Un retournement judiciaire inattendu relance le débat sur les frontières légales dans l’univers de la finance décentralisée.
Rejoignez-nous sur vos réseaux sociaux
Aucun spam. Désinscription en un clic. Votre vie privée est respectée.
En avril 2024, Avraham Eisenberg, cerveau derrière l’un des plus retentissants scandales de manipulation dans la finance décentralisée, était reconnu coupable de fraude. Moins d’un an plus tard, sa condamnation vient d’être annulée par un juge fédéral new-yorkais, invoquant l’absence de liens géographiques entre l’affaire et l’État de New York. Un verdict qui pose une nouvelle fois la question de la juridiction dans un monde numérique sans frontières.
La décision du juge Arun Subramanian a créé la surprise parmi les observateurs du monde financier et judiciaire. Eisenberg, accusé d’avoir orchestré une manipulation de marché ayant permis de détourner 114 millions de dollars (environ 105 millions d’euros) via la plateforme Mango Markets, n’aurait, selon le magistrat, jamais mené ses opérations depuis ni à destination de New York. « Il n’y a aucune allégation selon laquelle la plateforme Mango Markets avait des liens avec New York« , a statué Subramanian, précisant qu’Eisenberg, domicilié à Porto Rico, n’avait « jamais appelé, écrit ou voyagé à New York dans le cadre de cette affaire« . Cette justification a conduit le juge à annuler purement et simplement la condamnation pour fraude, estimant que « les affaires invoquées par le gouvernement sont inapplicables« .
Définition des responsabilités dans l’espace numérique
Ce jugement, bien que salué par les défenseurs de la rigueur procédurale, a ravivé une vive controverse autour de la définition des responsabilités dans l’espace numérique. Car les faits reprochés à Eisenberg sont loin d’être anodins. En octobre 2022, le trader avait réussi, grâce à une stratégie algorithmique complexe, à faire artificiellement grimper le prix du jeton natif de Mango Markets, le MNGO. En créant cette inflation factice, il avait ensuite pu ouvrir de larges positions longues, puis emprunter massivement des fonds sur la base de ces valorisations truquées.
Ce jeu de leviers savamment orchestré lui avait permis de retirer l’équivalent de 114 millions de dollars en cryptoactifs, avant qu’il ne décide, fait rare dans l’univers de la finance décentralisée, de restituer 67 millions de dollars (environ 61,5 millions d’euros) à la communauté. Cette dernière, divisée mais pragmatique, avait accepté ce remboursement en échange de la promesse de ne pas le poursuivre au civil. Eisenberg avait alors publiquement défendu ses actions, affirmant avoir simplement exploité une faille du protocole « conformément à son modéle économique« .
Mais pour les autorités américaines, ce discours n’a pas suffi à masquer la réalité d’un préjudice massif. En avril 2024, un tribunal fédéral l’avait reconnu coupable de fraude électronique, de manipulation de matières premières et de fraude sur les produits dérivés. Le ministère public demandait alors huit années d’incarcération. Si cette peine ne sera finalement pas appliquée dans le cadre de cette affaire, Eisenberg ne quitte pas pour autant le giron judiciaire.
Mango Markets fermé
En effet, le personnage reste sous la menace d’une autre affaire aux implications bien plus sombres : en parallèle de la procédure pour manipulation financière, Avraham Eisenberg a été inculpé pour possession de contenus pédopornographiques, un dossier dans lequel il encourt jusqu’à quatre années de prison. Une situation qui jette une ombre encore plus pesante sur le profil de celui que certains considéraient, au sein de la communauté crypto, comme un « hacker éthique » ou un lanceur d’alerte sur les failles systémiques de la DeFi.
De son côté, la plateforme Mango Markets n’a pas survécu à ce séisme. En janvier 2025, elle annonçait la fin de ses opérations, après avoir conclu un accord avec la Securities and Exchange Commission (SEC) sur la vente illégale de son jeton MNGO. Ce dernier, aujourd’hui quasiment sans valeur, a vu sa capitalisation s’effondrer de 96 % par rapport à ses sommets historiques. Dans les dernières 24 heures, le volume des transactions sur le token ne dépassait pas les 2 000 dollars (environ 1 810 euros), signe d’un désintérêt quasi total de la part des investisseurs.
Le cas Eisenberg illustre parfaitement les tensions qui secouent la régulation de la finance décentralisée. D’un côté, les régulateurs tentent de faire appliquer des lois pensées pour des marchés traditionnels ; de l’autre, les défenseurs de la DeFi revendiquent un modèle économique reposant sur la transparence des protocoles et l’autonomie des utilisateurs. Cette opposition devient d’autant plus complexe lorsque la géographie entre en jeu. Car dans un univers blockchainisé, où les transactions s’opèrent de manière pseudonyme et à travers des réseaux globaux, quel tribunal peut réellement revendiquer une compétence territoriale ?
Pour le juge Subramanian, la réponse est claire : sans preuve tangible de lien avec son État, un tribunal ne peut s’improviser arbitre d’une affaire mondiale. Mais ce verdict pourrait bien créer un précédent problématique. Certains craignent qu’il n’ouvre la voie à une multiplication des litiges sans point d’ancrage territorial, rendant inopérantes les tentatives de contrôle des autorités nationales.
À mesure que la finance décentralisée continue de croître, bien que ralentie ces derniers mois par une vague de scandales et un hiver crypto prolongé, la question de sa régulation devient urgente. Faut-il créer des instances internationales dédiées, à l’image de l’Organisation mondiale du commerce ? Ou repenser entièrement les cadres juridiques nationaux pour les adapter à ces nouvelles technologies ? Dans tous les cas, le jugement rendu à New York sonne comme un avertissement : les règles du jeu doivent évoluer, sous peine de voir les acteurs les plus controversés s’y faufiler entre les mailles.
Rejoignez-nous sur vos réseaux sociaux
Aucun spam. Désinscription en un clic. Votre vie privée est respectée.