A Saint-Dié-des-Vosges, la manufacture de joaillerie fine Orest a des allures de Fort Knox. Le site ultra-sécurisé ne porte aucun signe extérieur permettant d’identifier son occupant, sous-traitant de grandes maisons comme Van Cleef & Arpels, Tiffany et Cartier. La valeur de la matière conservée sur place a d’ailleurs justifié «la réactivation de la BAC [brigade anticriminalité, ndlr] dans la ville», a rappelé le maire, Bruno Toussaint, le 6 mars 2024 lors de l’inauguration du site. Orest, filiale du holding Platinum Invest (LVMH) depuis 2023, a pris ses quartiers il y a quatre ans dans ce bassin d’emploi fragilisé des Vosges, avec l’objectif d’y construire une usine flambant neuve où travaillent désormais 250 salariés. Pari réussi. Il y a quelques mois, l’aménagement d’une fonderie dans ses locaux a achevé de rendre le site 100% autonome dans sa fabrication de bijoux (définis par leur valeur, de 1000 à 50000 euros la pièce). À partir de grenaille d’alliages précieux, il produit désormais les pièces brutes qui sont ensuite travaillées par ses bijoutiers-joailliers, sertisseurs et polisseurs.
Née en Alsace, l’entreprise pourrait ne pas s’arrêter en si bon chemin. En témoigne le foncier disponible en bordure du site vosgien. Son responsable, Jean-Julien Koerin, se dit «convaincu que les Vosges ont une carte à jouer sur le segment de la haute joaillerie» (valeur supérieure à 50000 euros), sur lequel les prestigieuses maisons de la place Vendôme se livrent une guerre des talents. Une première collaboration a été lancée avec une société sœur, la manufacture de haute joaillerie Abysse, une autre filiale de Platinum Invest, implantée à Paris et à La Rochelle. Pour appuyer Abysse, Orest démarre cette année le sertissage de pièces de haute joaillerie à Saint-Dié-des-Vosges.
Dans cette ancienne cité textile, loin des grandes métropoles, Orest a trouvé la main-d’œuvre indispensable à sa croissance. Le groupe de 750 collaborateurs et 110 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 était à l’étroit dans ses ateliers d’Erstein (Bas-Rhin) et peinait à attirer les profils. «Les Vosges nous apportent exactement ce que nous recherchions : un bassin industriel affichant un nombre élevé de demandeurs d’emploi et la possibilité de former notre main-d’œuvre», raconte le responsable du site. Marqué par un taux de chômage de 10% – le chiffre dépassait 14% il y a dix ans –, le territoire vosgien a ouvert grand ses bras à Orest. Cindy, 39 ans, suit actuellement un cursus de bijoutier-joaillier en cinq mois bâti sur mesure, avec l’objectif d’entrer chez Orest. Cette ex-intérimaire de l’équipementier Forvia affirme qu’elle n’avait «aucune perspective d’embauche» dans son ancien poste. Attirée par la perspective d’une «stabilité professionnelle», l’opératrice s’est prise de passion pour le travail de précision de la joaillerie.
Des acteurs confiants en l’avenir
Des acteurs confiants en l’avenir
Pour obtenir la création, sur place, de cette formation (527 heures), Orest a travaillé main dans la main avec l’autre manufacture du territoire, la PME Aurigane Créations. Les deux sociétés ont été accompagnées sur le plan financier par la région Grand Est et, pour la partie pédagogique, par l’académie de Nancy-Metz, l’Union des industries et métiers de la métallurgie de Lorraine et le lycée Baumont de Saint-Dié-des-Vosges. «Les candidats suivent le bloc de compétences “réalisation” du CAP de bijouterie, complété par un certificat d’équipier autonome de production industrielle et par un stage en entreprise», énumère Olivier Jacquot, conseiller académique en formation continue sur les métiers d’art. La première promotion, en 2022, comptait parmi ses 17 stagiaires quatre anciens salariés du site de sous-traitance automobile Inteva, fermé en 2020. En 2024, sur 32 stagiaires, 23 ont été recrutés par Orest et Aurigane Créations et 16 sont toujours en poste.
Bien que chahuté par la conjoncture, le secteur affiche une certaine confiance en l’avenir. Aurigane Créations, qui emploie 80 personnes, double cette année sa surface d’ateliers et compte faire de même avec son effectif. Cette manufacture, créée en 1997 sur la base d’une fonderie d’or avant de se diversifier dans la fonderie de métaux précieux et la création de pièces de joaillerie, a été rachetée en juillet dernier à son fondateur par Van Cleef & Arpels (groupe Richemont).
Preuve que le département des Vosges suscite l’intérêt des sous-traitants de prestigieuses maisons, à 50 kilomètres de Saint-Dié-des-Vosges, à Épinal, c’est un spécialiste franc-comtois de la maroquinerie, et notamment des bracelets pour l’industrie horlogère, qui a posé ses valises. Originaire du Doubs, le groupe SIS a commencé il y a un an à produire des pièces de maroquinerie haut de gamme dans les locaux d’une ex-enseigne de distribution alimentaire. Trente personnes y travaillent, dont 12 couturières d’une manufacture de lingerie haut de gamme, la société Alcée, liquidée en 2023.
«L’arrêt d’Alcée est une opportunité que nous avons su saisir, mais d’une manière générale, le savoir-faire textile a disparu depuis bien longtemps sur le bassin d’Épinal», analyse Jean-Yves Chauvy, le directeur général de SIS. Son groupe de 1700 salariés envisage d’y construire une manufacture à l’horizon 2027. L’objectif consiste à dupliquer dans la préfecture des Vosges ce que SIS est parvenu à réaliser ces cinq dernières années à Vesoul (Haute-Saône), où il a mis en service en 2019 un atelier qui emploie 200 personnes. Toujours dans le même bassin, Toiltech, une discrète filiale de LVMH d’une centaine de salariés (24,5 millions de chiffre d’affaires en 2023), fabrique notamment des toiles pour les sacs de la célèbre marque Vuitton. Le caractère enclavé du département des Vosges serait-il devenu un atout pour cette production très manuelle ? Olivier Jacquot en est convaincu, «la situation géographique contribue à maintenir la main-d’œuvre sur place, contrairement au département du Doubs, proche de la frontière suisse, et à l’Alsace», marquée par un meilleur taux d’emploi.
Le prêt-à-porter de luxe, l’autre joyau
Saint-Dié-des-Vosges abrite un autre joyau : la bonneterie Duval, rescapée de la restructuration de l’industrie textile locale. Dans l’écrin de l’une des rares usines dessinées par l’architecte Le Corbusier, une soixantaine de couturières réalisent des pièces de prêt-à-porter pour Louis Vuitton, Lanvin, Balmain… Des petites séries ou des pièces uniques, à l’instar de la robe Yves Saint Laurent portée par Angelina Jolie à la Mostra de Venise 2024. «Notre force, c’est notre capacité à rechercher des solutions avec nos couturières pour concrétiser l’idée d’un styliste», résume Rémi Duval, le gérant de l’entreprise. Sur son secteur de niche, il emploie également 40 couturières à domicile à temps partiel (15 équivalents temps plein) pour des travaux longs et spécifiques, pour Chanel notamment.
Vous lisez un article du numéro 3742 de L’Usine Nouvelle – Mai 2025
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