«L’affiche qu’on n’aurait pas dû faire !», est-il écrit au sommet d’une publicité géante dévoilée samedi 1er novembre sur la façade du BHV, grand magasin situé en plein cœur de Paris. Y figurent tout sourire le président de SGM, Frédéric Merlin, et le directeur général de Shein, Donald Tang, tenant son chien sous son bras. Parmi les principales marques mondiales de «fast-fashion», Shein va y ouvrir mercredi 5 novembre un point de vente. Alors que de nombreux politiques et dirigeant d’entreprises dénoncent son modèle économique à bas coût, la plateforme chinoise de mode en ligne mise sur un apaisement des critiques après l’inauguration de sa première boutique permanente dans le pays.
Campagne coordonnée des politiques
Campagne coordonnée des politiques
Le projet a pourtant attisé la colère dans la capitale et ailleurs, alors que cinq boutiques supplémentaires doivent voir le jour ultérieurement dans des Galeries Lafayette à travers le pays, dans le cadre d’un accord signé avec la Société des Grands Magasins (SGM). Quand elle a été informée du projet de Shein, l’ex-députée LR Véronique Louwagie, a ainsi entrepris des démarches pour s’opposer à son installation.
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L’ancienne ministre déléguée chargée du Commerce et des PME au sein du gouvernement Bayrou a dit à Reuters avoir contacté le président des Galeries Lafayette – le groupe a exprimé son désaccord face à ce projet, dénonçant une violation par SGM de leur contrat de franchisage -, ainsi que les maires d’Angers, Dijon, Grenoble, Limoges et Reims, où les autres boutiques sont prévues.
Aux yeux des élus, la croissance rapide de la marque chinoise découle d’un avantage déloyal: l’absence de taxes douanières sur les colis à faible valeur marchande envoyés par les sites de vente en ligne, qui permet à Shein de vendre ses produits à des prix dérisoires. En parallèle, des enseignes de «fast-fashion» présentes de longue date en France, comme Jennyfer et Naf Naf, ont déposé le bilan. «Shein impacte la vitalité de nos territoires, détruit les emplois, détruit les magasins», a déclaré Véronique Louwagie à Reuters.
«Faire le buzz, un commerce plus moderne»
«Faire le buzz, un commerce plus moderne»
La marque chinoise met en avant son modèle économique basé sur la demande, qu’elle décrit comme plus efficace, avec des usines fabriquant de faibles quantités avant d’accroître leur rythme si les ventes d’un produit sont bonnes. Elle défend également l’utilité de son marché en ligne (‘marketplace’), qui peut permettre selon elle à des marques et des détaillants français de servir une clientèle plus large.
SGM, qui a initié les contacts avec Shein, espère attirer des clients plus jeunes, dans ses efforts pour donner un nouveau souffle à des magasins BHV et Galeries Lafayette en difficulté. «On croit au projet Shein, on y croit fortement», a déclaré lundi sur BFMTV son directeur général, Karl-Stéphane Cottendin, également directeur général du BHV. «Il y a certes une polémique autour, on ne peut pas la nier, mais on a aussi une marque qui a 24-25 millions de consommateurs en France», a-t-il ajouté au cours d’une interview.
Cette polémique semble ne pas déplaire aux deux partenaires. «Faire le buzz, c’est une façon aujourd’hui de faire du commerce, un commerce plus moderne», a déclaré Karl-Stéphane Cottendin sur BFMTV. «On était prêt à la polémique (que le projet Shein) allait susciter.»
Fermeté réglementaire et amendes
Fermeté réglementaire et amendes
Les autorités françaises se montrent particulièrement fermes dans leur politique à l’égard de Shein, marque fondée en Chine en 2012. Ces derniers mois, les autorités françaises ont infligé à Shein des amendes s’élevant au total à 190 millions d’euros pour des pratiques commerciales trompeuses et pour non-respect des règles sur les traceurs en ligne («cookies»).
Après qu’a été signalée la vente sur la plateforme en ligne de poupées sexuelles à caractère pédopornographique Roland Lescure, nommé le mois dernier ministre de l’Economie et des Finances, a menacé lundi d’interdire Shein en France si l’entreprise venait à enfreindre à nouveau la loi. Shein a dit avoir sanctionné les vendeurs concernés et a annoncé des mesures pour s’assurer que de tels produits ne se retrouveraient plus sur sa «marketplace» mondiale.
Par ailleurs, Shein pourrait ne plus être autorisé à faire de la publicité en France et se voir infliger une amende pour chaque produit que la firme vendrait dans le pays, alors qu’un projet de loi destiné à lutter contre la «fast-fashion» a été adopté par le Sénat en juin dernier. Le texte est amendé par les deux chambres du Parlement pour être conforme aux normes de l’Union européenne.
Cette loi, qui pourrait selon des élus entrer en vigueur en début d’année prochaine, cible spécifiquement les plateformes en ligne qui ajoutent quotidiennement plus de 1000 produits, tels que Shein et son rival Temu. Shein a déploré le texte, déclarant qu’il nuirait aux consommateurs en rendant les produits de la marque plus onéreux. Et s’est affairée pour en empêcher la promulgation. Pour la première fois, Donald Tang a écrit personnellement le 27 octobre à la rapporteure du texte, Anne-Cécile Violland, pour solliciter une réunion, montre une lettre que Reuters a pu consulter.
Contribuer à l’économie locale
Contribuer à l’économie locale
Les boutiques physiques de Shein représentent un «essai à très petite échelle» plutôt qu’un virage stratégique plus large, a argumenté auprès de Reuters un porte-parole du groupe. Shein parie sur le fait que ses magasins peuvent attirer des foules et avoir un impact économique positif, ce qui lui offrirait des arguments pour répondre à ses détracteurs.
D’après le groupe, ses magasins vont créer au total 200 emplois et contribuer à l’économie locale, citant l’exemple d’une boutique provisoire (« pop-up ») installée en juin à Dijon qui a attiré selon lui 27000 visiteurs, dont plus de la moitié ont visité le centre-ville.
Reste que l’annonce de l’arrivée de Shein au BHV a poussé plus d’une vingtaine de marques à quitter le magasin parisien, dont les employés ont organisé une manifestation pour protester contre l’accord scellé avec la firme.
Front commun
Front commun
S’associer avec Shein a aussi eu des conséquences pour des détaillants français. Deux jours après que le groupe chinois a annoncé en septembre un partenariat avec la marque Pimkie, introduite sur la «marketplace» de la plateforme, la Fédération des enseignes de l’habillement (FEH) a dit exclure l’enseigne.
Le fait que les colis d’une valeur inférieure à 150 euros soient exemptés de taxes douanières dans l’UE attire par ailleurs l’attention, sur fond de préoccupations accrues à l’égard du flux de produits chinois à bas coût arrivant sur le marché continental et dont les douanes européennes ne sont pas en mesure de vérifier la conformité avec les normes du bloc communautaire.
Dans un contexte d’instabilité politique en France, marquée par les changements de gouvernement et les multiples désaccords entre partis, la question de Shein semble réunir. Le successeur de Véronique Louwagie au poste de ministre délégué chargé du Commerce et des PME a déclaré en octobre à l’Assemblée nationale que défendre les commerces de rue était «la priorité de (son) ministère». «Ces plateformes (…) font du dumping. Elles ne respectent pas nos normes et elles n’ont que faire de nos ambitions écologiques», a dit Serge Papin. «Nous allons nous mobiliser tous ensemble pour nous défendre.»
Avec Reuters (Helen Reid, avec la contribution d’Inti Landauro et Alessandro Parodi; version française Jean Terzian, édité par Blandine Hénault)



