
Alors que débute le salon Paris Nautic show (26 au 30 novembre), après trois ans d’absence, le nautisme traverse une période agitée, suite aux droits de douane américains et au reflux après l’envolée post-Covid. Analyse avec Bruno Thivoyon, président du directoire du groupe Beneteau.
L’Usine Nouvelle – Vous semblez avoir subi de plein fouet la vague des taxes imposées par le président américain. Les résultats du premier semestre n’étaient vraiment pas à la hauteur des prévisions. Est-ce uniquement lié au marché américain ?
Bruno Thivoyon – Le marché nautique n’aime pas l’incertitude. Les droits de douane américains sont passés par plusieurs zones de flou avant d’arriver à ce qu’ils sont devenus cet été. In fine, c’est une taxe d’importation de 15%, qui a été mise en place en parallèle d’une évolution euro-dollar défavorable à l’exportation. Donc ça a effectivement pas mal pénalisé notre activité au premier semestre. Les Etats-Unis, c’est à peu près 20% de ce qu’on exporte aujourd’hui, donc c’est un territoire important pour nous. Si on veut se rassurer, la partie tarifaire associée aux droits de douane, aujourd’hui, n’est plus un aléa, c’est une certitude. Les Américains savent maintenant sur quel pied danser.
Est-ce que votre changement d’ERP a réellement joué un rôle dans les mauvais résultats ?
Nous savions que la mise en place d’un nouvel ERP sur notre principal site de fabrication de catamarans à Bordeaux, en début d’année, allait engendrer des perturbations au premier semestre. Ça a duré plus longtemps que prévu et c’est intervenu au moment où il y avait un ralentissement du marché. Il est toujours perturbant dans une activité artisanale à grande échelle, avec plus de 80 corps de métiers à synchroniser, de changer de système d’information, de langage et de communication entre les différents salariés. Nous sommes en phase de digestion.
En vue du salon nautique, comment expliquez-vous la baisse de l’activité voile ?
Il y a eu un tel bond après le Covid qu’il était normal d’avoir ce mouvement cyclique. Après la pandémie, il y a eu une très forte envie de plein air, de plaisance, et de voile en particulier. Tous les réseaux de distribution ont eu peur de manquer et ont beaucoup commandé. On est dans un modèle de distribution B2B2C et donc la supply chain a un double effet, l’effet cyclique du marché lui-même et puis le phénomène amplificateur à la hausse et à la baisse quand le cycle du marché s’inverse. De plus, l’inflation a changé un peu le modèle de beaucoup d’industries, y compris le luxe. La voile en fait partie. Une grosse moitié de l’activité de la voile fonctionne avec des sociétés de location qui ont accéléré le renouvellement de leur flotte et qui aujourd’hui ralentissent les acquisitions.
Pour terminer sur les chiffres, vous prévoyez donc un second semestre bien meilleur que le premier ? Quel résultat attendez-vous sur l’année 2025 ?
Nous avons publié un troisième trimestre quasiment à l’équilibre en termes d’activité et visons un quatrième trimestre proche de celui de l’année 2024, qui était bon. Le deuxième semestre est le début d’une nouvelle saison. Le vrai démarrage, c’est le salon de Cannes, puis La Rochelle, les salons américains. Ça se termine avec Düsseldorf et Miami. Le Salon de Paris, qui est de retour, vient s’intercaler pour continuer d’animer le marché. Le retour à la rentabilité sur le deuxième semestre sera probablement insuffisant pour compenser les résultats du premier.
Justement, intéressons-nous au salon qui déménage au Bourget. Ce n’est pas seulement un symbole. Vous pouvez y emmener des bateaux plus gros que Porte de Versailles. Est-ce un salon qui s’annonce plus porteur ?
Premier point : sur un salon nautique, on vend des bateaux alors qu’on ne vend pas forcément beaucoup de voitures sur un salon automobile. Deuxième point, c’est un salon qui s’adresse aux Parisiens. Ils ne se déplacent pas tous à Cannes, à La Rochelle ou à Düsseldorf. C’est important de revenir en région parisienne pour leur parler. Troisième point, c’est important que ce salon ait un potentiel de développement dans le futur, et le parc des expositions du Bourget est assez adapté à un développement progressif au cours de la prochaine décennie pour pouvoir monter en taille, avec une internationalisation progressive que lui offre sa localisation au Bourget, proche de Roissy. Ce sera la fin de trois ans d’attente pour les Parisiens qui représentent près de la moitié de notre clientèle française. Nous serons présents cette année avec deux catamarans – ce qu’on ne faisait plus à la Porte de Versailles – et avec une trentaine de bateaux.
Un tel salon, c’est un énorme investissement financier pour le Groupe Beneteau ?
Oui, le nautisme est une industrie de passion. Il faut des réceptacles pour créer cet univers. Il faut réunir les clients, les marques, leurs distributeurs qui vont s’occuper du bateau ensuite pendant 40 ans. Il faut créer cette atmosphère, cet écosystème. C’est un gros budget, mais comme je dis toujours, on vend plus de bateaux dans les salons où on va que dans les salons où on ne va pas.
Est-ce que vous devez repenser la façon dont vous allez vendre demain vos bateaux ? Ceux qui achètent un bateauna naviguent que quelques jours par an dessus. Faut-il revoir les modèles de location ?
Depuis longtemps, il n’y a pas un client du nautisme, mais des dizaines de types de clients. Le nautisme a grandi sur des réseaux de distribution de proximité et c’est un point fort du groupe d’avoir 1200 points de vente et distributeurs partout dans le monde qui nous permettent de réaliser 85% de notre activité à l’exportation. Le marché du catamaran au cours de ces dernières années, mais aussi de la voile monocoque préalablement, se sont développés par l’usage avec des sociétés de location en Croatie, en Grèce, en Italie, aux Caraïbes. Nous avons développé avec elles des programmes qui permettaient à des clients de louer, puis d’accéder à la propriété et de rentrer dans l’économie du partage. Ça permet à certains d’accéder à la navigation, à d’autres de réduire les coûts d’entretien, les frais de maintenance et d’assurance de leur bateau.
Quelles sont les tendances en termes d’innovation ? Est-ce essentiellement la performance, le confort, l’utilisation de nouveaux matériaux plus durables ?
Vous vous adressez à deux types de population. Les passionnés de la navigation à la voile, qui cherchent les sensations, et qui sont très accrochés au modèle de la voile monocoque. Sur la partie navigation, nous allons sur ce terrain-là avec la marque Excess. Nous proposons des performances plus fortes que pour d’autres catamarans un peu moins navigants. Et il y a tous les autres qui sont des vacanciers, des plaisanciers occasionnels, qui cherchent le confort à bord, la stabilité à bord. Ils font de la voile sur un catamaran, une plateforme très stable sur l’eau et sur laquelle le confort à bord est plus proche de l’hôtellerie que de la voile des années 80.
En matière de transition écologique, où en êtes-vous réellement ?
Pour moi, il est essentiel de bien maîtriser l’analyse de cycle de vie de nos produits. Il faut bien comprendre la phase amont chez nos fournisseurs, la phase de production dans nos usines, la phase d’usage qui n’est pas la même chez un propriétaire qui veut utiliser son bateau deux à trois semaines par an ou chez une société de location qui va l’utiliser 20 à 30 semaines par an, sans oublier la phase de déconstruction. Notre feuille de route pour la décarbonation a des jalons sur chacun des blocs de cette analyse de cycle de vie. Nous avons commencé par faire le bilan carbone de chaque catégorie de bateau. Ensuite, nous avons défini notre trajectoire visant à réduire de 30% l’intensité de nos émissions de CO2 d’ici 2030 par rapport à 2022. Les solutions passent par l’architecture navale, pour consommer moins, glisser plus etc. Et bien entendu, on travaille sur l’électrification au sens large du terme, c’est à dire pour la propulsion des bateaux à moteur, mais surtout l’énergie que l’on consomme à bord. Puis, ça va être le choix des matériaux biosourcés, recyclés, et recyclables. Enfin, la filière de déconstruction. Pour cette raison, nous présidons l’éco-organisme APER. Nous avons déployé aussi une application qui s’appelle Seanapps qui connecte notre distributeur avec le client, avec notre bateau et avec la marque. Ça nous permet de parfaitement comprendre les cas d’usage de nos propriétaires, de nos clients, de bien comprendre les réelles conditions d’utilisation de nos bateaux.
On parle d’un nouvel impôt qui pourrait pénaliser la plaisance. Etes-vous inquiet ?
Il faut être prudent sur ce qui se dit. La question revient souvent. Il faut faire la différence entre le super yacht et un petit bateau de pêche promenade – comme on disait à l’époque où Beneteau s’est développé. C’est un petit bateau de 6 ou 7 mètres, le rêve de quelqu’un en fin de carrière qui l’achète pour sa retraite. Il faut dissocier plaisance et yachting. Notre mission est d’amener le plus grand nombre de navigateurs à profiter d’un moment inoubliable sur l’eau. C’est difficile de déterminer la frontière entre l’un et l’autre. Je ne sais pas comment évolueront les règles. Si elles concernent une partie de 15% que représente le marché français dans notre activité, il faut relativiser.
Propos recueillis par Olivier Cognasse et Emmanuel Duteil


