Des perquisitions ont été menées dans 66 prisons françaises pour saisir des téléphones miniatures, indétectables par les portiques, au cœur d’un trafic alimentant les réseaux criminels dirigés depuis les cellules.
Mardi 20 mai, à l’aube, la France pénitentiaire a été le théâtre d’une opération inédite par son ampleur et ses enjeux. Dans 66 établissements répartis sur l’ensemble du territoire, des équipes d’enquêteurs se sont introduites dans 500 cellules, mandatées par le parquet national chargé de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), pour mettre la main sur des objets de quelques centimètres seulement : des téléphones portables miniatures, invisibles aux portiques de sécurité, devenus les armes silencieuses du crime organisé derrière les barreaux. Cette opération, baptisée « Prison Break », vise à enrayer un trafic tentaculaire de téléphonie clandestine orchestré à l’échelle industrielle.
L’enquête, toujours en cours, a été déclenchée après la découverte de l’ampleur d’un phénomène passé longtemps sous les radars comme l’explique Le Monde. Environ 5 000 téléphones auraient été écoulés en France, selon les premières estimations, via un unique revendeur opérant à partir d’une plateforme en ligne, Oportik. Le site a été saisi et fermé par les autorités comme le montre la capture écran de ZATAZ. « Ce site Internet a été saisi dans le cadre d’une procédure judiciaire. Les données sont en cours d’exploitation afin d’identifier les clients du site. » Le site n’était pas une simple boutique de téléphone. Il affichait clairement la couleur comme ZATAZ peut vous le montrer plus bas : « Tous nos produits sont préparés au maximum (déplaqués) et testés pour ne pas sonner aux portiques et détecteur de métaux«
Ces appareils, fabriqués en Chine et vendus à bas prix, se glissent dans une paume ou se dissimulent aisément dans le corps humain. Leur discrétion est redoutable : faits de plastique, ils échappent aux détecteurs classiques et permettent aux détenus de continuer à organiser des activités illicites depuis leur cellule, en toute impunité.
Les enquêteurs de la section cybercriminalité de la Junalco suivent depuis plusieurs mois la trace de ce réseau de distribution. Au fil de leurs investigations, ils ont identifié une infrastructure de vente bien huilée, exploitant les failles des contrôles pénitentiaires et s’appuyant sur des mules chargées de l’introduction physique des appareils en prison. Ces intermédiaires, parfois des proches des détenus, parfois eux-mêmes membres de réseaux criminels, n’hésitent pas à introduire les téléphones par voie anale, une méthode dangereuse mais efficace, comme en témoignent les nombreux surnoms donnés à ces appareils : « téléphones pouces » ou plus crûment, « suppositoires ».
« Ces téléphones permettent de piloter des trafics entiers depuis une cellule »
La gravité du phénomène ne tient pas seulement à la violation des règles pénitentiaires. Les téléphones sont devenus l’un des outils centraux de la criminalité en détention. De l’intérieur des murs, des détenus parviennent à organiser des livraisons de drogue, coordonner des cambriolages, intimider des témoins ou gérer des réseaux de prostitution. Le tout grâce à une connexion mobile. « Ces téléphones permettent de piloter des trafics entiers depuis une cellule », confirme une source proche du dossier. « Cela remet en question l’ensemble du système carcéral et les moyens mis en place pour empêcher la communication entre l’intérieur et l’extérieur. »
Le site Oportik, sur lequel se concentre l’attention des enquêteurs, est soupçonné d’avoir vendu la quasi-totalité des téléphones saisis ou recherchés lors de l’opération. Les produits y sont présentés comme « discrets », « ultra-compacts » ou encore « indétectables », avec des dimensions ne dépassant pas celles d’un briquet. La vente de ces objets, bien que légale en soi, devient problématique lorsqu’elle cible délibérément un usage illicite. L’enquête vise donc à déterminer si le site a agi en connaissance de cause et si des complicités ont facilité l’introduction de ces appareils en milieu carcéral.
Le phénomène des téléphones en prison n’est pas nouveau. Chaque année, des milliers d’appareils sont saisis dans les établissements pénitentiaires français. En 2022, selon les chiffres de l’administration, près de 65 000 téléphones ont été retrouvés lors de fouilles. Mais les appareils ciblés par l’opération « Prison Break » représentent une nouvelle génération de menaces : miniatures, bon marché, et quasiment invisibles. Leur popularité croissante inquiète les autorités, d’autant plus que leur usage reste extrêmement difficile à détecter sans perquisition ciblée.
La contrebande de téléphones miniatures, un défi technologique pour les prisons
Le défi est avant tout technologique. Les portiques de détection de métaux, les scanners corporels ou les fouilles manuelles peinent à identifier des objets de quelques grammes, souvent dissimulés dans des cavités corporelles. Or, les détenus n’ont pas attendu l’évolution des outils de contrôle pour perfectionner leurs méthodes d’introduction. Ils utilisent des drones, des livraisons dissimulées dans les colis ou des complicités internes. Certains téléphones sont même lancés par-dessus les murs d’enceinte et récupérés ensuite dans les cours de promenade.
Les perquisitions de ce 20 mai s’inscrivent dans une volonté de l’État de reprendre le contrôle sur ses prisons. C’est un signal fort adressé aux réseaux criminels et à ceux qui les alimentent. Mais elles soulèvent aussi une question essentielle : comment empêcher durablement l’entrée de téléphones dans les établissements pénitentiaires ? Faut-il investir dans des technologies de brouillage, comme cela est expérimenté dans certains établissements ? Multiplier les fouilles ? Ou repenser en profondeur le modèle carcéral, y compris les conditions de détention qui favorisent les trafics ?
En 2022, près de 65 000 téléphones ont été saisis dans les prisons françaises, révélant l’ampleur d’un phénomène en constante progression.
Sur le terrain judiciaire, l’enquête pourrait déboucher sur des mises en examen pour complicité d’introduction d’objets interdits en détention, participation à une association de malfaiteurs, ou encore cybercriminalité. Les autorités l’ont affiché sur le site du revendeur. La base de données clients est en cours d’analyse.
La revente des téléphones via Oportik pourrait également faire l’objet de poursuites pour mise en danger de la sécurité publique. Les enquêteurs cherchent à remonter jusqu’à la tête de réseau, en France comme à l’étranger. La collaboration avec les autorités chinoises, pays d’origine des téléphones, pourrait être sollicitée dans le cadre d’une coopération judiciaire internationale.
Les téléphones miniatures vendus entre 20 et 40 euros (environ 22 à 44 €) sont devenus une monnaie d’échange précieuse dans les économies parallèles des prisons.
Alors que les perquisitions se poursuivent et que les saisies s’accumulent, une question plus large se dessine : comment gérer le rapport des détenus aux technologies de communication dans un monde hyperconnecté ? Certains experts plaident pour une évolution des règles, permettant un usage encadré du numérique en prison, plutôt qu’un interdit absolu difficile à faire respecter. L’administration pénitentiaire, elle, reste prudente face à cette idée, craignant un effet pervers d’élargissement des possibilités de contacts illicites.
Reste à savoir si l’opération « Prison Break » marquera un tournant réel ou un simple coup d’éclat médiatique. Le démantèlement du réseau de téléphonie clandestine est une première étape, mais il ne suffira pas à lui seul à éradiquer un phénomène profondément enraciné dans les réalités carcérales. La prison, censée isoler, devient parfois une base opérationnelle pour des réseaux plus agiles que jamais. Mais la victoire est belle pour les autorités comme l’a salué la Vice-Procureur, chef de la section de lutte contre la cybercriminalité (JUNALCO) Madame Brousse. « Ce réseau opérait également dans les prisons européennes et bien au delà des frontières de l’Europe. » indique-t-elle sur Linkedin.
Dans un monde où un téléphone de la taille d’un doigt peut renverser les frontières du contrôle pénitentiaire, comment garantir que les murs des prisons restent réellement étanches aux dérives du numérique ?