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«Nous avons fait le choix d’un produit abordable», explique Paul du Saillant (EssilorLuxottica)

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Lu il y a 13 minutes


Le directeur général délégué d’EssilorLuxottica Paul du Saillant dévoile sa stratégie : une orientation résolue vers la medtech et les lunettes connectées.

L’Usine Nouvelle – Avec un chiffre d’affaires en hausse de 11,7% au troisième trimestre 2025, vous réalisez votre meilleure performance depuis la fusion d’Essilor et Luxottica en 2018. À quoi l’attribuez-vous ?

Paul du Saillant – Concernant EssilorLuxottica, ce n’est pas une fusion, mais une combinaison de deux entreprises complémentaires. Et si vous regardez notre trajectoire, depuis que nous sommes vraiment devenus une seule entreprise, en 2021, sans compter la période précédente, qui était un peu agitée, notre croissance a été constante, de l’ordre de 7%, et quasi purement organique. Dans le cas du troisième trimestre de cette année, nous attribuons 5 points de croissance à notre cœur de métier, les lunettes solaires et de vue ; 2 points liés aux acquisitions de la marque de mode Supreme et de Heidelberg Engineering [société allemande de diagnostic ophtalmologique, ndlr] ; et 4 points aux lunettes connectées. C’est la première fois que la contribution de cette catégorie apparaît de manière distincte dans nos résultats.

Vous baignez dans la santé visuelle, la mode et la tech. Conjuguer ces différents métiers ne doit pas être chose aisée…

D’une certaine manière, nous sommes dans une seule catégorie, car nous produisons un objet, les lunettes, sous toutes ses formes. Notre savoir-faire en mode et notre portefeuille bien fourni de marques en propre et sous licence viennent de Luxottica et nos technologies de santé visuelle viennent d’Essilor. Et nous avons toutes les compétences en recherche, technologie, production, distribution ou encore marketing en interne. Cela nous permet de développer des technologies remarquables, comme nos verres Stellest, qui peuvent ralentir de 71% la progression de la myopie des enfants et des adolescents. L’enjeu est de taille, car 50% de la population mondiale sera myope à l’horizon 2050.

Comment se portent les ventes de vos verres Stellest ?

Ils se déploient très bien en Europe et en Chine, où la myopie est un réel enjeu de santé publique. Nous venons par ailleurs d’obtenir en septembre l’autorisation de la Food and drug administration pour les commercialiser aux États-Unis. C’est la première fois qu’elle donne une autorisation pour un verre qui apporte une forme de traitement et non pas seulement une correction.

Vos récentes acquisitions montrent votre intérêt croissant pour la medtech…

Nous sommes effectivement en train d’aller davantage dans cette direction, car nous pensons qu’il est essentiel d’accompagner nos clients et nos patients. Par exemple en aidant les médecins à avoir les meilleures technologies pour diagnostiquer les pathologies rétiniennes, comme le glaucome. Ce sont ces technologies que nous avons obtenues en faisant l’acquisition d’entreprises comme Heidelberg Engineering, Espansione, la start-up canadienne Cellview et, plus récemment, RetinAI.

Votre R&D va de la santé à la high-tech, avec les lunettes connectées. Comment la structurez-vous aujourd’hui ?

Une partie de nos découvertes viennent de l’interne. Nous renforçons nos équipes de recherche en permanence. Nous sommes par exemple en train de le faire dans notre centre de R&D à Paris, qui compte 70 personnes dédiées à la vision et aux neurosciences. Nous disposons aussi d’un laboratoire autour des lunettes intelligentes à l’École polytechnique de Milan. Ensuite, nos acquisitions nous apportent beaucoup de savoir-faire. C’est le cas de Nuance Audio, une société israélienne, et de la start-up française Pulse Audition, qui nous permettent d’embarquer dans les lunettes le traitement du son pour la déficience auditive. Enfin, l’alliance majeure avec Meta nous a permis de concevoir ensemble des lunettes connectées en combinant les technologies des deux groupes.

Vous prévoyez de produire 10 millions de lunettes intelligentes en 2026. Comment assurerez-vous cette montée en charge industrielle ?

Le groupe a une culture industrielle profonde et dispose de 600 sites de fabrication dans le monde. Nous avons commencé par mettre en place un premier atelier de production pour les Ray-Ban Stories [première génération des lunettes connectées, ndlr] dans notre usine de Guangdong, en Chine. Il y a deux ans, nous avons décidé de doubler la taille de l’atelier, dont nous venons d’ailleurs d’inaugurer un bâtiment, qui est aussi épaulé par un système industriel en Asie du Sud-Est.

L’IA générative a révolutionné les cas d’usage de l’objet, car vous pouvez parler aux lunettes, recevoir des réponses et donner des instructions

—  Paul du Saillant

« Nous avons fait le choix de lunettes connectées abordables »Come SITTLER
Paul du Saillant (Come Sittler)

Comment affrontez-vous la concurrence d’Apple, qui prépare ses propres lunettes intelligentes, et de la Chine ?

Les grandes entreprises du numérique, les Gafam, croient en cet objet. La clé, c’est de savoir quelles fonctions y embarquer. Il y a cinq ans, nous avons fait le pari d’y mettre une caméra, des haut-parleurs et un microphone. Et depuis deux ans, l’IA générative a révolutionné les cas d’usage de l’objet, car vous pouvez parler aux lunettes, recevoir des réponses et donner des instructions. Mais en plus des cas d’usage, il faut aussi proposer un produit qui a un certain style. Nous avons augmenté le nombre de styles de la marque Ray-Ban et nous avons lancé les Oakley Meta. Et contrairement à Apple et ses lunettes Vision Pro, nous sommes partis sur un produit abordable. Nous essayons de prendre le plus d’avance possible sur ces concurrents. Cela revient à faire de bons produits, grâce à notre profondeur industrielle et technologique. De plus, notre stratégie omnicanale et notre réseau de magasins améliorent la vitesse de déploiement de ces produits.

Parmi vos acquisitions de 2024, celle de la marque de mode américaine Supreme sort du lot. Verra-t-on un jour des lunettes Supreme Meta ?

Il y aura sûrement d’autres marques dans notre catégorie Meta, mais nous gardons des surprises pour le futur ! Supreme est une addition au portefeuille de l’entreprise, qui est fait de marques en propre comme Ray-Ban, Oakley, Persol, et de marques sous licence, comme Armani, Prada ou encore Chanel. Supreme a la particularité de s’adresser à la Gen Z. Son lien direct avec les consommateurs et son modèle très efficace de gestion de collection amène une expérience différente. Ce rachat ne signifie pas que nous souhaitons intégrer la mode vestimentaire.

Aux États-Unis, nous avons essayé d’encaisser au maximum les variations de coûts générées par les droits de douane et avons dû ajuster nos prix à partir de la fin du deuxième trimestre.

—  Paul du Saillant

Comment les droits de douane américains affectent-ils votre groupe ?

L’Amérique du Nord représente 45% de notre chiffre d’affaires, compte 45000 de nos salariés et 120 laboratoires de prescription, en plus d’usines et de centres de distribution. Nous nous appuyons sur notre dispositif industriel très significatif sur le sol américain, sur celui que nous avons au Mexique, ainsi que sur les flux qui viennent d’Asie et d’Europe pour ajuster les échanges et localisations de production. Nous avons renforcé la production au sein de notre site de fabrication des lunettes Oakley et dans notre usine du Connecticut qui produit des verres en polycarbonate. En général, notre dispositif de logistique et de fabrication nous donne beaucoup d’options en fonction des montures, des types de verres et de façonnages, et une grosse partie de l’assemblage final se fait aux États-Unis. Enfin, nous avons essayé d’encaisser au maximum les variations de coûts générées par ces droits et avons dû ajuster un peu nos prix à partir de la fin du deuxième trimestre.

« Nous avons fait le choix de lunettes connectées abordables »Come SITTLER
Paul du Saillant Essilor (Come Sittler)

Vous avez récemment inauguré un laboratoire d’excellence à Wissous, dans l’Essonne, en fusionnant plusieurs sites français. Ce modèle préfigure-t-il ce que vous ferez ailleurs dans le monde ?

Dans chaque pays, nous avons des laboratoires de prescription. Ce que préfigure celui de Wissous, c’est l’idée que nous devons avoir des sites très performants dans chaque marché géographique. Ce laboratoire, qui peut produire jusqu’à 20000 verres par jour, est le plus avancé, le plus moderne et le plus automatisé. Historiquement, la fabrication des montures est séparée des verres. Or, à Wissous, nous allons pouvoir faire des paires complètes. Il aura à la fois toutes les meilleures technologies de façonnage, et un service très rapide pour les opticiens. De plus, il est adossé à notre centre de recherche de Créteil, ce qui permet de tester rapidement les technologies développées.

Vous disposez d’un dispositif technologique et industriel très important en France. Pourquoi ?

La raison de départ, c’est qu’il faut absolument conserver nos savoir-faire, à la fois en France et en Italie. Francesco Milleri [le PDG d’EssilorLuxottica, ndlr] et moi sommes dans une logique d’investissement pour ancrer ces savoir-faire, y compris les nouveaux, comme ceux de Pulse Audition. Depuis la combinaison entre Essilor et Luxottica, nous avons complètement changé d’échelle. J’aime dire que nous sommes un acteur mondial à racines franco-italiennes. Quand j’ai rejoint Essilor, fin 2008, nous avions 30 000 salariés et réalisions 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous sommes 200 000, avec un chiffre d’affaires de 26,5 milliards.

Pensez-vous poursuivre cette stratégie d’acquisitions ?

En octobre, nous avons acheté RetinAI, qui propose un algorithme d’IA pour interpréter des scans de la rétine, en soutien aux ophtalmologues. Donc oui, nous continuons progressivement à faire des acquisitions. Nous avons finalisé celle d’Optegra et de ses 70 cliniques ophtalmologiques.

Qu’en est-il d’Armani, dont le fondateur, décédé en septembre, a désigné EssilorLuxottica comme potentiel acquéreur d’une partie du capital ?

Nous respectons monsieur Armani et ses dispositions testamentaires. Sa marque est l’une des plus grandes licences de notre groupe, mais nous ne ferons pas de commentaire à ce sujet.

En tant que patron d’un grand groupe, que pensez-vous des débats sur une pression fiscale accrue sur les entreprises ?

Nous avons toujours respecté les règles en vigueur dans les pays où nous sommes présents. Si la France vote certains dispositifs, nous nous inscrirons dans ce cadre et poursuivrons notre activité sans commentaire ni jugement.



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