
L’audacieux projet suisse Cargo sous terrain (CST), visant à transporter des marchandises dans 70 kilomètres de galeries souterraines dès 2031, doit revoir sa copie. En cause, les interrogations des cantons et communes sur l’impact environnemental et l’emplacement des centres de distribution du projet.
Le projet suisse Cargo sous terrain (CST) verra-t-il le jour ? Ce concept novateur, imaginé dès 2013 et financé par des acteurs privés, vise à transporter des marchandises via un réseau de galeries souterraines au nord de la Suisse. Un premier tronçon de 70 kilomètres de tunnels doit rallier la ville de Härkingen à Zurich dès 2031, avec un début du chantier en 2026. Coût total : 3,6 milliards de francs suisses (3,8 milliards d’euros), avec à la clé le plus long tunnel d’Europe dédié au transport. Un prolongement du réseau doit suivre d’ici à 2045, avec un total de 500 kilomètres de galeries permettant de rallier sous terre le lac de Constance et le lac Léman avec des connexions vers Bâle ou encore Lucerne.
Ce projet tentaculaire vise à creuser des galeries à plus de 20 mètres sous terre, avant de déployer une myriade de navettes autonomes chargées de transporter des palettes de marchandises. Ces véhicules sur roues devraient circuler à une vitesse de 30 km/h dans des tunnels à trois voies, à l’aide d’un entraînement électrique avec rail à induction. Objectif du système : soulager les camions circulant sur les routes suisses pour effectuer les derniers kilomètres, à la descente des trains de fret.
Pour cela, les galeries desserviraient des centres de distribution en surface – dix pour le premier tronçon entre Härkingen et Zurich –, pourvus d’ascenseurs afin de faire remonter les produits depuis les galeries. Cargo sous terrain, le promoteur du projet au nom éponyme, a d’ailleurs dévoilé, en 2023, un premier prototype d’un monte-charge codéveloppé avec le spécialiste de la télésurveillance Gritec, basé en Belgique.
Une efficacité remise en question
Jusqu’à cet été, tout allait bien pour ce projet fou. Quelques mois après sa création, la société anonyme avait réussi un tour de table financier de plus de 100 millions de francs suisses (106 millions d’euros). Parmi la douzaine d’investisseurs se trouvaient alors la banque Crédit Suisse ou encore Migros et Coop, les deux plus importants groupes suisses de la grande distribution. Puis le Parlement helvétique a voté largement une loi autorisant le déploiement du projet. Prochaine étape : consulter les cantons et communes traversées par le premier tronçon du projet. Ces échanges visent à valider avec les localités l’emplacement des centres de distribution ou encore l’impact environnemental du projet.
Hélas, cette troisième étape majeure, lancée en février 2024, a révélé plusieurs failles dans le projet. Mi-mai, la commune de Zurich a interrogé son impact, estimant la réduction du transport terrestre de marchandises à seulement 3% dans la ville. La municipalité «refuse» également l’implantation de l’un des trois hubs en projet dans son centre, arguant que celui-ci risque d’accroître le trafic dans une zone piétonne et cycliste.
«De plus, les installations souterraines doivent être compatibles avec les intérêts de protection liés au sous-sol, par exemple, l’impact sur les eaux souterraines. La planification d’un tel système de transport impose donc des exigences très élevées», relève de son côté Manuel Fuchs, porte-parole du canton de Zurich.
Après le licenciement d’une partie de ses salariés et l’entrée en fonction d’un nouveau PDG fin septembre, le projet suisse fait désormais peau neuve avant de proposer aux localités une seconde version de son système de transport. Si l’objectif de rallier Härkingen depuis Zurich n’est pas écarté, le calendrier et l’emplacement de plusieurs hubs, ainsi que les spécifications techniques du projet, sont de nouveau passés en revue.
Frilosité des actionnaires
Cette première embûche a également refroidi une partie des investisseurs. Le groupe de la grande distribution Migros, principal actionnaire, a annoncé qu’il ne fournirait aucun financement supplémentaire à la société de transport, selon les informations de l’hebdomadaire suisse Le Matin au début de l’été. «C’est un projet très visionnaire. Pour le moment, nous nous positionnons seulement comme observateurs et nous verrons si nous continuons le financement en 2025», avance prudemment un porte-parole de La Poste suisse, autre actionnaire dans le projet. La société ne peut pas non plus compter sur le soutien financier de l’Etat helvétique : lors du vote de la loi encadrant le projet, en 2020, le Parlement suisse a inscrit dans le marbre qu’aucun denier public ne serait versé dans la société.
Les cantons et communes interrogés soutiennent néanmoins toujours le projet. «Chaque jour de la semaine, environ un demi-million de tonnes de marchandises sont transportées sur les routes et les rails du canton. Selon les prévisions, la population du canton de Zurich continuera d’augmenter, ce qui entraînera une croissance supplémentaire du trafic marchandises», pointe Manuel Fuchs, porte-parole du canton de Zurich. Charge à CST de convaincre lors du repêchage.


