
De passage à Paris pour le salon Adopt AI, Mike Mattacola, responsable de la croissance de CoreWeave et de son expansion sur les marchés internationaux, est revenu pour L’Usine Digitale sur les défis rencontrés par l’Europe en matière d’intelligence artificielle, mais aussi sur la croissance fulgurante de ce fournisseur de cloud spécialisé.
L’Usine Digitale : Que pensez-vous de cet événement et quel était l’objectif de votre présence ici en tant que représentant de CoreWeave ?
Mike Mattacola : J’aime vraiment cet événement car il met l’accent sur les entreprises qui cherchent à déployer l’IA. Et la réalité, c’est qu’en Europe, nous sommes très en retard dans ce domaine. Il est vraiment important d’organiser des événements comme celui-ci, de rassembler toutes les entreprises, de partager des idées et de se challenger mutuellement pour aller un peu plus vite. Ce matin, j’étais sur scène et j’essayais de lancer ce défi : vous devez accélérer. Nous sommes ici pour participer à cela. C’est notre mission en Europe : mettre en place les infrastructures les plus récentes. Elles sont là, prêtes pour toutes les entreprises, et nous voulons qu’elles les utilisent le plus rapidement possible.
Beaucoup de patrons d’entreprise disent : “Nous avons besoin de l’aide du gouvernement. S’il vous plaît, aidez-nous à déployer l’IA”. Pensez-vous qu’il existe une bonne manière de déployer l’IA ? Est-ce que cela doit venir du gouvernement ? Ou des entreprises ?
Tout le monde doit travailler dessus. Ce que j’attends du gouvernement, c’est une réglementation qui nous aide à comprendre la technologie, à former les gens à cette technologie, mais aussi à la déployer rapidement. La raison pour laquelle la réglementation est si importante, c’est que si nous ne l’avons pas, l’Europe sera très en retard. Nous avons besoin de l’aide des gouvernements pour rester compétitifs : le coût de l’énergie, l’énergie verte, et de disposer de suffisamment d’énergie pour alimenter toute la puissance de calcul nécessaire à l’IA. C’est là que nous avons besoin de leur soutien.
Je ne vais jamais me plaindre en disant que je ne peux pas faire mon travail sans le gouvernement, car c’est mon travail de le faire, et celui de notre entreprise. Pour autant, nous n’attendons pas que quelqu’un nous aide : nous avançons aussi vite que possible par nous-mêmes, et nous demanderons de l’aide quand ce sera nécessaire. Je passe probablement 20 à 30% de mon temps à discuter avec eux, mais c’est surtout pour savoir comment réguler intelligemment, comment obtenir plus de capitaux pour les entreprises qui construisent des solutions IA en Europe, et comment avoir plus d’énergie verte disponible en Europe.
L’adoption de l’IA progresse aux États-Unis, en Asie, même au Moyen-Orient. Mais il semble qu’il y ait un problème en Europe, un retard à l’allumage en quelque sorte. Qu’est-ce qui nous manque ?
On parle trop. Vraiment, beaucoup trop de discussions. Les États-Unis veulent être les premiers. La Chine veut être la première. Ils n’attendent pas, ils agissent, ils construisent. La Chine construit énormément d’infrastructures énergétiques : énergie nucléaire, énergie renouvelable. Aux États-Unis, c’est incroyable la quantité de capitaux disponibles pour créer des entreprises, avec un soutien total pour aller aussi vite que possible. Nous avons déjà parlé de la réglementation.
L’Europe doit être très prudente sur l’impact de la réglementation sur les progrès de l’IA. C’est probablement le moment le plus important pour que gouvernements et entreprises dialoguent, partagent leurs problématiques et trouvent des moyens de travailler ensemble plus étroitement qu’avant. La réalité, c’est que le plus grand défi dans la région sera de ne pas trop réglementer.
Le deuxième point : il faut qu’il y ait suffisamment de capitaux en Europe pour que les entreprises puissent se développer, mais aussi pour que les gouvernements construisent des infrastructures. Nous devons être moins conservateurs. Nous avons beaucoup d’argent, beaucoup de familles industrielles, beaucoup de fonds de pension, mais il faut allouer davantage de ce capital à l’innovation et à la R&D pour accélérer le déploiement de l’IA.
Si on s’intéresse plus précisément à CoreWeave, pouvez-vous m’en dire plus sur la stratégie globale et celle en Europe en particulier ?
Ce que nous faisons en Europe est identique à ce que nous faisons à l’échelle mondiale. Notre objectif est que nos clients disposent de la meilleure technologie, le plus rapidement possible. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous avons déployé les technologies les plus récentes en Europe. À commencer par la dernière génération de puces Blackwell dont tout le monde parle : nous les avons déployées en Europe dans les 90 jours suivant leur disponibilité aux États-Unis.
Ensuite, en développant l’entreprise, nous voulons proposer un cloud sur lequel n’importe qui peut venir construire de l’IA. Ainsi, vous n’avez pas besoin de travailler avec cinq partenaires différents : vous pouvez travailler avec un seul. C’est pourquoi nous avons acquis Weights & Biases, Monolith, OpenPipe : nous apportons des outils utiles et des talents qui comprennent la technologie pour accompagner nos clients. Ils peuvent exécuter leurs workloads sur notre cloud, mais aussi bénéficier de notre aide pour créer des produits plus rapidement et les mettre sur le marché plus vite.
Votre stratégie repose, comme vous l’avez dit, sur les puces Blackwell. Tout est basé sur ces GPU. N’avez-vous pas peur de la bulle de l’IA et du fait que tout repose sur les épaules de Nvidia ?
Si vous observez la demande en Europe, 96% des workloads devraient tourner sur Nvidia. C’est le choix le plus logique : c’est la solution la moins chère et la plus rapide. D’un point de vue purement technique, Nvidia est la meilleure option pour nos clients. Concernant la bulle de l’IA dont on entend parler tous les jours dans les médias, la réalité, c’est que nous fournissons de l’infrastructure.
La nouvelle économie sera alimentée par l’infrastructure. L’ancienne économie reposait sur les chevaux, puis les tracteurs, les trains… Aujourd’hui, c’est la puissance de calcul, et c’est ce que nous faisons : déployer l’infrastructure sur laquelle l’économie future va fonctionner. Tout le monde parle de la bulle des années 2000, mais la réalité, c’est qu’à l’époque, on déployait la fibre et personne ne l’utilisait. Aujourd’hui, nous nous réveillons chaque jour en essayant de déployer plus de capacité, car la demande est énorme et nous n’arrivons pas à suivre. C’est complètement différent de la situation du “.com” : à l’époque, on construisait sans demande ; aujourd’hui, nous construisons et nous n’arrivons pas à répondre à la demande. Nous essayons d’en faire plus chaque jour.
Je suis sûre que vous avez vu Google et Gemini 3 Pro. Que pensez-vous de ce dernier modèle ? Et pensez-vous que les entreprises vont acheter beaucoup de TPU dans les prochains mois ?
Eh bien, Gemini 3… Je l’utilise assez souvent moi-même. J’utilise généralement trois LLM différents : ChatGPT, Gemini, Perplexity et parfois Grok… J’alterne entre quatre modèles.
Concernant les TPU, c’est une technologie éprouvée, elle fonctionne bien. Google a pu accélérer rapidement, car ils peuvent aussi déployer cette infrastructure rapidement sur le marché. À la fin, avec toutes ces puces, certaines sont meilleures que d’autres pour des tâches spécifiques. C’est positif pour Google de pouvoir suivre avec sa propre capacité.
Changeriez-vous votre stratégie si vous constatiez une hausse de la demande pour d’autres technologies ?
Nous surveillons constamment la demande. Et pour nous, la meilleure technologie, la plus compétitive, avec les meilleures performances, vient toujours de Nvidia. Bien sûr, nous observons le marché en permanence. Nous ne voulons pas être l’entreprise qui ne vérifie pas et ne change pas sa stratégie si nécessaire.
Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de changer, car notre stratégie fonctionne et correspond aux besoins de nos clients. Nous continuerons à faire de la veille pour savoir ce qui est le mieux pour eux. Mais pour l’instant, c’est le produit Nvidia.
Avez-vous des exemples d’entreprises européennes qui travaillent avec vous actuellement ?
Mistral, évidemment, ici à Paris. Nous avons commencé à travailler avec eux lorsque les fondateurs ont quitté DeepMind et Google pour créer leur entreprise. Nous avons été leur premier partenaire. Mistral a été construit sur le cloud CoreWeave dès le début. À l’époque, nous étions une petite entreprise, peut-être 150 personnes. Aujourd’hui, nous sommes plus de 2000. Leur croissance a été incroyable. Nous sommes très fiers de travailler avec eux depuis longtemps. Ils utilisent maintenant l’infrastructure CoreWeave aux États-Unis et en Europe.
Et puis Poolside, une autre entreprise parisienne. Nous venons d’annoncer un accord majeur avec eux (le 15 octobre dernier, ndlr) pour leur donner accès à notre infrastructure. Ce sont deux entreprises dont nous sommes particulièrement fiers. Nous avons beaucoup d’autres clients dans la région, et d’autres vont arriver.
Et ciblez-vous également de grandes entreprises européennes ?
Oui, bien sûr. Nous discutons avec différents clients chaque jour. Nous sommes passés d’un seul data center à huit en 15 mois en Europe. Nous allons plus que doubler notre capacité européenne l’année prochaine, ce qui nous permettra de travailler avec davantage d’entreprises. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui : collaborer avec plus d’entreprises. Le défi pour elles et pour les start-up, c’est qu’il est très difficile d’accéder à l’infrastructure, car les très grandes entreprises en prennent beaucoup, très rapidement. Nous avançons donc aussi vite que possible pour que l’infrastructure soit disponible pour tout le monde : start-up et grands groupes.
Existe-t-il un grand défi à relever pour CoreWeave en ce moment ? Tout semble si facile pour vous…
Ce n’est pas facile, croyez-moi. Il y a deux aspects dans notre activité. D’abord, c’est très physique : parfois, nous construisons des data centers à partir de rien. Nous avons des équipes qui travaillent jour et nuit pour déployer l’infrastructure physique. D’autre part, la magie de CoreWeave, c’est notre logiciel. Selon le dernier rapport de SemiAnalysis – une évaluation indépendante des meilleurs clouds au monde -, CoreWeave est classé numéro un. Ils ont différents niveaux : bronze, argent, or, platine. Nous sommes platine. Depuis près d’un an, nous sommes la seule entreprise à être à ce niveau de classement.
La raison, notre “secret”, c’est le logiciel. Cette infrastructure est extrêmement complexe à gérer. De nouvelles technologies sont déployées tous les 18 à 24 mois. Avant, un serveur pouvait avoir 200 000 à 300 000 problèmes potentiels ; avec la nouvelle infrastructure, c’est plus d’un million. Notre travail quotidien est très difficile : nous devons constamment faire évoluer notre logiciel pour gérer cette infrastructure de manière efficace. Environ 60% de notre équipe est constituée d’ingénieurs qui développent et améliorent ce logiciel chaque jour.
Comment conjuguez-vous cette demande en forte hausse et les questions liées à l’environnement et au développement durable ?
L’un des grands avantages en Europe, c’est que nous avons beaucoup d’énergie verte. Si vous regardez nos data centers : nous sommes présents dans les pays nordiques et en Espagne : nous avons l’hydroélectricité, l’éolien, le solaire. Nous venons d’investir massivement au Royaume-Uni où nous allons ajouter un micro-réseau. Nous construisons littéralement nos propres parcs éoliens pour fournir le maximum d’énergie verte à nos data centers. C’est la bonne chose à faire, pour la durabilité, mais aussi parce que c’est la solution la plus compétitive.
Mais aux États-Unis, par exemple, ce n’est pas possible ?
Nous avons aussi des énergies renouvelables là-bas : nous avons différents sites où nous accédons à de l’énergie verte. Mais évidemment, la stratégie énergétique est différente. Pour nous, il est essentiel de consommer le moins possible. Avec les nouvelles technologies que nous installons dans nos centres de données, nous utilisons le refroidissement liquide et recyclons la même eau en continu.
Vous l’avez déjà évoqué, mais manque-t-il quelque chose concernant votre feuille de route pour les deux prochaines années ?
Notre objectif est de rester les meilleurs : meilleures performances, meilleur service pour nos clients. Et nous devons être là où nos clients ont besoin de nous. Notre feuille de route évoluera en termes de présence géographique. Nous continuerons à développer un logiciel exceptionnel et à construire des data centers là où nos clients nous attendent.
Un dernier mot ?
Je l’ai dit sur scène tout à l’heure : en Europe, nous devons arrêter de parler de l’IA, de comment nous allons la soutenir, la financer… Nous devons nous mettre à agir radicalement. Les économies mondiales vont croître comme jamais. Si nous n’accélérons pas le déploiement, nous serons très en retard et nos enfants auront du mal à suivre le reste du monde.


