« Nous essayons de valoriser ce qui a peu de valeur sur la chaîne de la réutilisation textile », témoigne Raouf Medimagh. « Les fibres mixtes (mélange de fibres naturelles et synthétiques) se valorisent difficilement, ce qui les destine souvent à l’enfouissement ou à l’incinération. » Au cœur de leur technologie, les textiles complexes (élasthanne, polyester, polyamide…) sont plongés en compagnie de solvants et de catalyseurs dans un réacteur pour dépolymériser spécifiquement le PET en ses deux monomères, le diméthyl téréphtalate (DMT) et le mono-éthylène glycol (MEG). Les co-matières (coton, élasthanne…) sont alors récupérées par un système de pièges, purifiées avant d’être envoyées vers des acteurs tiers de la chaîne de valeur. Pour récupérer le DMT, le milieu réactionnel va alors passer par un second réacteur, où la brique téréphtalique sera précipitée. Le mélange restant sera ensuite chauffé, ce qui permettra de récupérer par distillation le MEG, et les solvants qui seront stockés en vue leur réutilisation.
Déployé pour la première fois en 2022 sur la « pièce de musée », un pilote de laboratoire muni d’un réacteur de 10 litres, la technologie passera ensuite par le « Pékin Express » en 2024, un skid intermédiaire doté d’un réacteur de 100 litres, avant d’équiper CASTTOR en 2025 et sa capacité de 1000 litres, pour 10 t/an de déchets textiles traités. En termes de prix, « Pékin Express » aura nécessité un investissement de 400 000 euros et la facture pour la construction du démonstrateur pré-industriel CASTTOR s’élève à près de 2,5 millions d’euros. Deux montées en échelle successives, qui auront fait passer les effectifs de Recyc’Elit de deux personnes, les deux frères chimistes, à 18 personnes (ingénieurs, techniciens, doctorants…). « La prochaine phase sera l’optimisation et le développement du procédé dans l’optique de démarrer une première usine de démonstration à l’horizon de trois à quatre ans », mentionne Raouf Medimagh.
Près de 3,2 millions d’euros investis
Près de 3,2 millions d’euros investis
Le projet CASTTOR dans sa globalité aura nécessité un budget de 3,26 millions d’euros, dont 1,93 million d’euros de subventions publiques apportées par l’Agence de la transition écologique (Ademe) et la Banque des Territoires pour France 2030, le reste du financement ayant été levé auprès du fonds d’investissement initié par les métropoles de Lyon et de Saint-Étienne (FAIM) ou encore d’autres fonds de capital-risque ou de capital-investissement (Demeter, UI investissement, Crédit Agricole Création).
La dernière itération en date a été articulée avec l’aide de trois partenaires : le fabricant De Dietrich Process Systems pour la fourniture d’équipements industriels, la plateforme d’innovation dans la chimie Axel’One pour l’optimisation du procédé, et l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH) pour réaliser des essais d’extrusion/filage.
Un partenaire de premier ordre : Décathlon
Un partenaire de premier ordre : Décathlon
En octobre 2024, la jeune pousse a par ailleurs ouvert son capital au groupe Mulliez (Décathlon, Auchan) pour un montant d’investissement non divulgué. « Nous sommes sur une chaîne de valeur très complexe, du granulé aux produits finis, où les acteurs ayant la maîtrise de l’ensemble de la chaîne sont rares », soutient Raouf Medimagh.
« Nous étudions la revalorisation du polyester et des co-matières avec l’objectif de prouver que la technologie fonctionne à différentes échelles », précise David Loncke, directeur de la Division Fibres synthétiques de Décathlon. « Le gros enjeu global avec Recyc’Elit et l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur est d’inclure de plus en plus de déchets textiles dans les nouvelles matières ». Aujourd’hui, le partenariat en est encore au stade de la fabrication des premiers d’échantillons de produits finis. Le premier tee-shirt en rPET obtenu à partir de la technologie de Recyc’Elit a été réalisé il y a seulement quelques mois.
« La prochaine étape sera la réalisation d’une capsule à usage interne de Recyc’Elit et de Decathlon de quelques dizaines de pièces cette année, début d’année prochaine, avec l’objectif d’ici à 2027 de mettre un premier produit en magasin », précise le directeur de la Division Fibres. « C’est un vrai challenge puisque de la dépolymérisation/polymérisation jusqu’aux produits finis, cela nécessite cinq ou six acteurs. Il faudra notamment identifier des industriels capables de travailler sur des petites quantités. »
« 98 % du polyester recyclé est encore principalement fabriqué à partir de bouteilles en plastique »
« 98 % du polyester recyclé est encore principalement fabriqué à partir de bouteilles en plastique »
« Nous avons des échanges avec Kiabi ou d’autres marques de vêtements, les acteurs des équipements de protection individuelle (EPI) notamment sur la partie polycoton et nous travaillons aussi avec l’éco-organisme Ecomaison pour des rembourrages de couettes, d’oreillers… », précise Marine Perraud, responsable chez Recyc’Elit des projets collaboratifs d’innovation et des partenariats.
Dans ces diverses filières, le sujet reste sensible puisque l’évolution des réglementations en faveur d’une plus grande incorporation de matières recyclées dans les produits textiles reste une préoccupation en France et à l’échelle de l’Union européenne. Selon le rapport annuel sur le marché des matériaux de l’ONG californienne Textile Exchange, « le polyester reste la fibre la plus produite au monde, représentant 59 % de la production mondiale de fibres en 2024, contre 57 % en 2023. En termes de volume, la production de fibres de polyester est passée de 71 millions de tonnes en 2023 à 78 millions de tonnes en 2024. » La part de PET recyclé se maintient aux alentours de 12 %, en sachant que « 98 % du polyester recyclé est encore principalement fabriqué à partir de bouteilles en plastique » et que les systèmes de recyclage textile-to-textile du polyester sont toujours en cours de développement. Les autres fibres de synthèse (polyamide, élasthanne, polypropylène, fibre acrylique) affichent des taux de recyclage compris entre 0,4 % et 3,2 % en 2024 d’après le rapport.
L’urgence des filières de recyclage textiles
En France, selon le bilan annuel de l’Ademe sur la filière des textiles neufs d’habillement, linge de maison et chaussures (TLC) basé sur les données de l’éco-organisme ReFashion, près de 811 500 tonnes de TLC neufs ont été mis sur le marché en 2023. Mais seulement 268 000 tonnes de TLC ont été collectés par des opérateurs conventionnés avec l’éco-organisme, ce qui représente un taux de collecte de près de 36 %, en deçà des chiffres de 2022. Au final, seulement 180 000 tonnes de TLC, convenablement triés, ont intégré des voies de valorisation, avec 59 % de réutilisation et 33 % de recyclage. La structuration d’une chaîne de valeur autour du recyclage doit aussi composer avec l’augmentation massive des déchets textiles ces quinze dernières années, tirée par le développement rapide de l’ultra fast fashion, couplé à la fermeture progressive de débouchés à l’export pour les vêtements de seconde main, notamment à destination de l’Afrique. En 2022, le ministère de la Transition écologique a lancé une feuille de route 2023-2028 pour la filière. Le plan prévoyait un milliard d’euros de financements grâce aux éco-contributions des producteurs avec l’objectif – très ambitieux à l’époque – d’atteindre, dans cinq ans, 60 % de textiles collectés et 80 % de textiles recyclés.