notre cas, une série d’étapes qui consisterait à observer de très près l’océan, sa chimie, les conséquences sur l’environnement et sur l’écologie des pratiques de captage pour être sûr que ces méthodes fonctionnent. Surtout, il est nécessaire de quantifier le CO2 que chaque méthode permet de retirer de l’atmosphère, et pour combien de temps », décrit le chercheur. Les cultures d’algues supplémentaires ou le déversement de minéraux pourraient entraîner le dérèglement des écosystèmes locaux, soulignent les chercheurs dans leur rapport. « Ce sont des conséquences non voulues des procédés d’élimination du CO2 marin, mais qui pourraient empoisonner les écosystèmes », alerte Olivier Sulpis.
Or, les dérèglements écosystémiques arrivent le plus souvent à retardement. « Lorsque l’on observe les impacts de largages de minéraux, de cultures de biomasse, on regarde à l’échelle de l’activité étudiée. C’est-à-dire sur quelques mètres cubes et durant quelques semaines, tout au plus. Mais souvent, les conséquences océaniques surviennent après des décennies, voire des siècles, explique Olivier Sulpis. Et aussi, puisque l’océan est vivant, les courants marins mélangent l’eau en permanence et les conséquences d’une activité peuvent se déclarer des centaines de kilomètres plus loin ».
En conclusion, Olivier Sulpis et ses collègues appellent, d’une part, à développer une méthodologie standardisée de MRV, et d’autre part, à favoriser les projets de captage de carbone océanique répondant à des critères d’évaluation des impacts environnementaux de leur technologie.


